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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7815

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Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 9-10).
7815. — À M. AUDIBERT.
À Ferney, le 9 mars.

Savez-vous bien, monsieur, que vous avez assisté le serviteur de Dieu ? Sans y penser vous avez fait une œuvre pie, tout maudit huguenot que vous êtes. Je suis capucin ; j’ai le droit de porter le cordon de saint François. Le général des capucins m’a envoyé de Rome ma patente ; n’en riez point, rien n’est plus vrai. Cela m’a porté bonheur, car Dieu a été sur le point de m’appeler à lui, et j’aurais été infailliblement canonisé. M. le marquis de Saint-Tropez n’y aurait gagné qu’une rente de cinq cent quarante livres, qui ne vaut pas la vie éternelle. Il est vrai que j’ai prêché la tolérance ; mais cela n’a pas empêché qu’on ne s’égorge à Genéve. Dieu merci, ce n’est pas pour des arguments de théologie ; il ne s’agit que d’une querelle profane : ainsi elle ne durera pas longtemps. S’il était question de controverse, nous en aurions pour trente années.

Vous savez sans doute que le pouvoir de l’Inquisition vient d’être anéanti en Espagne ; il n’en reste plus que le nom : c’est un serpent dont on a empaillé la peau. Le roi d’Espagne, par un édit, a défendu que l’inquisition fît jamais emprisonner aucun de ses sujets. Nous voilà enfin parvenus au siècle de la raison, depuis Pétersbourg jusqu’à Cadix ; et ce qui vous surprendra, c’est qu’il y a des philosophes dans le parlement de Toulouse. Je ne vois pas qu’il se soit jamais fait une révolution plus prompte dans les esprits. La canaille est et sera toujours la même ; mais tous les honnêtes gens commencent à penser d’un bout de l’Europe a l’autre.

Mme Denis vous fait les plus sincères compliments. Agréez, monsieur, de votre, etc.