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Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8561

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8501. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL[1].
14 juin.

Tenez, mes anges, comme cela ne m’a coûté qu’une matinée à faire, vous perdrez encore moins de temps à le lire[2]. Mais la Crète est plus sérieuse ; et tel cerveau qui peut faire une épître en quatre ou cinq heures ne peut quelquefois corriger une scène en quatre ou cinq semaines : il y a des matières rebelles.

Daignez m’envoyer la Crète par M. Marin je la demande telle qu’elle est, raturée, biffée, tronquée, massacrée. Je la renverrai toute musquée. Il y a des choses absolument nécessaires que vous n’avez pas.

On parle d’une jeune Saint-Val[3] qui joue Zaïre mieux que Mlle Gaussin cela est-il vrai ? Elle devrait bien jouer Olympie à Fontainebleau. J’ai besoin que l’on me joue ; j’ai encore plus besoin de vous voir, avant de mourir.

Ma colonie a reçu de l’argent par M. Constant, et vous remercie.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. L’Épître au roi de Suède, tome X.
  3. Mlle de Saint-Val, ou Sainval cadette, venait en effet de jouer avec beaucoup de succès Inès de Castro et Zaire. Pour obtenir du comité jaloux le droit de débuter, elle déguisa, dit-on, son talent à la répétition. C’était déjà se montrer assez habile comédienne. Mlle Saint-Val était médiocrement jolie ; mais elle avait une voix touchante, un maintien noble et des yeux expressifs. Andromaque, Aménaide et Monime, étaient ses meilleurs rôles. Elle ne manquait pas d’agrément dans la comédie. C’est à elle que Beaumarchais confia le rôle de la comtesse du Mariage de Figaro. Elle resta quinze ans brouillée avec sa sœur aînée, actrice de beaucoup de mérite. Une allusion du parterre les réconcilia publiquement, et cette scène imprévue ne fut pas la moins applaudie de la pièce qu’elles jouaient. Mlle Saint-Val est morte en 1839, à plus de quatre-vingts ans. (A. F.)