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Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8367

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Correspondance de Voltaire/1771
Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 508-510).
8367. — DE CATHERINE II[1],
impératrice de russie.
Ce 2-13 septembre 1771.

Monsieur, les Questions sur l’Encyclopédie sont arrivées en compagnie des montres de Ferney. Je dois vous dire qu’il y avait plus de montres que n’en contenaient les factures ; il se peut qu’une des factures ait été égarée ; mais comme chaque montre avait son prix attaché à la montre, il a été aisé de savoir la somme totale. J’ai ordonné de vous la faire remettre, ne sachant à qui l’envoyer pour qu’elle parvienne fidèlement entre les mains des fabricants. J’espère, monsieur, que vous m’excuserez de la peine que je vous donne, et que vous voudrez bien recevoir mes remerciements pour l’un et l’autre envoi. Je lis présentement les Questions, et ne puis les quitter. Vous m’aviez annoncé une pendule, que je n’ai point trouvée dans le paquet.

Vous me demandez, par votre lettre du 7 auguste, s’il est vrai que, dans le même temps que mes troupes entrèrent dans Pérékop, il y a eu sur le Danube[2] une action au désavantage des Turcs. À cela j’ai à vous répondre qu’il n’y a eu cet été, de ce côté du Danube, qu’un seul combat où le lieutenant général prince Repnine a battu avec son corps détaché un corps turc qui s’était avancé après que le commandant de Giurgi eut rendu aux Turcs cette place, à peu près comme Lauterbourg passa aux Autrichiens, après la mort de Charles VI, empereur des Romains, lorsque M. de Noailles commandait l’armée française. Le prince Repnine étant devenu malade, le lieutenant général Essen a voulu reprendre Giurgi ; mais il a été repoussé à l’assaut. Cependant, quoi qu’en disent les gazettes, Boukharest est toujours entre nos mains avec toute la rive du Danube, depuis Giurgi jusqu’à la mer Noire.

Je ne porte aucune envie aux exploits de votre patrie, que vous me vantez. Si les beaux bras de l’excellente danseuse de l’Opéra de Paris, et l’Opéra-Comique, qui fera l’admiration de l’univers, consoleront la France de l’extirpation des parlements, et des nouveaux impôts après huit ans de paix, il faudra convenir que voilà des services bien réels qu’ils auront rendus au gouvernement. Mais après que ces impôts seront levés, les coffres du roi seront-ils remplis, et l’État libéré ?

Vous me dites, monsieur, que votre flotte se prépare à voguer de Paris à Saint-Cloud : je vous donnerai nouvelles pour nouvelles. La mienne est venue d’Azof à Kaffa. Et à Constantinople, on est très-mélancolique de la perte de la Crimée : il faudrait leur envoyer l’Opéra-Comique pour dissiper leur chagrin, et les marionnettes aux mutins de Pologne ; cela vaudrait mieux que la quantité d’officiers que la France leur envoie. Si mes troupes les prennent, ils pourront assister aux représentations des drames de M. Soumarokof à Tobolsk.

Adieu, monsieur ; combattons les méchants, qui ne veulent point rester en repos, puisqu’ils le désirent. Aimez-moi, et portez-vous bien.

  1. Collection de Documents, Mémoires et Correspondances, etc., publiée par la Société impériale de l’histoire de Russie, tome XV, page 159.
  2. Voyez lettre 8357.