Correspondance inédite de Hector Berlioz/032

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Texte établi par Daniel Bernard, Calmann Lévy, éditeur (p. 141-143).
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XXXII.

AU MÊME.


Breslau, 13 mars 1846.

Je te remercie cent fois, mon cher ami, de ta lettre. Elle m’est parvenue ce matin, et j’y ai trouvé enfin des nouvelles de Paris dont je suis privé depuis très-longtemps. Desmarets ne m’a envoyé que quelques lignes…

Il a été effectivement question à Vienne de m’engager, non pas à la place de Donizetti qui n’est pas vacante, puisqu’il vit encore, mais à celle de Weigl (directeur de la Chapelle impériale) qui vient de mourir. Quelqu’un dont l’influence est considérable dans la capitale de l’Autriche, m’ayant demandé si j’acceptais cette position, je répondis que j’avais besoin de réfléchir vingt-quatre heures. Il s’agissait de s’engager à rester indéfiniment à Vienne sans pouvoir obtenir le moindre congé pour revenir annuellement en France. À ce sujet, j’ai fait une curieuse découverte ; c’est que Paris me tient tellement au cœur (Paris, c’est-à-dire vous autres, mes amis, les hommes intelligents qui s’y trouvent, le tourbillon d’idées dans lequel on se meut), qu’à la seule pensée d’en être exclu, j’ai senti littéralement le cœur me manquer et j’ai compris le supplice de la déportation. Ma réponse a été péremptoirement négative et j’ai prié qu’on ne me mît point sur les rangs pour la succession de Weigl. La place de Donizetti n’est pas si rude, puisqu’elle me donnerait six mois de congé ; mais il n’en est pas question.

Remercie Dietsch de l’intérêt qu’il prend à ce qui me regarde et dis-lui que je lui prépare de la besogne avec mon grand opéra de Faust, auquel je travaille avec fureur et qui sera bientôt achevé. Il y a là des chœurs qu’il faudra étudier et limer avec soin. J’espère beaucoup de cette composition qui me préoccupe au point d’oublier presque le concert que je prépare (ou plutôt que l’on prépare ici). J’ai été peu engagé par le spécimen que les artistes de Breslau m’ont donné de leur savoir-faire ; cependant ils sont fort empressés et me fêtent de leur mieux. Il y a même ce matin une affiche portant ces mots : « Grand concert donné par M. le maître de chapelle Schöne en l’honneur du M. le chevalier Berlioz de Paris. » Je serai donc obligé d’aller demain soir me montrer en loge ornée et fleurie ; on viendra me chercher en voiture ; vu la circonstance de la guerre de Pologne, on ne tirera pas le canon, mais il est défendu de fumer dans la salle.

Adieu.