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Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8418

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Correspondance de Voltaire/1771
Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 553-554).
8418. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
À Ferney, 27 novembre.

Vraiment, mon héros, quand je vous envoyai le Bolingbroke par la poste de Toulouse, ce fut plutôt pour amuser le politique que pour instruire le philosophe. Vous êtes tout instruit ; cependant il n’est pas mal de répéter quelquefois son catéchisme, pour s’affermir dans cette bonne doctrine qui fait jouir de la vie et mépriser la mort.

Un autre Anglais nommé Muller[1], qui m’était venu voir à Ferney, et qui croit être partout dans le parlement de Westminster, s’est avisé de dire depuis peu, dans Rome, qu’il s’était chargé de me rapporter les oreilles du grand inquisiteur dans un papier de musique. Le pape, en ayant été informé, lui a dit : « Faites bien mes compliments à M. de Voltaire ; mais dites-lui que sa commission est infaisable : le grand inquisiteur n’a plus d’yeux ni d’oreilles. »

Moi, qui n’avais pas du tout chargé mon Anglais de cette mauvaise plaisanterie, j’ai été tout confondu du compliment de Sa Sainteté, J’ai pris la liberté de lui écrire que je lui croyais les meilleures oreilles et les meilleurs yeux du monde, un ingegno accorto, un cuore benevolo, et que je comptais sur sa bénédiction paternelle in articulo mortis.

À vue de pays, votre cour des pairs ne sera pas longtemps le parlement de M. Muller. Voilà une grande révolution faite en peu de mois ; c’est une époque bien remarquable dans l’histoire des Welches.

Vous savez, sans doute, tous les détails de l’assassinat du roi de Pologne ; c’est bien là une autre affaire parlementaire. Je vous supplie de remarquer que voilà cinq têtes couronnées, cinq images de Dieu assassinées en très-peu de temps[2] dans ce siècle philosophique. On ne peut pas dire pourtant que les philosophes aient eu beaucoup de part à ces actions d’Aod et de Ravaillac.

Conservez-moi vos bontés, monseigneur ; il faut que ceux qui ont encore la vigueur du bel âge aient pitié de ceux qui l’ont perdue.

  1. Voyez la lettre précédente.
  2. Louis XV, en 1757 (voyez tome XV ; page 389 ; et XVI, 93) ; Joseph, roi de Portugal, en 1758 (voyez tome XV, page 396) ; Pierre III, empereur de Russie, en 1762 (voyez tome XV, page 351) ; Ivan, empereur de Russie, détrôné l’année même de sa naissance, puis emprisonné jusqu’en 1764 qu’il fut poignardé (voyez tome XLII, 527) ; Stanislas-Auguste, roi de Pologne, attaqué le 3 novembre 1771 (voyez tome XXVI, page 468 ; et XX, 451).