Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 8109
Vous avez vu, madame, finir votre ami que vous aviez déjà perdu. C’est un spectacle bien triste ; vous l’avez supporté pendant plus de deux années. Le dernier acte de cette fatale pièce fait toujours de douloureuses impressions. Je suis actuellement, sans contredit, le premier en date de vos anciens serviteurs. Cette idée redouble mon chagrin de ne vous point voir, et de me dire que peut-être je ne vous reverrai jamais.
Je regrette jusqu’au fond de mon cœur le président Hénault[1] ; je le rejoindrai bientôt ; mais où ? et comment ? On chantait à Rome et sur le théâtre public, devant quarante mille auditeurs : « Où va-t-on après la mort ? où l’on était avant de naître[2]. »
On voudrait cuire aujourd’hui, devant quarante mille hommes, celui qui répéterait ce passage de Sénèque. Nous sommes encore des polissons et des barbares. Il y a des gens d’un très-grand mérite chez les Welches, mais le gros de la nation est ridicule et détestable. Je suis bien aise de vous le dire avec autant de franchise que je vous dis combien je vous aime, combien j’estime votre façon de penser, à quel point je regrette d’être loin de vous.
Je voudrais bien savoir s’il y a quelques particularités intéressantes dans le testament du président. Je serais bien fâché qu’il y eût quelque trait qui sentît encore le père de l’Oratoire. Je voudrais que, dans un testament, on ne parlât jamais que de ses parents et de ses amis.
Adieu, madame ; conservez votre santé, et quelquefois même de la gaieté ; mais n’est pas gai qui veut, et ce monde, en général, ne réjouit pas les esprits bien faits. Mille tendres respects.