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Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8223

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Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 367-368).
8223. — À M. LE MARECHAL DUC DE RICHELIEU.
À Ferney, 27 février.

Comme je suis réformé à la suite de mon héros, et que je suis quitte de ma goutte, je me flatte qu’il en est délivré aussi ; elle ne lui allait point du tout. Passe pour un prélat désœuvré ; mais monseigneur le maréchal n’est pas fait pour se tenir couché sur le dos, avec un cataplasme sur le pied. C’est une chose bien plaisante que la goutte, et qui confond terriblement l’art prétendu de la médecine. Comment se peut-il faire que la douleur passe tout d’un coup d’un doigt de la main gauche à l’orteil du pied droit, sans qu’on sente le moindre effet de ce passage dans le reste du corps ? Quand les médecins m’expliqueront cette transmigration, et qu’ils y remédieront, je croirai en eux.

On dit que nous allons avoir un nouveau code ; nous en avons grand besoin. Cette réforme immortaliserait le règne du roi. Il est surtout bien à désirer qu’on ne voie plus de jugements semblables à ceux du lieutenant général Lally et du chevalier de La Barre, qui n’ont pas fait honneur à la France dans le reste de l’Europe. J’avoue encore que je ne sais rien de si ridicule que la rage d’entacher[1] ; il y a eu des choses plus odieuses du temps de la Fronde, mais rien de plus impertinent. On croit que c’est à l’Opéra-Comique que la nation est folâtre ; on se trompe, c’est à la cohue des enquêtes, et le parterre juge beaucoup mieux qu’elle.

C’est trop raisonner pour un pauvre aveugle ; j’ai presque perdu la vue dans mes neiges ; je ne pourrai plus voir mon héros, mais je lui serai attaché jusqu’au dernier moment de ma vie avec le plus tendre respect.

  1. Le parlement avait déclaré que le duc d’Aiguillon était entaché.