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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 8146

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Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 304-305).
8146. — À M. D’ALEMBERT.
28 décembre.

Ah ! mon cher ami, mon cher philosophe, c’est une chose bien cruelle qu’un homme [1] qui veut faire du bien soit obligé de faire du mal, parce qu’il est prêtre. Enfin l’abbé Audra en est mort, et c’est, je vous jure, une très-grande perte pour les gens de bien ; personne n’avait plus de zèle que lui pour la bonne cause.

Je passe le Rubicon pour chasser le nasillonneur[2] délateur et persécuteur ; et je déclare que je serai obligé de renoncer à ma place si on lui en donne une. J’ai si peu de temps à vivre que je ne dois point craindre la guerre.

Vous me mandez que le roi de Prusse vient d’envoyer sa noble quote-part pour la statue ; vous avez mis apparemment Prusse pour Danemark. La statue vous doit tout, à Copenhague comme à Berlin.

Messieurs ont donc résolu de ne point obtempérer ; les meurtriers du chevalier de La Barre ont donc pleuré. Quoi ! les bœufs-tigres pleurent ! On ne juge donc plus de procès ? les plaideurs seront réduits à la dure nécessité de s’accommoder sans frais ? Cependant la moitié de la France manque de pain.

Il faudra quelque jour que je vous envoie une Épître au roi de Danemark[3], afin qu’il fasse pendant avec le roi de la Chine. C’est un grand soulagement, en temps de famine, de faire des vers alexandrins.

Je vous prie, quand vous verrez Mme Necker, de lui dire combien je lui suis attaché pour le reste de ma vie. Adieu, mon très-cher confrère.

  1. L’archevêque de Toulouse, Loménie de Brienne ; voyez lettre 8138.
  2. De Brosses ; voyez lettres 8116 et 8128.
  3. Celle qui est tome X, page 421.