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Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8221

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Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 366).
8221. — À M. DE VEYMERANGE.
Le 25 février.

Le vieux malade, goutteux, aveugle, n’en pouvant plus, remercie bien tendrement M. de Veymerange de ses bontés et de ses nouvelles. Il tient encore au monde par les bontés que vous avez pour lui. Il est très-affligé des brigandages dont il a été témoin dans le pays barbare qu’il habite. Il est fâché d’avoir vu tout le blé du pays vendu impunément à l’étranger par un Genevois[1] ; il est fâché que le froment coûte encore près de vingt écus le setier, mesure de Paris. Il voit avec douleur sa colonie vexée et dégoûtée. Il a levé les épaules quand la cohue des enquêtes s’est mise à contrarier le roi, et à vouloir entacher les gens[2] ; il a ri, mais il ne rit point quand on manque de pain. C’est là l’essentiel ; et le Pater noster commence par là, ce qui est, à mon avis, fort sensé.

Je m’intéresse fort à vos yeux, monsieur ; je suis d’ailleurs du métier, une fluxion épouvantable m’a rendu aveugle.

Je vous remercie, encore une fois, de tout ce que vous avez bien voulu m’apprendre.

On me mande de Lyon que monsieur le chancelier a déjà nommé onze conseillers du conseil suprême qu’il veut établir à Lyon. Si la chose est vraie, c’est un des plus grands services qu’il puisse rendre à l’État, et il sera béni à jamais. N’était-il pas horrible d’être obligé de s’aller ruiner, en dernier ressort, à cent lieues de chez soi, devant un tribunal qui n’entend rien au commerce, et qui ne sait pas comment on file la soie ? Monsieur le chancelier paraît un homme d’esprit très-éclairé et très-ferme. S’il persiste, il se couvrira de gloire ; s’il mollit, il aura toujours des ennemis à combattre.

Délivrez-nous du Genevois Cambassadès, qui, à présent, au lieu de vendre notre blé à l’étranger, vend notre pain tout cuit.

Mme Denis vous fait les plus sincères compliments. Je suis entièrement à vos ordres.

Le vieux Malade du mont Jura, et le plus inutile des hommes.

  1. Cambassadès, dont il est parlé à la fin de la lettre.
  2. Voyez la note, tome XXVIII, page 382.