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Correspondance de Voltaire/1774/Lettre 9055

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Correspondance de Voltaire/1774
Correspondance : année 1774GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 569-570).
9055. — À M. LE MARQUIS DE CONDORCET[1].
À Ferney, 25 février.

Le vieux malade, monsieur, plus vieux et plus malade que jamais, presque aussi sourd que La Condamine, presque aussi aveugle que Mme du Deffant, vous écrit tout uniment par la poste, comme vous l’avez voulu, et comme vous avez eu raison de le vouloir. La voie dont il se servait[2] était trop dangereuse. Vous me l’avez dit, et je l’ai bien éprouvé.

Je vous dois mille remerciements. J’en ai dit quelque chose à votre digne confrère en secrétariat[3] ; mais je n’ai pas osé lui expliquer tout le problème. Je me flatte qu’il est aussi bien instruit que vous, et qu’il a trouvé l’équation tout d’un coup.

Voilà de ces choses qu’on ne devrait pas attendre dans la république des lettres. Que d’infamies dans cette république ! Il faut espérer que les deux secrétaires unis mettront tout sur un meilleur pied. Je suis un peu victime des brigands soi-disant lettrés ; mais je me console avec vous.

Le quatrième mémoire de Beaumarchais ne laisse pas de donner de grandes lumières sur des choses dont vous m’aviez déjà parlé, et dont je vous prierais de m’instruire si vos occupations vous le permettaient. Ce Beaumarchais justifie bien les défiances que vous aviez[4]. Malheureusement j’ai eu trop de confiance. Pour surcroît de peine, il faut que je me taise. Cela gêne beaucoup, quand on a de quoi parler et qu’on aime à parler.

Ne vous gênez pas, je vous en prie, avec moi, si vous savez quelque chose à m’apprendre touchant l’homme dont vous vous êtes si justement défié.

Il me semble que La Condamine vous a laissé un beau canevas à remplir. Son histoire philosophique sera curieuse. On dit qu’il est mort d’une manière très-antiphilosophique, en se mettant entre les mains d’un charlatan qui l’a tué[5]. Je sais bien que la plupart des hommes meurent entre les mains des charlatans, soit empiriques, soit autres.

Dieu me préserve de tous ces gens-là ! Je serai bientôt dans le cas.

Adieu, monsieur : jouissez en paix de la vie, de votre réputation et de votre vertu.

Si vous me faites l’honneur de m’écrire, je vous prie d’adresser vos lettres à Gex.

Raton.

  1. Œuvres de Condorcet, tome Ier ; Paris, 1817.
  2. Celle de Marin.
  3. D’Alembert.
  4. Contre Marin.
  5. Voyez le récit de sa mort dans la Correspondance de Grimm, février 1774, et plus loin, page 576, dans la lettre de Condorcet à Voltaire du 6 mars 1774.