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Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8754

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Correspondance : année 1773GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 295-296).
8754. — À M. DE CHABANON[1].
1er février.

I nunc, et versus tecum meditare canoros.


Mon cher ami, il m’arrive une aventure digne de ce siècle, la lie des siècles. Je ne sais quel est le comédien, ou le souffleur, ou l’ouvreur de loges, qui s’est avisé de travestir ma tragédie des Lois de Minos, de supprimer ce que j’ai fait de plus passable, et de défigurer le reste par des vers à la Crébillon. Ce polisson a vendu secrètement la pièce à un libraire affamé, nommé Valade, qui la vend hardiment sous mon nom, sans approbation, sans privilège, et peut-être avec une espèce de permission tacite donnée, pour de l’argent, par un censeur de livres. Si cet infâme brigandage est autorisé dans Paris, il faut s’enfuir en Amérique. Tout ce qui se passe dans vos différents tripots est à peu près de même parure ; mais je ne m’intéresse qu’à ce qui s’appelle humanioræ litteræ, qui sont devenues inhumanæ litteræ. Dieu vous préserve, monsieur votre frère et vous, des brigands qui infestent les cafés, le parterre, le Parnasse, et les b… de toute espèce !

Adieu ; quoi qu’on en dise, Lulli sera toujours pour moi le dieu et le seul dieu de la déclamation. Je vous embrasse tendrement ; Mme Denis vous fait mille compliments.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.