Correspondance inédite du marquis de Sade/1787

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Texte établi par Paul BourdinLibrairie de France (p. 220-229).
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1787


Madame de Sade a la fièvre rouge ; elle s’en défait sans dommage, avale une purge surnuméraire contre les revenez-y et va visiter son époux qui lui a fait demander six cents livres.

C’est l’année du commandeur ! L’admiration et le respect que la famille lui témoigne n’ont du reste rien de commun avec le faux culte dont on entoure les parents à héritage, car les membres de l’ordre de Malte ne sont qu’usagers de leurs biens et ce n’est point sur sa dépouille que l’on compte, mais sur les manifestations de son bon vouloir.

Pendant son séjour à Paris, il a daigné faire connaître ses intentions et « elles ont paru avantageuses au bien de la famille ». Cet homme est de l’argent vivant et le haut pouvoir qu’il incarne ennoblit jusqu’à la cupidité de ses proches : le réalisme de la présidente elle-même cède à une illusion qui touche à l’extase. Les cristallisations bourgeoises de cet ordre ne sont point rares, et la sécheresse de certaines âmes tient plus à l’étroite rigueur de la loi qu’elles suivent qu’à un défaut de possibilités mystiques.

Mais le grand prieuré de Toulouse n’est pas encore vacant et l’auberge coûte cher. Le commandeur, qui ne se laisse pas griser par l’encens qu’on lui brûle, estime que, si son petit neveu attend quelque profit de ce sacrifice, il doit le partager avec lui. Il propose donc à madame de Sade de tenir auberge six mois chacun. La marquise ne songe même pas à décliner la proposition. Elle se décide à prélever douze mille livres sur les revenus et presse Gaufridy de lui en faire parvenir d’abord trois mille, qu’il se procurera comme il le pourra. Si le commandeur vient à mourir, on arrêtera les frais ; s’il vit, ce sera de l’argent bien placé.

Le chevalier, après la réception de ses preuves, part pour Saint-Cloud, d’où il gagnera Malte. La marquise le suit de loin au cours de ce voyage, s’inquiète de l’argent qu’on lui donne, charge Gaufridy de le pourvoir de linge et d’un petit mobilier. La mère a d’ailleurs abdiqué tout pouvoir entre les mains du commandeur, à qui les lettres donnent, pour la première fois, le titre de bailli. Madame de Montreuil lui abandonne pareillement la direction de son petit-fils. Sa tutelle est finie. Fasse le ciel que le grand-oncle soit content de son élève et que les bonnes intentions qu’il a marquées deviennent bientôt efficaces !

L’aîné est toujours en garnison à Belle-Isle et ne veut pas qu’on l’oublie. S’il n’a pas le choix des moyens, celui dont il se sert est des plus énergiques : il déclare ses dettes. Il en a fait pour dix-huit cents livres en trois ans et demande humblement qu’on les lui avance, sauf à les retenir, pendant trois autres années, sur sa pension. C’est le défaut d’ordre et un peu de jeu qui en sont cause. Mais le déficit est plus grand qu’il ne l’a avoué. On s’aperçoit bientôt qu’il ne faudra pas moins de quatre mille livres pour le combler. Du reste il se conduit très bien et son cas n’est pas unique. Il l’est même si peu que son frère se trouve bientôt pendu à la même potence, bien qu’il ait été sage comme un Caton durant son séjour à Paris. Les emprunts qu’il a contractés à son corps et pendant qu’il était aux eaux atteignent sensiblement le même chiffre.

Les dépenses d’auberge ne viendront pas, heureusement, s’ajouter à celles-ci. M. le grand prieur de Toulouse suit son collègue de Saint-Gilles dans la tombe et cette fois la succession échoit à M. le bailli qui ne finit même pas son semestre. L’argent dont la marquise avait fait mentalement le sacrifice (elle avoue à Gaufridy qu’elle avait une petite réserve) n’ira pas à Malte et servira à racheter, jusqu’à due concurrence, la pension d’un capital de vingt-cinq mille livres que l’on sert à M. de Caumont. Toutefois elle juge honnête et de bonne politique de maintenir l’offre faite au grand prieur, tout en lui marquant bien le profitable emploi qu’on fera de cet argent s’il le refuse. C’est un risque à courir.

Le chevalier a résidé huit jours chez son grand-oncle. Il y a fait la connaissance de la tante la Coste, de la tante Villeneuve et d’une fille de celle-ci, madame de Raousset, à qui il promet d’envoyer, quand il sera à Malte, un fiasque d’eau de fleurs d’oranger. Cette dame est deux fois comblée, s’il est exact (comme l’assure le marquis) qu’elle ait pris au chapeau de son petit-cousin la fleur d’orange qui l’ornait encore ! Le cadet s’embarque enfin à Marseille, après une visite à la Coste où les vassaux l’accueillent avec des pétards et des bombes. Madame de Sade en est fâchée, mais elle espère que le grand prieur, récemment nommé, prendra pour lui ce joyeux tintamarre. Le navire est poussé par le vent dans le port de Syracuse et arrive à Malte après dix-sept jours de traversée. Le chevalier commence aussitôt ses caravanes, qu’il pense pouvoir terminer en dix-huit mois, et tient presque toujours la mer. Ses lettres sont pleines de suffisance et de candeur : il est bon enfant et « joli homme ».

Madame de Montreuil est enfin parvenue à son but : par sentence scellée le vingt un juin, vu la requête des proches de M. de Sade et l’interrogat de sa femme qui a déclaré s’en rapporter à justice, M. le lieutenant civil au Châtelet homologue l’avis de parents et pourvoit à la gérence des biens du marquis, absent depuis dix ans. Les droits généraux d’administration sont conservés à Gaufridy, mais en présence et avec l’agrément du grand prieur, nommé pour recevoir la reddition des comptes et employer les fonds aux dépenses qui auront été autorisés par lui-même et par le président de Montreuil. Madame de Sade pourra toucher, sur ses simples quittances, les revenus de ses biens propres et en remployer le prix conformément à l’avis de parents. Il lui est en outre délégué, sur les revenus de son mari, une pension annuelle de quatre mille livres à prendre sur les loyers d’Arles, mais à charge par elle de servir quelques menues pensions payables à Paris. La tutelle et la direction des enfants est confiée à la mère et au grand prieur. Les parents qui ont signé l’avis, par eux-mêmes ou par fondés de pouvoirs, sont : du côté du marquis, Joseph Gaspard Balthazar de Sade, bailli et grand commandeur de l’ordre de Malte, citoyen de la ville d’Avignon, depuis peu grand prieur de Toulouse, et Jean-Baptiste Joseph David, comte de Sade-Eyguières, seigneur d’Eyguières, comte de Montbrun, lieutenant-général pour le roi des provinces de Bresse, Bugey, Valromey et Gez, demeurant à Paris, rue Cassette, paroisse Saint-Sulpice ; du côté des Montreuil, Claude René Cordier de Montreuil, chevalier, conseiller du roi en ses conseils, président de sa cour des aides à Paris, et trois cousins de robe et d’épée cheminant sur leurs titres comme des mille-pattes.

Les affaires de M. de Sade n’iront pas mieux, mais le fossé qui avait commencé à s’ouvrir entre sa femme et lui se creuse d’un seul coup sans que la marquise en ait encore conscience.

Il va de soi que le grand prieur ne change rien à sa manière de vivre, malgré l’aveuglement de madame de Montreuil qui veut que Gaufridy lui envoie sans plus tarder les comptes qu’il doit désormais arrêter. Son premier acte est d’égarer la sentence qui le nomme. Dès le vingt-six août, il écrit à l’avocat pour le prier de venir conférer avec lui des moyens à prendre afin de remédier aux maux « causés par l’anarchie » et lui déclare qu’il est las de la procuration qu’il a acceptée « pour raisons que bien pouvez comprendre ». Son rôle se borne par la suite à signer des pouvoirs en blanc et à entreprendre au château de Mazan, où il veut venir s’installer, des réparations très coûteuses. Il a d’ailleurs repris la route et n’use pas de l’appartement que madame de Villeneuve lui a fait ménager près du sien à Carpentras. Au retour de Toulouse, où il s’est fait recevoir et a tenu son chapitre, il repart pour Marseille et y fait une chute. On doit, pendant huit jours, lui couper son pain et le nourrir à la fourchette. Il se propose d’aller ensuite prendre ses quartiers d’hiver dans son grand prieuré.

Madame de Sade s’est fort bien accommodée de son inaction. Elle prie toutefois Gaufridy de continuer à la tenir au courant et demande qu’on ajoute à sa pension une somme annuelle de six cents livres pour lui permettre de satisfaire aux menues réclamations du marquis ; mais les dépenses extraordinaires qu’il pourra faire seront portées en compte. Le grand prieur et la fonction dont on l’a revêtu lui en imposent. S’il fait des dépenses à Mazan, il a désormais le droit de les faire. Tout s’efface devant l’espoir que le chevalier aura une des commanderies qui dépendent du grand prieuré de Toulouse.

Ce jeune homme a touché barre à Toulon pendant une croisière et n’a pas quitté le port. L’aîné est à Paris dans le courant d’octobre, mais tous les officiers reçoivent l’ordre de rejoindre leurs corps avant le premier novembre. Il rentre à Belle-Isle et y tombe malade.

L’instance engagée à Rome sur les droits régaliens serait de grande conséquence pour les coseigneurs de Mazan, si le rescrit que l’on espère obtenir de l’auditeur du pape n’était un acte de pure juridiction gracieuse que la chambre de Carpentras risquera fort de contester lorsqu’elle en sera instruite.

La récolte est bonne ; le seul mas de Cabanes a donné au seigneur, pour sa part, cent septiers de plus que l’année précédente. Ce fait n’est pas une exception et les événements qui se préparent n’ont pas été la conséquence d’une longue période de disette ; du reste les révolutions ont plus souvent pour cause l’impuissance de l’état à assurer une bonne répartition des richesses que la misère générale.

M. de Sade, qui souffre encore un peu des yeux et continue à trop écrire, s’est fait envoyer douze bouteilles d’excellent vin cuit, du nougat blanc et des chinois, exquise confiture de son pays que l’on fait avec de petites oranges vertes. Il a prodigieusement grossi.




La marquise demande de l’argent pour ses frais d’auberge et pour ses fils, du vin cuit et du nougat pour son mari. (28 février 1787).

……Je voudrais savoir les charges de suite, ce qu’il y a de revenu libre. Cela m’est essentiel à savoir promptement pour deux articles : 1o  pour faire passer environ cinq mille livres à Malte, et 2o  pour dix-huit cents livres de dettes de M. le comte qui vient de manger cette somme au régiment pendant les trois ans, en sus de sa pension. La dette lui sera bien retenue pendant trois autres années, mais il faut en faire l’avance……

M. de Sade désire une douzaine de bouteilles d’excellent vin cuit et une boîte de nougat blanc. Il faudrait m’en envoyer, et pour compléter le poids, pour que cela puisse passer par les rouliers, augmentez en nougat et vin ce qu’il faudra pour que les rouliers puissent l’apporter et que cela coûte moins……


Madame de Montreuil explique à l’avocat pourquoi et comment on a décidé de pourvoir à l’administration des biens de M. de Sade. (30 mars 1787).

……Vous avez sûrement vu présentement le chevalier auprès de M. le commandeur qui, sûrement, vous aura fait savoir son arrivée ainsi que ma fille. Je désire fort qu’on soit content de mon élève, et lui particulièrement. Voilà ma tutelle finie avec son éducation, et je le remets sous la direction de M. son grand-oncle.

Quand on est à deux cents lieues, qu’on ne se connaît point, on s’entend difficilement. M. le bailli[1] de Sade l’a jugé ainsi lorsqu’il a eu le courage (car il en faut à son âge) de faire le voyage de Paris qui ne pouvait avoir d’autre objet, je crois, que le bien de sa famille. Il a dû établir plus de confiance respectivement, et je suis enchantée que vous vous soyez aperçu d’un changement favorable pour ses neveux. Il n’a pu connaître encore que le cadet qui a paru lui plaire, et c’est en effet jusqu’ici un très bon sujet. L’aîné ne pouvait dans ce temps quitter son régiment et M. le bailli, comptant rester plus longtemps, ce qu’il aurait fait sans la mort du grand prieur de Saint-Gilles, n’avait pas voulu que je demandasse un congé.

Vous sentez mieux qu’un autre, monsieur, la nécessité d’une administration provisoire en l’absence, puisque, faute d’un pouvoir légal, vous vous trouvez arrêté à tout moment, soit pour défendre les intérêts de M. et madame de Sade, attaqués dans différentes parties de leurs terres par des usurpations, soit dans les améliorations qui pourraient être faites pour l’augmentation progressive des biens fonds, soit pour votre propre sûreté, ne pouvant arrêter ni les comptes de l’ancienne administration ni rendre les vôtres qui deviennent anciens et conséquents. Les pièces justificatives peuvent s’égarer, mille accidents arriver, et depuis longtemps, vous aviez paru le désirer. Le compte, vu par madame de Sade sans doute, ne pourra-t-il pas être rendu à M. le bailli, comme plus proche parent paternel ?

Vous verrez, monsieur, je crois, que la famille vous continuera la même confiance qu’a mise en vous M. de Sade, confiance qui ne manque son effet que faute de procuration judiciaire, nécessité à laquelle il faut pourvoir ; confiance très méritée et à laquelle j’applaudirai plus que personne, par les sentiments d’estime et de considération avec lesquels je suis bien sincèrement, monsieur, votre très humble et très obéissante servante.

Masson de Montreuil.

……Comme l’intérêt n’est pas toujours ce qui m’affecte, j’oubliais de vous répondre aux bonnes intentions dont M. le bailli vous a fait part pour son petit-neveu. Rien de mieux assurément, mais je ne me permettrai aucune instigation. Il doit tout tenir de sa bonne volonté, et mériter ses bontés. J’espère qu’il aura le temps de réaliser ses bonnes intentions……

La dame paraît très tranquille. Mais le motif est-il plus de réflexion ou politique vis-à-vis des familles ? C’est ce que je ne puis démêler. On s’est toujours défié de moi bien mal à propos, vous le savez. On a confiance en vous. Mandez-moi votre pensée, sur tout, et soyez tranquille. Comptez sur ma discrétion et réserve générale. Vous l’avez éprouvée.[2]


La marquise est heureuse que la mort du grand prieur de Toulouse la décharge de l’obligation de tenir auberge avec son oncle. Le chevalier est parti pour Malte après un séjour dans le Comtat et à la Coste. (27 avril 1787).

……La circonstance de la mort du grand prieur de Toulouse est heureuse ; je ne crois pas vous avoir écrit depuis. Elle nous tire bien d’embarras sur des objets délicats et risquables.

J’aime mieux que mes enfants se fassent désirer de leurs parents que de les leur jeter à la tête. C’est bien exprès que je n’ai point écrit à madame de Raousset[3] et je suis enchantée qu’il en ait été bien reçu et accueilli…… Mon fils a été enchanté de sa réception à la Coste. Il a vu cela en enfant, mais moi j’aurais beaucoup mieux aimé qu’il n’y eût pas tant de tapage. Je ne puis qu’être sensible au motif ; heureusement que ce n’est pas l’aîné ; et puis la nouvelle du grand prieur était en même temps, cela pourra passer pour un compliment au grand prieur et alors cela devient tout simple……


Le chevalier de Sade raconte sa traversée et va commencer ses caravanes. « Malte, ce 11 mai 1787 ».

Je suis arrivé à Malte, mon cher monsieur Gaufridy, après bien des peines et des vents contraires. Après avoir attendu huit jours à Marseille le bâtiment sur lequel je devais partir, j’ai été obligé d’en prendre un autre. Il n’y a que deux jours que nous sommes arrivés ; nous avons relâché huit jours à Syracuse et, comme maman m’avait demandé du vin de Syracuse, j’en ai acheté un petit baril qui est dans la caisse que je vous envoie. Il faut l’ouvrir ; vous y trouverez une dame-jeanne d’eau de fleurs d’oranger que vous enverrez à madame de Raousset de ma part…… Je viens d’écrire à mon oncle, à ma tante et à tout le monde. J’espère être quitte de mes caravanes[4] dans dix-huit mois et nommé dans un an. Quand vous verrez Ripert, vous lui direz bien des choses.

Adieu, au revoir ; tôt ou tard il faudra bien que cela vienne.

Chevalier de Sade.

La marquise voit tous les quinze jours M. de Sade qui a beaucoup grossi.

……Je vous remercie des nouvelles que vous me donnez du pays, je les dirai à M. de Sade que je vois exactement tous les quinze jours. Il se porte assez bien, mais il grossit beaucoup. Bonsoir, monsieur l’avocat. Portez-vous bien ; mille amitiés à madame Gaufridy. Ce 25 mai 1787.


La marquise pense que l’on aurait dû rendre la liberté à son mari au lieu de pourvoir à l’administration de ses biens. (24 juin 1787).

……Vous voudrez bien me rendre compte comme à l’ordinaire du courant afin que, si M. de Sade me questionne, je puisse lui répondre et en outre je serai fort aise de recevoir de vos nouvelles. Mais je ne donne plus d’ordres de ce moment-ci……

Mon humeur ne porte pas sur ce que vous êtes nommé, mais sur ce que l’on s’occupe d’administration au lieu de le faire sortir.

Mon avis est que cela ne soit pas ébruité dans le pays. Je n’ai pas cru devoir m’y opposer parce que ce manque d’administration fait un tort réel aux affaires de M. de Sade……


La marquise demande qu’on ajoute à la somme annuelle qui lui est allouée par la sentence du Châtelet les dépenses qu’elle fait pour M. de Sade. (24 août 1787).

……À l’égard de l’argent à m’envoyer, vous prendrez les ordres du grand prieur à ce sujet ; quoique la somme soit constatée dans l’acte, c’est une politesse à lui faire que de lui demander cet ordre. C’est quatre mille livres à compter de juillet dernier. Pour la pension de M. de Sade, cela ne me regarde pas. Mais il a été spécifié cinquante livres par mois que je paie, parce que M. de Sade m’a dit qu’il le désirait pour ses menus plaisirs, ce qui fait six cents livres de plus que le gouvernement a arrêté. C’est toujours moi qui les porte ; en conséquence cela fait quatre mille six cents livres en tout par an que vous m’enverrez, dont six cents livres pour M. de S. Si cela passe, je prendrai sur mon compte et, entre nous soit dit, cela va plus loin, mais, comme je veux être sûre qu’il a tout ce qu’il désire, je me suis chargée volontiers et ne fais nulle chicane là-dessus. Il y a son entretien et les médecins quand il est malade. Cela n’est point compris dans la pension. À mesure qu’il y en aura pour une somme, j’enverrai les quittances et vous les ferai passer……


Le bailli de Sade, grand prieur de Toulouse, est las de son mandat d’administrateur avant d’en avoir usé.

J’ai accepté, monsieur, peur le bien de tous, et pour le préjudice de pas un, une procuration dont je suis déjà las, par des raisons que bien pouvez comprendre. J’aurais désiré et je devais m’y attendre, connaissant votre zèle et votre attachement, que vous viendriez conférer avec moi pour remédier aux maux que pourrait avoir causés l’anarchie. M. le vice-légat m’a parlé sur un point important qui demande un remède prompt. Je sens que les chaleurs peuvent mettre obstacle à notre entrevue ; j’offre de me rendre à l’Isle le jour qu’il vous plaira m’indiquer. J’ai reçu encore aujourd’hui une lettre de madame de Montreuil. Voyez, monsieur, si vos affaires vous permettent de vous prêter à ce que je vous propose. Vous me trouverez toujours disposé à vous témoigner l’estime et la considération avec laquelle j’ai l’honneur d’être votre très humble et très obéissant serviteur.

Le bailli de Sade.

À Saint-Cloud, le 26 août 1787.


La marquise ne trouve rien à redire aux dépenses que le grand prieur veut faire à Mazan. (20 septembre 1787).

……Vous me demandez ma façon de penser sur la dépense que le g. p. propose de faire à Mazan en sacrifiant la partie des lods qui restent, objet, selon votre lettre, d’environ cinq cents livres. Il me semble qu’en tout état de cause cela est bien et peut être avantageux. Aussi je ne vois pas de motif de lui refuser cette satisfaction et, en général, toutes celles qui vont au bien des terres et des bâtiments sont dans le même cas……

M. de Sade a un mal aux yeux qui m’inquiète. Il y a fort longtemps qu’il dure ; il lui vient de ce qu’il s’applique trop à lire et je ne vois pas de diminution à son mal et crois que c’est une humeur qui veut se jeter là.

L’on m’a dit que vous aviez eu des chaleurs excessives ; ici il n’y a eu que quelques jours et nous voici au froid et à la pluie. Les vins seront détestables et chers. Portez-vous bien, monsieur l’avocat……


La marquise demande des petits chinois pour son mari. (28 novembre 1787).

……M. de Sade désire vivement des petits chinois, confiture excellente dont il est enchanté. Si vous aviez quelque occasion pour m’en faire passer quelques pots, cela arriverait plus tôt que par les rouliers, ou si le courrier pouvait s’en charger et que cela ne fût pas extrêmement cher par lui ; le plus prompt et le moins cher seront le mieux. Je lui ai dit que je vous avais écrit pour cela, hier que je l’ai vu. Il se porte bien, ses yeux vont mieux. Vous retiendrez cela sur l’argent que vous m’enverrez……


Le chevalier de Sade raconte ses caravanes. (Malte, 12 décembre 1787).

Monsieur,

J’ai reçu ici votre lettre en arrivant avec les vaisseaux il y a quinze jours, car j’ai bien fait des voyages depuis que je suis ici. D’abord, j’ai fait une campagne avec les galères, qui a duré cinq jours. Arrivé, on m’en a fait faire une sur les vaisseaux parce qu’il n’y avait pas assez de monde pour embarquer. De sorte que, depuis six mois que je suis ici, j’en ai passé cinq à la mer. Ainsi je n’ai pas encore eu le temps de m’ennuyer ici et c’est toujours autant de gagné. Nous avons été à Toulon où j’avais bien envie d’aller dire bonjour à mon oncle, mais nous n’y avons resté que trois jours. Je lui ai écrit pour le remercier de son argent. Vous me faites plaisir de me dire que mon frère viendra en Provence l’année prochaine. Je voudrais bien, et j’ai lieu de l’espérer, que mes caravanes seront finies pour ce temps……




  1. Dignitaire de l’ordre de Malte. Chaque langue était divisée en grands prieurés, bailliages capitulaires et commanderies (commanderies magistrales, de justice ou de grâce). Le premier dignitaire de la langue était bailli conventuel, ou pilier de l’ordre, et recevait un titre propre. Le grand prieur de France avait celui de grand-hospitalier. Les huit baillis conventuels siégeaient au conseil, sous le grand-maître, avec quelques autres parmi lesquels les baillis de grâce.
  2. Ce dernier paragraphe est écrit sur un billet séparé.
  3. Une des filles de madame de Villeneuve, cousine germaine du marquis.
  4. Croisières que faisaient les jeunes chevaliers de l’ordre de Malte, élus en chapitre après réception de leurs preuves, afin d’enlever les caravanes d’infidèles qui revenaient par mer d’Égypte. Ils n’obtenaient voix au chapitre qu’après les avoir accomplies. « Faire ses caravanes » se disait pour « faire ses débuts ».