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Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8845

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Correspondance : année 1773GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 378-379).
8845. — À M. DE CHENEVIÈRES[1].
17 mai.

Mon ancien ami, nous sommes très-sensibles, Mme Denis et moi, à votre souvenir. Je suis surtout très-flatté que vous cultiviez toujours les lettres ; elles vous rendront votre retraite encore plus agréable. Mais vous avez sur moi deux grands avantages : le premier est la santé, et le second la proximité de Paris ; vous êtes à portée de tous les plaisirs auxquels j’ai renoncé depuis longtemps. Vous avez sans doute une petite loge à l’Opéra, et nous n’en avons qu’à l’Opéra-Comique d’auprès de Genève ; vous pouvez voir les tableaux du Salon, et nous avons à peine un barbouilleur ; vous avez vu le beau pont de Neuilly[2], et nous n’avons que des vieux ponts de planches pourries ; vous avez le plus brillant voisinage, nous ne pouvons nous vanter d’une pareille société ; enfin vous faites encore des vers, et je n’en fais plus. Je ne sais si vous commencez à grisonner, mais j’ai bientôt quatre-vingts ans ; vous vous portez bien, et j’ai été sur le point de mourir ; vous me félicitez sur le retour de ma santé, et je suis aussi mal que j’étais ; d’ailleurs un peu sourd, un peu aveugle, très-impotent : quoi qu’on dise, je ressemble comme deux gouttes d’eau à une momie d’Égypte mal conservée.

Je conclus de tout cela que vous êtes bien généreux d’envoyer des vers de votre royaume de Chenevières à ma solitude des Alpes ; je ne puis que vous remercier de vos bienfaits, mais non pas y répondre.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Que venait de construire l’ingénieur Péronnet.