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Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8695

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Correspondance : année 1772GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 230-231).
8695. — À M. DE LA HARPE.
30 novembre.

Il n’y a que vous, mon cher successeur, qui ayez pu écrire au nom d’Horace[1]. Heureusement vous ne lui avez pas refusé votre plume, comme il refusa la sienne à Auguste. Vous avez mis dans sa lettre la politesse, la grâce, l’urbanité de son siècle. Boileau[2] n’a jamais été si bien servi que lui. De quoi s’avisait-il aussi de prendre son secrétaire dans les charniers des Saints-Innocents ? Je vous remercie des galanteries que vous me dites, tout indigne que j’en suis ; et je vous remercie encore plus d’avoir si bien saisi l’esprit de la cour d’Auguste. Ce n’est pas tout à fait le ton d’aujourd’hui. Notre racaille d’auteurs est bien grossière et bien insolente ; il faut lui apprendre à vivre.

J’avais voulu autrefois ménager ces messieurs ; mais je vis bientôt qu’il n’y avait d’autre parti à prendre que de se moquer d’eux. Ce sont les enfants de la médiocrité et de l’envie ; on ne peut ni les éclairer ni les adoucir. Il faut brûler leur vilain visage avec le flambeau de la vérité. Jamais de paix avec un sot méchant pour peu qu’on soit honnête, ils prétendent qu’on les craint.

Vous donnez quelquefois dans le Mercure des leçons qui étaient bien nécessaires à notre siècle de barbouilleurs. Continuez ; vous rendrez un vrai service à la nation.

Je vous embrasse plus tendrement que jamais.

  1. C’est en effet La Harpe qui est auteur de la Réponse d’Horace : voyez la note, tome X, page 441.
  2. Clément avait publié une épître intitulée Boileau à Voltaire.