Correspondance de Voltaire/1774/Lettre 9039
Je n’ai pu remercier plus tôt mon cher ange de toutes ses bontés. Je ne suis pas toujours le maître de mon temps. J’ai été assez violemment malade huit jours de suite, et, dans cet état-là, on ne songe guère ni aux Africains, ni aux anciens Romains ; mais je songe toujours à mon cher ange.
Je ne sais pas trop ce que c’est que ces petites familiarités dont vous me parlez. Vous me ferez grand plaisir de m’en instruire quand vous aurez un moment de loisir.
Je n’ai reçu qu’une lettre assez vague de la part de La Harpe. Je suis si peu informé qu’on ne m’a pas même mandé si c’est Molé qui joue Scipion[1]. On dit qu’il n’est pas fait pour jouer seulement le rôle d’un page. Je ne le connais point du tout je m’en rapporte à ce que vous en pensez.
Lekain m’écrivit il y a quelque temps. Voulez-vous bien me permettre de mettre ma réponse[2] dans votre paquet ?
Tout le monde dit qu’il s’est surpassé dans le rôle de Massinisse. Je ne crois pourtant pas que cette pièce ait un succès durable. Celle de Mairet était ridicule, celle de Corneille ne valait rien du tout, et celle-ci ne vaut pas grand chose. Le succès constant est presque toujours dans le sujet, celui de Sophonisbe n’est que difficile.
Je suis encore si faible, et d’ailleurs si peu instruit de l’état présent du tripot, que je ne peux vous rien dire touchant le Code de Minos[3]. Cet ouvrage aurait pu passer dans le temps où il fut fait. C’était un vaudeville moitié polonais, moitié suédois.
Je vous prie, mon cher ange, lorsque vous voudrez bien m’écrire, d’adresser dorénavant vos ordres à Gex.
Je rends grâce au bon Dieu de ce que Mme d’Argental se porte mieux.