Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8516
Notre Académie défile[1] : j’attends mon heure, mon cher enfant. J’envoie mon codicille à notre illustre doyen[2], qui pourrait bien se moquer de mon testament, comme il s’est moqué plus d’une fois de son très-humble serviteur le testateur.
Je crois que le philosophe d’Alembert, très-véritable philosophe qui a refusé la place du duc de La Vauguyon[3] à Pétersbourg, se soucie fort peu de la place de secrétaire ; mais nous devons tous souhaiter qu’il daigne l’accepter, d’autant plus que, malgré tous ses mérites, il a une écriture fort lisible ; ce que vous n’avez pas.
Le moment présent ne me paraît pas favorable pour écrire à l’homme en place dont vous me parlez[4]. On m’a fait auprès de lui une petite tracasserie, car il y a toujours des gens officieux qui me servent de loin. Agissez toujours ; pulsate, et aperietur vobis[5].
Connaissez-vous M. l’abbé du Vernet[6], qui veut absolument écrire ma vie, en attendant que je sois tout à fait mort ? M. d’Alembert le connait ; il faudrait qu’il eût la bonté d’engager mon historiographe à ne point faire paraître de mon vivant certains petits morceaux qu’il m’a envoyés, et qui me paraissent très-prématurés, et, qui pis est, très-peu intéressants. Je n’ose prier M. d’Alembert de lui en parler ; mais, si par hasard il voyait M. l’abbé du Vernet, il me ferait grand plaisir de l’engager à modérer son zèle, qui d’ailleurs ne lui procurerait ni prébende ni prieuré. Ces moments-ci ne sont pas les plus brillants pour la république des lettres ; nous sommes condamnés ad bestias. Contentons-nous, pour le présent, du bon témoignage de notre conscience. Pour moi, je mets tout aux pieds de mon crucifix, à mon ordinaire.
Adieu ; je vous embrasse de tout mon cœur, et je vous donne ma bénédiction in quantum possum, et in quantum indiges.
- ↑ Duclos, secrétaire perpétuel de l’Académie française, était mort le 26 mars 1772 ; Bignon, le 28 mars 1772.
- ↑ Richelieu.
- ↑ Le duc de La Vauguyon était gouverneur du dauphin et de ses frères (qui ont régné sous les noms de Louis XVI, Louis XVIII et Charles X.
- ↑ Le chancelier.
- ↑ Saint Matthieu, vii, 7 ; saint Luc, xi, 9.
- ↑ Voyez tome XLIII, page 28.