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Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8333

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Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 477-478).
8333. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
11 juillet.

Dieu soit béni, madame ! votre grand’maman me rend justice, et vous me la rendez. Je ne crains plus de déplaire à une âme aimable, juste et bienfaisante, pour avoir élevé ma voix contre des êtres malfaisants et injustes, qui dans la société ont toujours été insupportables ; et dans l’exercice de leur charge, tantôt des assassins, et tantôt des séditieux.

Je suis dans un âge et dans une situation où je puis dire la vérité. Je l’ai dite sans rien attendre de personne au monde, et soyez sûre que je ne demanderai jamais rien à personne, du moins pour moi, car je n’ai jusqu’ici demandé que pour les autres.

Si M. Walpole est à Paris, je vous prie de lui donner à lire la page 76 de la feuille[1] que je vous envoie ; il y est dit un petit mot de lui. J’ai regardé son sentiment comme une autorité, et ses expressions comme un modèle. Cette feuille est détachée du septième tome des Questions sur l’Encyclopédie, que vous ne connaissez ni ne voulez connaître. On a déjà fait quatre éditions des six premiers volumes, comme on a fait quatre éditions de ce grand Dictionnaire qui est à la Bastille. Il est en prison dans sa patrie ; mais l’Europe est encyclopédiste. Vous me répondrez comme une héroïne de Corneille à Flaminius :


Le monde sous vos lois ! ah ! vous me feriez peur,
S’il ne s’en fallait pas l’Arménie et mon cœur.

(Nicomède, acte III, scène vii.)

Ne confondez pas, je vous prie, l’or faux avec le véritable. Je vous abandonne tout l’alliage qu’on a mêlé à la bonne philosophie. Nous rendrons justice à ceux qui nous ont donné du vrai et de l’utile ; soyons ce que le parlement devrait être, équitables et sans esprit de parti ; réunissons-nous dans cette sainte religion qui consiste à vouloir être juste, et à ne voir (autant qu’on le peut) les choses que comme elles sont.

Si vous daignez vous faire lire la feuille que je vous envoie (laquelle n’est qu’une épreuve d’imprimeur), vous verrez qu’on y foule aux pieds tous les préjugés historiques.

Il y a d’autres articles sur le goût, tous remplis de traductions en vers des meilleurs morceaux de la poésie italienne et anglaise. Cela aurait pu vous amuser autrefois ; mais vous avez traité tout ce qui regarde l’Encyclopédie comme vous avez traité mon impératrice Catherine. Vous êtes devenue turque, pour n’être pas de mon avis.

Avouez du moins qu’on lit l’Encyclopédie à Moscou, et que les flottes d’Archangel sont dans les mers de la Grèce. Avouez que Catherine a humilié l’empire le plus formidable, sans mettre aucun impôt sur ses sujets ; tandis qu’après neuf ans de paix on nous prend nos rescriptions sans nous rembourser, et qu’on accable d’un dixième le revenu de la veuve et de l’orphelin.

À propos de justice, madame, vous souvenez-vous des quatre Épîtres sur la Loi naturelle ? Je vous en parle, parce qu’un prélat étranger étant venu chez moi m’a dit que non-seulement il les avait traduites, mais qu’il les prêchait. Je lui ai répondu que maître Pasquier, l’oracle du parlement, les avait fait brûler par le bourreau de son parlement[2]. Il m’a promis de faire brûler Pasquier, si jamais il passe par ses terres.

  1. C’était la cinquième feuille de la sixième partie des Questions sur l’Encyclopédie. Voltaire y reproduisait plusieurs chapitres de son Pyrrhonisme de l’Histoire. C’est dans le chapitre XVII de cet ouvrage qu’est le mot de Walpole dont Voltaire parle ici ; voyez tome XXVII, page 267.
  2. Voyez tome IX, page 441.