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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7889

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Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 82-83).
7889. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
21 mai.

Mon cher ange, les bonnes actions ne sont jamais sans récompense, car Dieu est juste. On ne peut vous donner un prix qui soit plus suivant votre goût qu’une tragédie : en voici une qui m’est tombée entre les mains, et dont je viens de corriger moi-même toutes les fautes typographiques. C’est à vous à juger si M. Lantin[1] était aussi bon réparateur de Sophonisbe que M. Marmontel l’a été de Venceslas[2]. Il y aura des malins qui diront que M. Lantin se moque du monde, et qu’il n’y a pas un mot dans Sophonisbe qui ressemble à celle de Mairet ; mais il faut laisser dire ces gens-là, et ne pas s’en embarrasser.

Au reste, je serais au désespoir qu’on pût m’accuser d’avoir la moindre correspondance avec les héritiers de M. Lantin. M. Marin, qui a fait imprimer cette pièce, dont l’original est chez M. le duc de La Vallière, peut me rendre la justice qui m’est due ; mais, si on fait une sottise dans Paris, tout aussitôt on me l’attribue. Je ne doute pas que votre amitié et votre zèle pour la vérité ne s’opposent à ce torrent de calomnies.

On a bien eu la cruauté de m’imputer le Dépositaire. Il faut que ce soit l’abbé Grizel qui ait débité cette imposture, et c’est ce qui m’empêche de donner la pièce. Je ferai écrouer l’abbé Grizel comme calomniateur impudent. Il avait volé cinquante mille francs à Mme d’Egmont[3], fille de M. le duc de Villars, lorsqu’il la convertit. Je ne sais pas au juste ce qu’il a volé depuis, pour la plus grande gloire de Dieu ; mais je le tiens pour damné s’il dit que le Dépositaire est de moi.

Voici un tarif très-honnête des montres que M. le duc de Praslin a bien voulu demander. On ne peut mieux faire que de s’adresser à nous, nous sommes bons ouvriers et très-fidèles. Si quelqu’un de vos ministres étrangers veut des montres à bon marché, qu’il s’adresse à Ferney. Secourez notre entreprise, mes chers anges ; nous avons vingt familles à nourrir.

À l’égard des humeurs scorbutiques, je plains bien Mme d’Argental si son état approche de mon état. Portez-vous bien tous deux, jouissez d’une vie douce, conservez-nous vos bontés, protégez nos manufactures ; mais protégez aussi celle de feu M. Lantin. Nous vous présentons nos cœurs, Mme Denis et moi.

  1. Nom sous lequel Voltaire donna sa Sophonisbe ; voyez tome VII, page 42.
  2. Voyez tome XLV, page 491.
  3. Voyez tome XXXVIII, page 494.