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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7926

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Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 112-113).
7926. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
À Ferney, 18 juin.

On fait ce qu’on peut, madame, dans nos déserts, pour vous faire passer quelques minutes à Saint-Joseph ; et, malgré la crainte de vous ennuyer, on vous envoie ces deux feuilles détachées. Imposez silence à votre lecteur, sitôt que vous vous sentirez la moindre envie de bâiller.

J’ignore tout ce qui se fait à présent sur la terre. Je ne sais pas même si Lacédémone appartient à Catherine II ou à Moustapha ; je ne sais où est votre grand’maman, et c’est ce qui m’intéresse davantage. Si elle est dans son palais de Chanteloup, occupée de sa florissante colonie, je la déclare philosophe. J’entends surtout, par ce mot, philosophe pratique : car ce n’est pas assez de penser avec justesse, de s’exprimer avec agrément, de fouler aux pieds les préjugés de tant de pauvres femmes, et même de tant de sots hommes, de connaître bien le monde, et par conséquent de le mépriser ; mais se retirer de la foule pour faire du bien, encourager les arts nécessaires, être supérieur à son rang par ses actions comme par son esprit, n’est-ce pas là la véritable philosophie ?

Je vous plains toutes deux de ne pouvoir pas aller ensemble dans le paradis terrestre de Chanteloup. Il faut toujours, madame, que je vous remercie de toutes les bontés dont elle m’a comblé, car sans vous elle m’aurait peut-être ignoré. Elle protège, du haut de sa colonie de Carthage, la colonie de mon hameau ; elle me fait goûter chaque jour le plaisir de la reconnaissance. Je me flatte qu’elle était dans son royaume dans le temps que les badauds de Paris se tuaient au milieu des fêtes[1], assez près de son hôtel ; elle aurait été trop sensiblement frappée de ce désastre. Est-il possible qu’on s’égorge pour aller voir des lampions !

Adieu, madame ; conservez du moins votre santé ; la mienne est désespérée. Mille tendres respects.

  1. Pour le mariage du dauphin (depuis Louis XVI). Beaucoup de personnes périrent le 30 mai.