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Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8233

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Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 375).
8233. — À M. LE COMTE DE ROCHEFORT.
Ferney, 4 mars.

Mon cher lieutenant de la garde prétorienne[1], je viens de lire la meilleure pièce qu’on ait faite depuis bien longtemps, pour le fond, pour la conduite et pour le style. Je ne sais pas si elle réussit à Paris comme en province, mais je sais qu’elle est excellente, et que c’est ainsi qu’il faut écrire en prose. La pièce, à la vérité, est en six actes[2] ; mais ces six actes sont très-bien distribués, et chacun d’eux doit faire un très-bon effet. Il me paraît que l’auteur a deux choses nécessaires et rares, du génie et de l’esprit. Si, par hasard, vous le voyez à Versailles, je vous supplie de lui dire que j’admire son plan, et que je suis enchanté de son style. Cet ouvrage doit aller à l’immortalité. Rien n’est si beau que la justice gratuite, rien n’est si consolant que de n’être pas obligé d’aller se ruiner à cent lieues de chez soi : c’est le plus grand service rendu à la nation.

Comment se porte Mme Dix-neuf ans ? ferez-vous un petit tour cette année dans le Vivarais ? aurons-nous le bonheur de vous posséder ?

Mme Denis vous fait mille compliments. Le pauvre vieux malade vous embrasse comme il peut, car il n’en peut plus.

  1. Des gardes du corps.
  2. La création des six conseils supérieurs ; voyez tome XVI, page 108, et XXVIII, 397.