Correspondance inédite de Hector Berlioz/096

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Texte établi par Daniel Bernard, Calmann Lévy, éditeur (p. 264-265).
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XCVI.

AU MÊME.


Paris, 18 mars 1859.

Je n’ose vous engager à faire le voyage de Paris pour faire soigner vos yeux ; les cures du docteur Vriès dans cette spécialité ne me sont pas connues ; il est en outre en ce moment et il sera de plus en plus inabordable ; il faut faire queue chez lui pendant quatre ou cinq heures sans être sûr de pouvoir lui parler, et il vous demandera plusieurs mois pour suivre son traitement. Quant à moi, je suis depuis plus de dix jours repris de mes infernales coliques qui ne me quittent pas une heure sur vingt-quatre. Rien n’y fait.

Je me force pourtant à vaincre ma faiblesse, pour organiser un concert spirituel à l’Opéra-Comique le samedi saint. Il faut gagner de l’argent, et, ce jour-là, je suis à peu près sûr de remplir la salle. Ce pauvre Louis, qui n’a jamais rien entendu de moi, sera cette fois au moins à Paris. Je commence à m’étonner du retard de l’arrivée de son navire. Mille amitiés à Lecourt. J’ai un nouveau patron pour mon opéra, un prôneur très chaud ; c’est M. Véron, qui a voulu entendre dernièrement une lecture du poème et qui en dit partout de magnifiques choses. Il déclare le cinquième acte un chef-d’œuvre, en ajoutant que, s’il était directeur, il dépenserait cent cinquante mille francs pour monter cela.

Il est vrai que les paroles ne l’engagent à rien ; mais elles font sensation parmi les gens de l’Opéra. Peu à peu, seront-ils forcés de venir vers la montagne ?… en tout cas la montagne s’obstine à ne pas aller à eux. Je n’ai jamais parlé de mon ouvrage à Royer et je ne lui en parlerai jamais.

Pauvre ami, je vous plains d’être ainsi harcelé par vos chanteurs. Adieu.

Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.

Embrassez Louis pour moi trente ou quarante fois.