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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7829

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Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 20-21).
7829. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
17 mars.

Je reçois, mon cher ange, aujourd’hui 17 de mars, votre lettre du 27 de février. Cela est aussi difficile à concilier que la chronologie de la Vulgate et des Septante.

Quoique votre lettre vienne bien tard, je ne laisse pas d’envoyer sur-le-champ à M. le duc de Choiseul les attestations de la mort de femmes grosses. Je prétends qu’on me croie quand je dis la vérité. Un capucin est fait pour être cru sur sa parole, qui est celle de Dieu. D’ailleurs on ne ment point quand on est aussi malade que je le suis ; on a sa conscience à ménager.

Si les choses de ce monde profane me touchaient encore, je vous parlerais de M. l’abbé Terray, votre ancien confrère, qui, sans respecter votre amitié pour moi, m’a pris, dans la caisse de M. de La Borde, tout ce que j’avais, tout ce que je possédais de bien libre, toute ma ressource. Je lui donne ma malédiction séraphique. Mais, plaisanterie à part, je suis très-fâché et très-embarrassé. Je n’ai assurément ni assez de santé, ni assez de liberté dans l’esprit pour songer au Dépositaire. Mon dépositaire est contrôleur général ; mais il n’est pas marguillier. J’ai soupçonné que, dans toute cette affaire, il y avait eu quelque malin vouloir ; et vous pouvez, en général, me mander si je me trompe.

Je vous ai envoyé une petite consultation pour M. Bouvart[1] ; elle arrivera peut-être au mois d’avril, comme votre lettre de février est arrivée en mars. Je voulais savoir s’il avait des exemples que le lait de chèvre eût fait quelque bien à des pauvres diables de mon âge, attaqués de la maladie qui me mine. N’ayant point de réponse, j’ai consulté une chèvre ; et si elle me trompe, je la quitterai.

J’imagine qu’à présent vous avez quelques beaux jours à Paris, et que Mme d’Argental s’en trouve mieux. Je vous souhaite à tous deux tous les plaisirs, toutes les douceurs, tous les agréments possibles. Vous pouvez être toujours sûrs de ma bénédiction. Non-seulement je suis capucin, mais je suis si bien avec les autres familles de saint François que frère Ganganelli m’a fait des compliments.

Vraiment oui j’ai lu la Religieuse, et ce n’a pas été avec des yeux secs. Tout ce qui intéresse les couvents me touche jusqu’au fond de l’âme.

Recommandez-vous bien aux saintes prières de

Frère François, capucin indigne.

  1. La lettre 7811.