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Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8443

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Correspondance de Voltaire/1771
Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 574-575).
8443. — À M. LE COMTE D’ARANDA.
À Ferney, 20 décembre.

Monsieur le comte, vos manufactures sont fort au-dessus des miennes ; mais aussi Votre Excellence m’avouera qu’elle est un peu plus puissante que moi.

Je commence par la manufacture de vos vins, que je regarde comme la première de l’Europe. Nous ne savons à qui donner la préférence du Canarie, ou du Garnacha, ou du Malvasia, ou du muscatel da Malaga. Si ce vin est de vos terres, il s’en faut bien que la terre promise en approche. Nous avons pris la liberté d’en boire à votre santé, dès qu’il fut arrivé.

Jugez quel effet il a dû faire sur des gens accoutumés aux vins de Suisse.

Votre manufacture de demi-porcelaine est très-supérieure à celle de Strasbourg. Ma poterie est, en comparaison de votre porcelaine, ce qu’est la Corse en comparaison de l’Espagne.

Je fais aussi des bas de soie ; mais ils sont grossiers, et les vôtres sont d’une finesse admirable.

Pour du drap, je ne vas pas jusque-là. Vos beaux moutons sont inconnus chez nous[1]. Votre drap est moelleux, aussi ferme que fin, et très-bien travaillé, sans avoir cet apprêt qui gâte, à mon gré, les draps d’Angleterre et de France, et qui n’est fait que pour tromper les yeux.

Agréez avec bonté mes remerciements, mes observations, et mon admiration pour un homme qui descend dans tous ces petits détails, au milieu des plus grandes choses. Il me semble que, du temps des ducs de Lerme et des comtes d’Olivarès, l’Espagne n’avait pas de ces fabriques.

Je conserve précieusement l’arrêt solennel du 7 de février 1770, qui décrie un peu les fabriques de l’Inquisition ; mais c’est à l’Europe entière à vous en remercier.

Si jamais vous voulez orner le doigt de quelque illustre dame espagnole d’une montre en bague, à répétition, à secondes, à quart et demi-quart avec un carillon, le tout orné de diamants, cela ne se fait que dans mon village, et on y sera à vos ordres Ce n’est pas par vanité ce que j’en dis, car c’est le pur hasard qui m’a procuré le seul artiste qui travaille à ces petits prodiges. Les prodiges ne doivent pas vous déplaire.

J’ai l’honneur d’être, avec un profond respect, etc.

  1. Ils ne le sont plus : les mérinos sont naturalisés en France.