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Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8883

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8883. — À M. LE CHEVALIER DE LISLE[1],
capitaine de dragons, etc.
À Ferney, 12 juillet.

Si vous voyagez, monsieur, pour les belles divinités de la France, vous faites bien d’aller où est Mme la comtesse de Brionne[2]. Si vous voulez, chemin faisant, voir des ombres, comme faisait le capitaine de dragons Ulysse dans ses voyages, vous ne pouvez mieux vous adresser que chez moi. Je suis la plus chétive ombre de tout le pays, ombre de quatre-vingts ans ou environ, ombre très-légère et très-souffrante. Je n’apparais plus aux gens qui sont en vie. Mon triste état m’interdit tout commerce avec les humains ; mais, quoique vous n’ayez point traduit les Géorgiques[3], hasardez de venir à Ferney quand il vous plaira. Mme Denis, qui est le contraire d’une ombre, vous fera les honneurs de la chaumière. Nous avons aussi un neveu[4] capitaine de dragons tout comme vous, qui demeure dans une autre chaumière voisine. Et moi, si je ne suis pas mort absolument, je vous ferai ma cour comme je pourrai, dans les intervalles de mes anéantissements. Si je meurs pendant que vous serez en route, cela ne fait rien ; venez toujours, mes manes en seront très-flattés ; ils aiment passionnément la bonne compagnie.

J’ai l’honneur d’être avec respect, monsieur, votre très-humble et très-obéissante servante.

L’Ombre de Voltaire.

  1. Auteur de la Prophétie turgotine, chanson imprimée dans le tome III de l’Espion anglais, et qui commence ainsi :

    Vivent tous nos bons esprits
    Encyclopédistes !

  2. À Lausanne. (K.)
  3. La traduction des Géorgiques est d’un homonyme du chevalier (l’abbé Delille).
  4. Le marquis de Florian.