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Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8834

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Correspondance : année 1773GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 368-369).
8834. — À M. DE LA BORDE[1].
5 mai.

Quoi ! mon cher Orphée, vous voulez que ce soit moi qui agisse, moi si étranger dans votre cour, moi pauvre vieillard, dont toute l’ambition est d’être oublié dans ce pays-là ! moi persécuté, moi mourant, moi qui n’ai jamais eu la moindre correspondance avec la personne[2] dont vous parlez !

J’ai grand’peur qu’Orphée n’ait joué de sa lyre devant des animaux jaloux de lui. Mais vous approchez vos dieux, vous êtes dans l’Olympe ; vous êtes à portée d’obtenir tout des déesses. Ces divinités daigneraient-elles seulement répondre à un mortel confiné dans un désert ? Liraient-elles seulement sa lettre ? Le héros qui préside aux fêtes daigne quelquefois se souvenir de moi, mais bien rarement. Je vais lui écrire et le prier de parler à la belle déesse. Je lui demanderai même si je puis hasarder une lettre, ce qui est extrêmement délicat dans la position où je suis. On m’a dit que beaucoup de choses avaient été applaudies à une répétition que vous fîtes faire, il y a, je crois, trois ans, quoique cette répétition fût très-mal exécutée, mais que surtout la symphonie et les voix s’acquittèrent très-mal de leur devoir au quatrième acte, et la musique ne parut que du bruit.

Cette répétition, qui devait faire l’effet le plus favorable, en fit un désavantageux ; cette impression est restée, à ce qu’on prétend, dans la tête du surintendant des fêtes de cette année. Je lui dirai que ce quatrième acte est tout changé, et que vous avez surtout accourci quelques endroits qui parurent trop longs.

Vous savez qu’il faut entrer un peu dans l’opinion des gens qu’on sollicite : en un mot, je vais faire tout ce qui dépendra de moi ; mais encore une fois, ce n’est pas dans les limbes où je suis que l’on dispose de la cour céleste.

Je vous embrasse bien tendrement. Je baise le manche de votre lyre, et je finis ma lettre pour écrire au maître des jeux.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Mme Du Barry.