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Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8403

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Correspondance de Voltaire/1771
Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 541-542).
8403. — À CATHERINE II,
impératrice de russie.
12 novembre.

Madame, les malheurs ne pouvaient arriver à Votre Majesté impériale ni par vos braves troupes, ni par votre sublime et sage administration ; vous ne pouviez souffrir que par les fléaux qui ont de tout temps désolé la nature humaine. La maladie contagieuse qui afflige Moscou et ses environs est venue, dit-on, de vos victoires mêmes. On débite que cette contagion a été apportée par des dépouilles de quelques Turcs vers la mer Noire. Moustapha ne pouvait donner que la peste, dont son beau pays est toujours attaqué. C’était assurément une raison de plus pour tous les princes vos voisins de se joindre à vous, et d’exterminer sous vos auspices les deux grands fléaux de la terre, la peste et les Turcs. Je me souviens qu’en 1718 nous arrêtâmes la peste à Marseille ; je ne doute pas que Votre Majesté impériale ne prenne encore de meilleures mesures que celles qui furent prises alors par notre gouvernement. L’air ne porte point cette contagion, le froid la diminue, et vos soins maternels la dissiperont ; l’infâme négligence des Turcs augmenterait votre prévoyance, si quelque chose pouvait l’augmenter.

On parle d’une disette qui se fait sentir dans votre armée navale. Mais je ne la crois pas, puisque c’est un des braves comtes Orlof qui la commande. C’en serait trop que d’éprouver à la fois les trois faveurs dont le prophète Gad en donna une à choisir à votre petit prétendu confrère David, pour avoir fait le dénombrement de sa chétive province.

J’éprouve aussi des fléaux dans mes villages ; le malheur se fourre dans les trous de souris, comme il marche la tête levée dans les grands empires. Ma colonie d’horlogers a essuyé des persécutions, mais je les ai tirés d’affaire à force d’argent, et j’espère toujours qu’ils pourront vous servir à établir un commerce utile entre vos États et la Chine. En vérité, j’aurais mieux aimé les faire travailler sur les bords du Volga que sur ceux du lac de Genève.

Chassez à jamais la peste et les Ottomans au delà du Danube ; et recevez, madame, avec votre bonté ordinaire, le profond respect et l’attachement inviolable du vieil ermite de Ferney pour Votre Majesté impériale.