Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8177
Je reçois la lettre de mon héros. La poste va partir. J’ai à peine le temps de vous dire, monseigneur, que la plus grande grâce que vous puissiez me faire est de ne me point donner pour confrère un homme dont j’ai à me plaindre si cruellement[2]. Je me suis tu, quand il n’a fait qu’abuser de ma confiance et me tromper de la manière la plus indigne dans des affaires d’intérêt, qui sont publiques dans toute la province où son caractère est très-connu. Mais, dans la crainte que je ne lui fisse un procès, il m’a menacé de me dénoncer comme auteur d’un livre que je n’ai point fait. Jugez quelle douleur ce serait pour moi de me voir à son côté, et s’il est digne d’être au vôtre ! Je me flatte que vous ne voudrez pas, après cinquante ans d’attachement, me donner une pareille mortification. Je vous conjure de me l’épargner. Il faut finir. Je me recommande à vos bontés avec la tendresse la plus respectueuse.