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Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8352

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Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 497).
8352. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
À Ferney, 21 auguste.

Sire, Votre Majesté va rire de ma requête : elle dira que je radote. Je lui demande une place de conseiller d’État. (Ce n’est pas pour moi, comme vous le croyez bien, et je ne donne point de conseils aux rois, excepté peut-être à l’empereur de la Chine.) Je m’imagine d’ailleurs que M. de Lentulus appuiera ma requête. C’est pour un banneret ou banderet de votre principauté de Neuchâtel, nommé Ostervald, qui est persécuté par les prêtres. Il a servi longtemps Votre Majesté, et je crois qu’il est excommunié.

Voilà deux puissantes raisons, à mon gré, pour le faire conseiller d’État. Cet homme est d’un esprit très-doux, très-conciliant et très-sage, et en même temps d’une philosophie intrépide, capable de rendre service à la raison et à vous, et également attaché à l’un et à l’autre. Il est de votre siècle, et les Neuchâtelois sont encore du xiiie siècle ou du xive siècle. Ce n’est pas assez que la prêtraille de ce pays-là ait condamné Petitpierre[1] pour n’avoir pas cru l’enfer éternel, ils ont condamné le banderet Ostervald pour n’avoir point cru d’enfer du tout. Ces marauds-là ne savent pas que c’était l’opinion de Cicéron et de César. Vous qui avez l’éloquence de l’un, et qui vous battez comme l’autre, ne pourriez-vous point mortifier la huaille sacerdotale en réhabilitant votre banderet par une belle place de conseiller d’État dans Neuchâtel ?

Le grand Julien, mon autre héros, lui aurait accordé cette grâce, sur ma parole.

Je vous demande pardon de ma témérité ; mais, puisque ce banderet Ostervald est menacé par le consistoire d’être damné dans l’autre monde, ne peut-on pas demander pour lui quelque agrément dans celui-ci ? cette idée m’est venue dans la tête et je la mets à vos pieds. Je pense que ce banderet a très-grande raison de dire qu’il n’y a plus d’enfer, puisque Jésus-Christ a racheté tous nos péchés.

On dit que mes chers Russes ont été battus par les Turcs ; j’en suis au désespoir, et je supplie Votre Majesté de daigner me consoler.

  1. Voyez tome XVIII, page 546 ; XXV, 422 ; XLI, 123.