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Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8347

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Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 492-493).
8347. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
De ma maison de quinze-vingt à la vôtre, 9 auguste.

« Envoyez-moi des pâtes d’abricot de Genève. »

Cela est bientôt dit, madame ; mais cela n’est pas si aisé à faire. Vos confiseurs de Paris s’opposent à ce commerce. Il n’a jamais été si difficile d’envoyer un pot de marmelade dans votre pays, lorsque toute l’Europe en mange. Si M. Walpole demeurait encore quelquefois en France, on pourrait lui en envoyer ; car je ne crois pas qu’on soit assez hardi chez vous pour saisir les confitures d’un ministre anglais.

Quand vous verrez votre grand’maman, je vous prie de me mettre à ses pieds. Elle m’a pardonné mon goût pour Catherine ; elle me pardonnera bien la juste horreur que j’ai eue de tout temps pour les pédants qui firent la guerre des pots de chambre au grand Condé, et qui ont assassiné un pauvre chevalier de ma connaissance[1].

Passez-moi l’émétique, madame, et je vous passerai la saignée[2]. Je vous sacrifierai une demi-douzaine de philosophes ; abandonnez-moi autant de pédants barbares : vous ferez encore un très-bon marché.

Ne m’aviez-vous pas mandé, dans une de vos dernières lettres, que les nouveaux règlements de finance vous avaient fait quelque tort ? ils m’en ont fait beaucoup, et j’ai bien peur que cela ne dérange la pauvre petite colonie que j’avais établie au pied des Alpes. Je crois que la France est le pays où il doit y avoir le plus d’amis, car, après tout, l’amitié est une consolation, et on a toujours besoin en France de se consoler.

Ma plus grande consolation, madame, a toujours été la bonté dont vous m’avez honoré dans tous les temps. Vous savez si je vous suis attaché, et si je ne compterais pas parmi les plus beaux moments de ma vie le plaisir de vous entendre : car, grâce à nos yeux, nous ne pouvons guère nous voir.

Je ne peux vous dire, madame, que je vous aime comme mes yeux ; mais je vous aime comme mon âme, car je me suis toujours aperçu qu’au fond mon âme pensait comme la vôtre.

  1. Le chevalier de La Barre ; voyez tome XXV, page 501.
  2. Voyez la note 2, page 153.