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Correspondance de Voltaire/1774/Lettre 9079

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Correspondance de Voltaire/1774
Correspondance : année 1774GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 594-595).
9079. — À M. LE BARON CONSTANT DE REBECQUE.
11 avril.

L’ange exterminateur est chez nous. Wagnière et moi, nous sommes au lit. Je m’y démène comme un possédé, quand je vois que les Welches de Paris ne veulent pas convenir que l’Épître à Ninon soit du comte Schouvalow. Monsieur son oncle, qui est dans Paris, et qui a fait tirer une trentaine d’exemplaires de ce singulier ouvrage, sait bien ce qu’il en est. Il en a été aussi étonné que moi. Il y a un vers que je n’entends point, qui est probablement une faute d’impression. J’avoue que c’est un prodige qu’un tel ouvrage nous vienne du soixante et unième degré ; mais le génie, qui est rare partout, se trouve aussi en tout climat. Fontenelle avait tort de dire qu’il n’y aurait jamais de poëtes chez les Nègres : il y a actuellement une Négresse qui fait de très-bons vers anglais[1]. L’impératrice de Russie, qui est l’antipode des Négresses, écrit en prose aussi bien que son chambellan en vers, et tous deux m’étonnent également. Ceux qui m’attribuent la Lettre à Ninon sont bien malavisés. Je ne dirai pas, comme Mme Deshoulières :


Ce n’est pas tant pis pour l’ouvrage,
Quand on dit que nous l’avons fait[2].


Mais je ne suis pas assez impertinent pour me donner à moi-même les louanges que M. de Schouvalow me prodigue dans son épître, et qui ne sont pardonnables qu’à l’amitié. Il est aussi faux que Catherine vende ses diamants qu’il est faux que j’aie taillé ceux qu’on a envoyés de Pétersbourg à Ninon. J’ajoute qu’elle se moque très-plaisamment de M. Pugastchew. On ne sait ce qu’on dit à Paris ni en vers ni en prose. Je vous prie, monsieur, de vouloir bien me faire avoir l’épître de M. Dorat[3], qui ne sera certainement pas tombé dans l’erreur du public.

Le vieux malade vous embrasse très-tendrement.

  1. Elle s’appelait Phillis-Wheatley, et est morte en 1787. Elle habitait Boston, mais ses œuvres avaient été imprimées en Angleterre sous ce titre : Poems on Various subjects religious and moral, Londres, 1773, in-8o (voyez pages 200-272 du volume intitulé De la Littérature des Nègres, par Grégoire, 1808, in-8o).
  2. Réponse à M. de Saint-Gilles.
  3. Dorat a fait une réponse de Ninon à un comte russe :

    Quoi qu’en ait dit votre sot genre humain,
    Je tiens toujours à la philosophie, etc.


    Cette épître, en vers de dix syllabes, est autre que la Réponse de mademoiselle Ninon Lenclos à M. de V*** (par Maucherat de Longpré). C’est cette dernière qui est en vers alexandrins, et dont l’auteur suppose Voltaire auteur de l’Épître à Ninon que Voltaire fit réimprimer ; voyez lettres 8955 et 9081.