Corydon/06

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NRF – Gallimard (p. 113-138).

QUATRIÈME DIALOGUE


— Un livre a paru ces dernières années, me dit-il, qui n’a pas été sans soulever quelque scandale. (Et j’avoue que moi-même je n’ai pu me défendre, en le lisant, d’un sursaut de réprobation). Peut-être le connaissez-vous ?

Corydon me tendit alors le traité : Du mariage de Léon Blum.

— Il m’amuse, lui dis-je, de vous entendre parler de réprobation à votre tour. Oui ; j’ai lu ce livre. Je le tiens pour habile ; et, partant, pour assez dangereux. Les juifs sont passés maîtres dans l’art de désagréger nos institutions les plus respectées, les plus vénérables, celles mêmes qui sont le fondement et le soutien de notre civilisation occidentale, au profit de je ne sais quelle licence et quel relâchement des mœurs, à quoi répugne heureusement notre bon sens et notre instinct de sociabilité latine. J’ai toujours pensé que c’était peut-être là le trait le plus caractéristique de leur littérature ; de leur théâtre en particulier.

— On a protesté contre ce livre, reprit-il, mais on ne l’a point réfuté.

— C’est que la protestation suffisait.

— Il n’en reste pas moins que le problème se pose, et que l’escamoter n’est pas le résoudre — si indigné qu’on soit par la solution que préconise Blum.

— Quel problème ?

— Il se rattache directement à ce que je vous disais avant-hier : Le mâle a beaucoup plus à dépenser qu’il ne convient pour répondre à la fonction reproductive de l’autre sexe et assurer la reproduction de l’espèce. La dépense à laquelle l’invite la Nature est assez incommode à régler et risque de devenir préjudiciable au bon ordre de la société telle que les peuples occidentaux la comprennent.

— D’où cette nostalgie du sérail, dans le livre de Blum, qui répugne ai-je dit à nos mœurs, à nos institutions occidentales, essentiellement monogames[1].

— Nous préférons le bordel.

— Taisez-vous.

— Disons : la prostitution. Ou l’adultère. Il n’y a pas à sortir de là… À moins de se redire avec le grand Malthus : La chasteté n’est pas comme quelques personnes le supposent, une vertu forcée : elle a son fondement dans la nature et dans la raison ; en effet cette vertu est le seul moyen légitime d’éviter les vices et le malheur que la loi de la population engendre.

— Évidemment, la chasteté est une vertu.

— Sur laquelle les lois font bien de ne pas trop tabler, n’est-ce pas ? — Je voudrais, dans mon livre, ne recourir à la vertu qu’en dernier ressort. Léon Blum qui ne fait point appel à la vertu, mais cherche le moindre inconvénient social, s’indigne de l’état où la prostitution, avec la complaisance des lois, ravilit la fille soumise. Je crois que nous pouvons nous en attrister avec lui.

— Sans compter le danger pour la salubrité publique, aussitôt que cette prostitution échappe à l’écœurante ingérence de l’État.

— C’est pourquoi Blum propose de diriger vers les jeunes filles, j’entends les plus honnêtes, celles qui bientôt seront épouses et mères, l’inquiétude et l’excès de nos appétits masculins.

— Oui, je sais que cela m’a paru proprement monstrueux et m’a laissé douter s’il avait jamais fréquenté dans la vraie société française ou seulement parmi des Levantins.

— Je crois en effet que plus d’un catholique hésiterait à épouser une enfant dont un juif aurait fait le préalable apprentissage. Mais si vous protestez également à chaque solution qu’on propose…

— Allons, dites la vôtre, que déjà je frémis d’entrevoir.

— Elle n’est pas de mon invention. C’est celle même qu’avait préconisée la Grèce.

— Parbleu ! nous y voilà.

— Je vous supplie de m’écouter avec calme. Je ne puis me retenir d’espérer qu’entre gens de même formation, de même culture, on puisse toujours à peu près s’entendre, malgré toute différence foncière de tempérament. Depuis votre plus tendre enfance on vous instruisit comme moi ; on vous apprit à vénérer la Grèce, dont nous sommes les héritiers. Dans nos classes et dans nos musées, les œuvres grecques occupent les places d’honneur ; on nous invite à les reconnaître pour ce qu’elles sont : d’humains miracles d’harmonie, d’équilibre, de sagesse et de sérénité ; on nous les propose en exemples. On nous enseigne d’autre part que l’œuvre d’art n’est jamais un phénomène accidentel, et qu’il faut chercher son explication, sa motivation, dans le peuple même, et dans l’artiste qui la produit — celui-ci ne faisant qu’informer l’harmonie qu’il réalisait d’abord en lui-même.

— Nous savons tout cela. Avancez.

— Nous savons également que la Grèce n’excelle pas uniquement dans les arts plastiques, et que cette perfection, ce bonheur, cette aisance dans l’harmonie, nous les retrouvons aussi bien dans toutes les autres manifestations de sa vie. Un Sophocle, un Pindare, un Aristophane, un Socrate, un Miltiade, un Thémistocle ou un Platon, ne sont pas de moins admirables représentants de la Grèce, qu’un Lysippe ou qu’un Phidias. Cet équilibre que nous admirons dans chaque artiste, dans chaque œuvre, est celui de la Grèce entière — belle plante sans atrophie ; le plein développement d’aucun rameau n’a nui au développement d’aucun autre.

— Tout cela vous est accordé depuis longtemps et n’a rien à voir avec…

— Quoi ! vous refuserez-vous à comprendre qu’il existe un rapport direct entre la fleur et la plante qui la supporte, la qualité profonde de sa sève, et sa conduite, et son économie ? Prétendriez-vous me faire admettre que ce peuple, capable d’offrir au monde de tels miroirs de sagesse, de force gracieuse et de félicité, ne sut pas lui-même se conduire — ne sut pas apporter d’abord cette sagesse heureuse, cette harmonie, dans sa vie même et le régime de ses mœurs ! Mais dès qu’il s’agit des mœurs grecques, on les déplore, et, ne pouvant les ignorer, on s’en détourne avec horreur[2] ; on ne comprend pas, ou l’on feint de ne pas comprendre ; on ne veut pas admettre qu’elles font partie intégrante de l’ensemble, qu’elles sont indispensables au fonctionnement de l’organisme social et que sans elles la belle fleur que l’on admire serait autre, ou ne serait pas[3].

Si, quittant les considérations générales, nous examinons un cas particulier, celui d’Epaminondas par exemple — que Cicéron considère comme le plus grand homme que la Grèce ait produit — « et l’on ne saurait disconvenir, écrit un de ses biographes (Walckenaer), qu’il offre un des modèles les plus parfaits du grand capitaine, du patriote et du sage » — ce même biographe croit devoir ajouter : « Il nous paraît malheureusement trop certain qu’Epaminondas était adonné à ce goût infâme auquel les Grecs, et surtout les Béotiens et les Lacédémoniens (c’est-à-dire les plus valeureux d’entre eux) n’attachaient aucune honte[4]. » (Biographie universelle.)

— Accordez-moi pourtant que ces mœurs ne tiennent dans la littérature grecque qu’une place infime.

— Dans celle qui nous est parvenue, oui peut-être. Et encore[5] ! Songez que Plutarque, et Platon, dès qu’ils parlent de l’amour, c’est autant de l’homosexuel que de l’autre. Puis, je vous prie de considérer (et si peut-être la remarque en a déjà été faite, je ne sache pas qu’on l’ait beaucoup mise en valeur) qu’à peu près tous les manuscrits anciens par quoi nous connaissons la Grèce ont passé par les mains des gens d’Église. L’histoire des anciens manuscrits serait assez curieuse à étudier. On y verrait si peut-être les savants moines qui nous ont transcrit les textes n’ont pas supprimé parfois ce qui les scandalisait, par respect pour la bonne cause ; si tout au moins ils n’ont point sauvé de préférence ce qui scandalisait le moins. Songez au nombre des pièces d’Eschyle, de Sophocle ; sur quatre-vingt-dix pièces de l’un, sur cent vingt de l’autre, nous ne connaissons guère que sept. Mais nous savons que les Mirmidons d’Eschyle, par exemple, parlaient de l’amour d’Achille pour Patrocle, et d’une manière que les quelques vers que Plutarque en cite nous laissent suffisamment entrevoir. Mais passons. Je veux bien croire que l’amour homosexuel ne tenait dans la tragédie grecque pas plus de place que dans le théâtre de Marlowe par exemple (ce qui serait déjà probant). Qu’est-ce que cela prouverait, sinon que le drame est ailleurs ? ou, pour m’exprimer plus clairement : qu’il n’y a pas dans ces amours heureuses matière à tragédie[6]. Par contre, la poésie lyrique en est pleine, et les récits des mythologues, et toutes les biographies, tous les traités — bien que presque tous aient passé par le même crible expurgateur.

— Je ne sais ici que vous répondre. Je ne suis pas suffisamment renseigné.

— Aussi bien ce n’est pas là ce qui m’importe le plus. Car qu’est-ce, après tout, qu’un Hylas, qu’un Bathylle ou qu’un Ganymède, auprès des admirables figures d’Andromaque, d’Iphigénie, d’Alceste, d’Antigone que nous donnèrent les tragédies ? Eh bien ! je prétends que ces pures images de femmes, c’est également à la pédérastie que nous les devons. Je ne crois pas hasardé de remarquer ici qu’il en va de même pour Shakespeare.

— Si ceci n’est pas un paradoxe, je voudrais bien savoir…

— Oh ! vous me comprendrez vite si vous voulez bien considérer qu’avec nos mœurs, aucune littérature n’a donné plus de place à l’adultère, que la française ; sans parler de toutes les demi-vierges et de toutes les demi-putains. Cet exutoire que proposait la Grèce, qui vous indigne et qui lui paraissait naturel, vous voulez le supprimer. Alors, faites des saints ; sinon le désir de l’homme va détourner l’épouse, souiller la jeune fille… La jeune fille grecque était élevée non point tant en vue de l’amour, que de la maternité. Le désir de l’homme, nous l’avons vu, s’adressait ailleurs ; car rien ne paraissait plus nécessaire à l’État, ni mériter plus le respect, que la tranquille pureté du gynécée.

— De sorte que, selon vous, c’est pour sauver la femme que l’on sacrifiait l’enfant.

— Vous me permettrez d’examiner tout à l’heure s’il y avait là sacrifice du tout. Mais je voudrais, incidemment, répondre à une spécieuse objection ; cela me tient à cœur :

Pierre Louÿs reproche à Sparte de n’avoir su produire aucun artiste ; il y retrouve une occasion de s’élever contre une trop austère vertu, qui, dit-il, n’a su former que des guerriers ; et encore se sont-ils fait battre. La grandeur et la gloire de Sparte sont bien peu de chose pour quiconque n’est pas un admirateur aveugle de l’antiquité ; — écrivait M. de Laboulaye en note de Montesquieu — de ce couvent de soldats, est-il sorti autre chose que la destruction et la ruine ? Qu’est-ce que la civilisation doit à ces barbares[7] ?

— Oui, je me souviens du grief ; d’autres s’en sont saisis.

— Mais je ne sais s’il est très juste.

— Pourtant les faits sont là.

— D’abord, n’oubliez point que c’est à Sparte que nous devons l’ordre dorique, celui même de Pœstum et du Parthénon. Et puis songez que si Homère fût né à Sparte, et aveugle, il eût été jeté aux oubliettes. J’imagine volontiers que c’est là, dans les oubliettes, qu’il faut chercher les artistes lacédémoniens ; Sparte n’a peut-être pas été incapable d’en produire, mais n’ayant en vue et ne se plaisant à considérer que la perfection physique, et quelque infirmité corporelle étant souvent la rançon du génie…

— Oui, je vois ce que vous voulez dire : Sparte a détruit systématiquement tous ceux de ses enfants qui, comme Victor Hugo, naissaient

sans chaleur, sans couleur et sans voix.

— Ce qui, par contre, lui permit de réaliser la forme humaine la plus belle. Sparte inventa la sélection. Elle ne produisit pas de sculpteurs, il est vrai ; mais elle fournit au sculpteur le modèle.

— Il semble, à vous entendre, que tous les modèles d’Athènes vinssent de Lacédémone, comme de Saraginesco les modèles de Rome, aujourd’hui. Cela est proprement bouffon. Vous me permettrez pourtant de croire que les hommes les mieux faits de la Grèce n’étaient pas forcément des brutes, ou que, réciproquement, tous ses artistes des bancroches ou des cagneux. Souvenez-vous du jeune Sophocle à Salamine…

Corydon sourit et d’un geste montra qu’il me laissait sur ce point. Il reprit :

— Encore une remarque au sujet des Spartiates : vous n’ignorez pas qu’à Lacédémone la pédérastie était non seulement admise, mais même, si j’ose dire, approuvée. Vous n’ignorez point d’autre part que les Spartiates étaient de tribu éminemment guerrière. Les Spartiates, lit-on dans Plutarque, étaient les meilleurs artisans et les plus habiles précepteurs qu’il y eût en tout ce qui concerne l’art des combats. De même, vous n’ignorez point que les Thébains…

— Permettez ! m’écriai-je en l’interrompant ; moi aussi j’apporte mes textes aujourd’hui. Et je sortis de ma poche un carnet où j’avais copié, la veille au soir, cette phrase de l’Esprit des lois (IV, chap. 8) dont je lui fis lecture : Nous rougissons de lire dans Plutarque que les Thébains, pour adoucir les mœurs de leurs jeunes gens, établirent par les lois un amour qui devrait être proscrit par toutes les nations du monde.

— Oui, c’est bien ce que je vous disais, riposta-t-il sans rougir ; il n’est personne aujourd’hui qui ne le condamne, et je sais que c’est une grande folie[8] que de vouloir être sage tout seul ; mais, puisque vous m’y poussez, relisons ensemble tout au long le passage de Plutarque qui fait s’indigner Montesquieu.

Il alla chercher le gros livre « à serrer les rabats », qu’il ouvrit à la Vie de Pélopidas, et où il lut :

Dans tant de combats que les Lacédémoniens avaient livrés, soit aux Grecs, soit aux barbares, on ne se rappelait point que jamais ils eussent été vaincus par des ennemis inférieurs en nombre ou même en nombre égal (comme ils venaient de l’être à Tégyre, dans le combat dont Plutarque vient de nous faire le récit)… Ce combat est le premier qui ait appris à tous les peuples de la Grèce que ce n’était pas seulement sur les bords de l’Eurotas, qu’il pouvait naître des hommes vaillants et belliqueux, mais chez tous les peuples où la jeunesse rougit de ce qui est honteux, montre son audace dans les actions honorables et craint plus le blâme que le péril, là aussi sont les hommes les plus redoutables à leurs ennemis.

— Eh bien ! je ne le lui fais point dire : « les peuples où la jeunesse rougit de ce qui est honteux et craint plus le blâme que le péril… »

— J’ai peur que vous ne vous mépreniez, reprit Corydon gravement, et que, de ce passage, au contraire, il ne faille précisément induire que l’homosexualité n’était point blâmée. Tout ce qui suit le dit assez. Il reprit sa lecture :

— Le bataillon sacré des Thébains fut organisé, dit-on, par Gorgidas, et composé de trois cents hommes d’élite. L’État fournissait aux frais de leurs exercices et de leur entretien… Quelques-uns prétendent que ce corps se composait d’amants et d’aimés, et l’on cite, à ce sujet, un mot plaisant de Pammenis : « Il faut ranger l’amant près de l’aimé, car un bataillon formé d’hommes amoureux les uns des autres, il serait impossible de le dissiper et le rompre, parce que ceux qui le composent affronteraient tous les dangers, les uns par attachement pour les objets de leur amour, les autres par crainte de se déshonorer aux yeux de leurs amants. » Ceci, dit alors Corydon, vous fait entendre où reposait pour eux la notion du déshonneur. Il n’y a rien là d’étonnant, reprend le sage Plutarque, s’il est vrai que les hommes craignent plus ceux qui les aiment, même absents, qu’ils ne craignent tous les autres, présents. — Et dites si cela n’est pas admirable ?

— Évidemment, ripostai-je ; mais cela est vrai même sans l’intervention des mauvaises mœurs…

— Ainsi ce guerrier, continua-t-il à lire, qui terrassé par un ennemi, et se voyant près d’être égorgé par lui, le pria, le conjura de lui plonger son épée dans la poitrine : « Que du moins mon amant, disait-il, en retrouvant mon cadavre, n’ait pas la honte de le voir frappé par derrière. » On raconte aussi qu’Iolaüs qu’aimait Hercule, partageait ses travaux et combattait à ses côtés. (Mais sans doute préférez-vous imaginer Hercule avec Omphale ou Déjanire ?) Aristote écrit que, de son temps encore, les amants et ceux qu’ils aimaient allaient se faire des serments sur le tombeau d’Iolaüs. — Il est donc vraisemblable que l’on donna à cette troupe le nom de « bataillon sacré » suivant la pensée qui fait dire à Platon qu’un amant est un ami dans lequel on sent quelque chose de divin.

Le bataillon sacré de Thèbes resta invincible jusqu’à la bataille de Chéronée. Après cette bataille, Philippe, en parcourant le champ du carnage, s’arrêta à l’endroit où gisaient les trois cents ; tous avaient la poitrine percée de coups de piques ; et c’était un monceau confus d’armes et de corps réunis et serrés. Il contempla ce spectacle avec surprise ; et apprenant que c’était le bataillon des amants, il leur donna une larme et s’écria : « Périssent misérablement ceux qui soupçonneraient ces hommes d’avoir été capables de faire ou d’endurer rien de déshonorant. »

— Vous aurez beau faire, m’écriai-je alors. Vous ne parviendrez pas à me faire considérer ces héros comme des débauchés.

— Mais qui cherche à vous les présenter comme tels ? Et pourquoi ne voulez-vous pas admettre que cet amour soit capable, tout comme l’autre, d’abnégation, de sacrifice et même parfois de chasteté[9] ? Toutefois la suite du récit de Plutarque nous indique que si parfois, souvent peut-être, il menait à la chasteté, il n’y prétendait pourtant point.

Vous savez que je pourrais citer, à l’appui de cela, maint exemple, citer des textes, et non de Plutarque seulement, qui, réunis formeraient à eux seuls tout un livre. — Les voulez-vous ? Je les tiens à votre disposition.

 

Je ne crois pas qu’il y ait une opinion à la fois plus fausse et plus accréditée que celle qui considère les mœurs homosexuelles et la pédérastie, comme le triste apanage des races efféminées, des peuples en décadence, voire même comme une importation de l’Asie[10]. C’est au contraire de l’Asie que le mol ordre ionien vint supplanter la mâle architecture dorienne ; la décadence d’Athènes commença lorsque les Grecs cessèrent de fréquenter les gymnases ; et nous savons à présent ce qu’il faut entendre par là. L’uranisme cède à l’hétérosexualité. C’est l’heure où nous la voyons triompher également dans l’art d’Euripide[11] et avec elle, comme un complément naturel, la misogynie.

— Pourquoi « misogynie » tout à coup ?

— Que voulez-vous ? C’est un fait et fort important ; réciproque de ce que je vous faisais observer tout à l’heure.

— Quoi donc ?

— Que nous devons à l’uranisme le respect de la femme et, partant, les admirables figures de femmes et de jeunes filles que l’on trouve dans le théâtre de Sophocle et dans celui de Shakespeare. Et, tout comme le respect de la femme accompagne ordinairement l’uranisme, voyons-nous la femme moins honorée, dès qu’elle est plus généralement convoitée. Comprenez que cela est naturel.

Reconnaissez aussi que les périodes uraniennes, si j’ose ainsi dire, ne sont nullement des périodes de décadence ; je ne crois pas imprudent d’affirmer que, tout au contraire, les périodes de grande efflorescence artistique — la grecque au temps de Périclès, la romaine au siècle d’Auguste, l’anglaise au temps de Shakespeare, l’italienne au temps de la Renaissance, la française avec la Renaissance puis sous Louis XIII, la persane au temps d’Hafiz, etc., ont été celles mêmes où la pédérastie, le plus ostensiblement, et j’allais dire : le plus officiellement — s’affirmait. Pour un peu j’irais jusqu’à dire que les seules périodes ou régions sans uranisme sont aussi bien les périodes ou régions sans art.

— Ne craignez-vous point ici quelque illusion, et que ces périodes ne vous paraissent peut-être particulièrement « uraniennes », ainsi que vous dites, simplement parce que leur lustre particulier nous invite à nous occuper d’elles davantage et que les œuvres auxquelles elles doivent leur éclat révèlent mieux et plus indiscrètement les passions qui les animent ?

— C’est m’accorder enfin ce que je vous disais d’abord : que l’uranisme est assez universellement répandu. Allons, je vois que votre pensée a fait quelque progrès, dit Corydon en souriant. Aussi bien n’ai-je point prétendu qu’il y eût en ces périodes fleuries recrudescence, mais seulement aveu et affirmation. Peut-être, ajouta-t-il au bout d’un instant, faut-il pourtant croire à quelque recrudescence dans les périodes guerrières. Oui, je crois que les périodes d’exaltation martiale sont essentiellement des périodes uraniennes, comme aussi l’on voit les peuplades belliqueuses particulièrement enclines à l’homosexualité.

Il hésita quelques instants, puis brusquement :

— Vous êtes-vous jamais demandé pourquoi, dans le Code Napoléon, aucune loi ne tend à réprimer la pédérastie ?

— C’est peut-être, dis-je interloqué, que Napoléon n’y attachait pas d’importance, ou qu’il comptait que notre répugnance instinctive y suffirait.

— C’est peut-être aussi que ces lois eussent d’abord gêné certains de ses généraux les meilleurs. Répréhensible ou non, ces mœurs sont si loin d’être amollissantes, sont si près d’être militaires, que je vous avoue que j’ai tremblé pour nous, lors de ces retentissants procès d’outre-Rhin, que n’a pu parvenir à étouffer la vigilance de l’empereur ; et, déjà peu avant, lors du suicide de Krupp. Certains, en France, ont eu la naïveté de voir là des indices de décadence ! tandis que je pensais tout bas : défions-nous d’un peuple dont la débauche même est guerrière et qui réserve la femme au soin de lui donner de beaux enfants.

— Devant l’inquiétante décroissance de la natalité, en France, permettez-moi de penser que ce n’est guère le moment d’incliner les désirs (si tant est qu’on le puisse) dans la direction que vous dites. Votre thèse est pour le moins inopportune. La repopulation…

— Quoi ? Vous croyez vraiment qu’il va naître beaucoup d’enfants de toutes ces provocations à l’amour ? Vous croyez que toutes ces femmes, qui se proposent en amoureuses, vont consentir à se laisser charger ! Vous plaisantez !

Je dis que les excitations éhontées des images, des théâtres, des music-halls et de maints journaux, ne travaillent qu’à détourner la femme de ses devoirs ; à faire de la femme une amante perpétuelle, qui ne consente plus à la maternité. Je dis que cela est autrement dangereux pour l’État que l’excès même de l’autre débauche — et que cette autre débauche comporte nécessairement moins de dépense et moins d’excès.

— Ne vous apparaît-il pas que votre goût particulier et votre intérêt vous entraînent ?

— Et quand cela serait ! L’important n’est pas de savoir si j’ai intérêt à défendre ou non cette cause, mais si elle vaut d’être défendue.

— De sorte que, non content de tolérer l’uranisme, vous prétendez en faire une vertu civique.

— Ne me faites pas dire d’absurdités. Que la convoitise soit homo ou hétérosexuelle, la vertu c’est de la dominer. Je vais y venir tout à l’heure. Mais, sans prétendre avec Lycurgue (du moins à ce que rapporte Plutarque) qu’un citoyen ne pouvait être vraiment honnête et utile à la République s’il n’avait un ami[12], je prétends que l’uranisme n’est en lui-même nullement néfaste au bon ordre de la société, de l’État ; tout au contraire.

— Nierez-vous donc que l’homosexualité s’accompagne souvent de certaines tares intellectuelles, ainsi que le prétend plus d’un de vos confrères ? (c’est au médecin que je m’adresse).

— Si vous le voulez bien, nous laisserons de côté les invertis. Je leur tiens à grief ceci, que les gens mal renseignés confondent les homosexuels normaux avec eux. Et vous comprenez, je l’espère, ce que par « inverti » je veux dire. L’hétérosexualité tout de même compte aussi des dégénérés, des maniaques, des malades. Je suis forcé de reconnaître, hélas ! que trop souvent parmi les autres…

— Ceux que vous avez le front d’appeler les pédérastes normaux.

— Oui… l’on peut remarquer parfois certains défauts de caractère dont je fais uniquement l’état de nos mœurs responsable. Car il en va toujours de même chaque fois qu’un appétit naturel est systématiquement contrarié. Oui, l’état de nos mœurs tend à faire du penchant homosexuel une école d’hypocrisie, de malice et de révolte contre les lois[13].

— Osez dire : de crime.

— Évidemment, si vous faites de la chose même un crime. Mais c’est là bien précisément ce que je reproche à nos mœurs ; tout comme je fais responsable des trois quarts des avortements la réprobation qui flétrit les filles enceintes.

— Je vous permets même, plus généralement, de les faire en partie responsables, ces bonnes mœurs, de la diminution de la natalité.

— Vous savez comment Balzac appelait les mœurs ? — « L’hypocrisie des nations. » Il est vraiment stupéfiant, combien, sur des questions si graves, si urgentes, si vitales pour le pays, on préfère le mot à la chose, l’apparence à la réalité, et facilement on sacrifie le fonds du stock à la devanture…

— Contre quoi partez-vous présentement ?

— Oh ! je ne songe plus à la pédérastie ; mais bien à la dépopulation de la France. Mais ceci nous entraînerait trop loin…

Pour en revenir au sujet qui nous occupe, persuadez-vous bien qu’il y a dans la société, et parmi ceux qui vous entourent et que vous fréquentez le plus, nombre de gens que vous tenez en parfaite estime et qui sont aussi pédérastes qu’Epaminondas ou que moi. N’attendez pas que je nomme personne. Chacun d’eux a toujours les meilleures raisons du monde pour se cacher. Et, lorsqu’à l’égard de quelqu’un d’entre eux l’on soupçonne, l’on préfère feindre d’ignorer, l’on se prête à ce jeu hypocrite. L’excès même de réprobation que vous professez pour la chose protège le délinquant, comme il advient avec les sanctions excessives qui faisaient dire à Montesquieu : L’atrocité des lois en empêche l’exécution. Lorsque la peine est sans mesure, on est souvent obligé de lui préférer l’impunité.

— Alors de quoi vous plaignez-vous ?

— De l’hypocrisie. Du mensonge. Du malentendu. De cette allure de contrebandier à quoi vous contraignez l’uraniste.

— Enfin, vous voudriez en revenir aux mœurs grecques.

— Plût aux Dieux ! et pour le grand bien de l’État.

— Le christianisme, Dieu merci, a passé par là-dessus, balayant, assainissant, parfumant et sublimant tout cela ; fortifiant la famille, consacrant le mariage et, en dehors de quoi, préconisant la chasteté ; c’est bien là que je vous attends.

— Ou vous m’aurez bien mal écouté, ou vous aurez pourtant compris que je n’admets en ma pensée rien de contraire au mariage, de funeste à la chasteté. Je puis redire avec Malthus : Je serais inconsolable de dire quoi que ce soit, directement ou indirectement, qui pût être interprété dans un sens contraire à la vertu. Je n’oppose point l’uranisme à la chasteté, mais bien une convoitise, satisfaite ou non, à une autre. Et précisément je soutiens que la paix du ménage, l’honneur de la femme, la respectabilité du foyer, la santé des époux étaient plus sûrement préservés avec les mœurs grecques qu’avec les nôtres ; et, de même, la chasteté, la vertu, plus noblement enseignée, plus naturellement atteinte. Pensez-vous que saint Augustin eut plus de mal à s’élever à Dieu, pour avoir donné son cœur d’abord à un ami, qu’il aimait autant que jamais une femme ? Estimez-vous vraiment que la formation uranienne des enfants de l’antiquité les disposât à la débauche plus que la formation hétérosexuelle de nos écoliers d’aujourd’hui ? Je crois qu’un ami, même au sens le plus grec du mot, est de meilleur conseil pour un adolescent, qu’une amante. Je crois que l’éducation amoureuse qu’une Madame de Warens, par exemple, sut donner au jeune Jean-Jacques fut autrement néfaste pour celui-ci que ne l’eût été n’importe quelle éducation spartiate ou thébaine. Oui, je crois que Jean-Jacques serait sorti moins vicié et même, vis-à-vis des femmes, plus… viril, s’il avait suivi d’un peu plus près l’exemple de ces héros de Plutarque, que pourtant il admirait si fort.

Encore une fois je n’oppose point à la chasteté la débauche, et de quelque ordre qu’elle soit ; mais bien une impureté à une autre ; et je doute si le jeune homme peut arriver au mariage plus abîmé que certains jeunes hétérosexuels d’aujourd’hui.

Je dis que, si le jeune homme s’éprend d’une jeune fille et si cet amour est profond, il y a de grandes chances pour que cet amour soit chaste et non aussitôt traversé de désirs. Et c’est ce qu’ont si bien compris Victor Hugo, qui dans les Misérables vous persuade que Marius aurait plus volontiers couru chez une fille que soulevé seulement du regard le bord de la jupe de Cosette ; et Fielding dans son admirable Tom Jones, qui fait son héros culbuter d’autant mieux les filles d’auberge qu’il est plus amoureux de Sophie ; et c’est ce dont a si bien joué la Merteuil dans l’incomparable livre de Laclos, lorsque le petit Dancenis s’éprend de la petite Volange. Mais j’ajoute qu’en vue du mariage, il vaudrait mieux pour chacun de ceux-ci que leurs plaisirs provisoires fussent d’un autre ordre, et que cela serait moins risqué.

Enfin, si vous me permettez d’opposer l’amour à l’amour, je dis que l’attachement passionné d’un aîné, ou d’un ami du même âge, est aussi souvent capable d’abnégation que n’importe quel attachement féminin. Il y a maint exemple de cela, et d’illustres[14]. Mais ici, tout comme Bazalgette dans sa traduction de Whitman, vous remplacez volontiers le mot amour, que proposent le vrai texte et la réalité, par le mot non compromettant d’amitié[15]. Je dis que cet amour, s’il est profond, tend à la chasteté[16]. — mais seulement, il va sans dire, s’il résorbe en lui le désir, ce que n’obtient jamais la simple amitié — et qu’il peut être pour l’enfant l’invitation la meilleure au courage, au travail, à la vertu[17].

Je dis aussi qu’un aîné se rend mieux compte des troubles d’un adolescent, que ne saurait faire une femme, et même experte en l’art d’aimer ; certes je connais certains enfants trop adonnés à des coutumes solitaires, pour qui j’estime que cette sorte d’attachement serait le plus sûr moyen de guérir

J’ai vu souhaiter d’être fille, et une belle fille, depuis treize ans jusques à vingt-deux — et après cet âge, de devenir un homme, dit La Bruyère — (Des femmes, § 3) reculant un peu tard, à mon avis, le moment où se précise la direction hétérosexuelle de l’adolescent. Jusqu’alors, son désir est flottant et reste à la merci des exemples, des indications, des provocations du dehors. Il aime à l’aventure ; il ignore, et, jusqu’à dix-huit ans à peu près, invite plutôt à l’amour que lui-même ne sait aimer.

Tant qu’il reste ce « molliter juvenis » dont parle Pline, plus désirable et désiré que désirant, si quelque aîné s’éprend de lui, je pense, comme on pensait avant-hier dans cette civilisation dont vous ne consentez à admirer que l’écorce, je pense que rien ne peut se présenter pour lui de meilleur, de préférable qu’un amant. Que cet amant, jalousement, l’entoure, le surveille, et lui-même exalté, purifié par cet amour, le guide vers ces radieux sommets que l’on n’atteint point sans l’amour. Que si tout au contraire cet adolescent tombe entre les mains d’une femme, cela peut lui être funeste ; hélas ! on n’a que trop d’exemples de cela. Mais comme, à cet âge trop tendre, l’adolescent ne saurait faire encore qu’un assez médiocre amoureux, il n’est heureusement pas naturel qu’une femme aussitôt s’en éprenne.

De treize à vingt-deux ans (pour reprendre l’âge assigné par La Bruyère) c’est, pour les Grecs, l’âge de la camaraderie amoureuse, de l’exaltation commune, de la plus noble émulation. Après quoi seulement le garçon selon leurs vœux « souhaite de devenir un homme », c’est-à-dire songe à la femme — c’est-à-dire : à se marier.

Je l’avais laissé discourir tout son soûl et m’étais bien gardé de l’interrompre. Après qu’il eut fini, il demeura quelque temps dans l’attente d’une protestation de ma part. Mais, sans rien ajouter qu’un adieu, je pris mon chapeau et sortis, bien assuré qu’à de certaines affirmations un bon silence répond mieux que tout ce qu’on peut trouver à dire.


  1. Il est curieux de citer ici le mot de Napoléon : « La femme est donnée à l’homme pour qu’elle fasse des enfants. Or, une femme unique ne pourrait suffire à l’homme pour cet objet ; elle ne peut être sa femme quand elle nourrit ; elle ne peut être sa femme quand elle est malade ; elle cesse d’être sa femme quand elle ne peut plus lui donner d’enfants ; l’homme, que la nature n’arrête ni par l’âge ni par aucun de ces inconvénients, doit donc avoir plusieurs femmes. » Mémorial (juin 1816).
  2. Non point toujours. Il est juste de citer ici la clairvoyante appréciation de Herder dans ses Idées sur la Philosophie de l’Histoire.
  3. De sorte que l’on est tenté de dire avec Nietzsche (ce qu’il disait de la guerre et de l’esclavage) : « Nul ne pourra se dérober à ces conclusions, s’il a loyalement recherché les causes de cette perfection que l’art grec atteignit, et l’art grec seul. » (Cité par Halévy, p. 97.)
  4. Cf. les passages de Pascal, de Montaigne — et les récits de la mort d’Epaminondas.
  5. « L’Iliade a pour unique sujet la passion d’Achille… son amour pour Patrocle. Et c’est ce que l’un des plus grands poètes, et des plus profonds critiques du monde moderne — ce que Dante a fort bien compris, lorsque, dans son Enfer, il écrit, avec une concision caractéristique :

    Che per amor al fine co« Achille
    Che per amor al fine combatteo. »

    Ce vers chargé de sens nous fait entrer profondément dans l’Iliade. La colère d’Achille contre Agamemnon, qui d’abord le fait se retirer du combat, l’amour d’Achille pour Patrocle, surpassant l’amour de la femme, qui, nonobstant sa colère, le ramène enfin sur le champ de bataille, voici les deux pôles sur lesquels l’Iliade est axée. »

    J. A. Symonds,
    The Greek Poets, III, p. 80.
  6. « Heureux sont ceux qui aiment, lorsqu’ils sont aimés en retour », dit Bion dans sa huitième idylle. Puis il donne trois exemples de ces amours heureuses : Thésée et Pirithoüs, Oreste et Pylade, Achille et Patrocle.
  7. Esprit des lois, IV, chap. 6, p. 154. Ed. Garnier.
  8. « He that opposes his own judgment against the current of the times ought to be backed with unanswerable truth, and he that has truth on his side is a fool as well as a coward, if he is afraid to own it, because of the multitude of other men’s opinions. It is hard for a man to say, all the world is mistaken, but himself. But if it be so, who can help it ? » Daniel Defoë (cité par Taine, Littérature anglaise, IV, p. 87).
  9. « Ce qui tourmentait vivement Agésilas, c’était l’amour que le jeune Mégabatès avait fait naître dans son cœur, quoique, en présence de Mégabatès, fidèle à son ambition de n’être jamais vaincu, il combattît ses désirs de toutes ses forces. Un jour même que Mégabatès s’avançait pour le saluer et lui donner un baiser, il se détourna : l’enfant rougit et s’arrêta ; et, dans la suite, Mégabatès ne lui adressa plus son salut que de loin. À son tour, Agésilas en fut contrarié, et se repentit d’avoir évité ce baiser ; et il affecta de demander, d’un air étonné, pourquoi Mégabatès ne le saluait plus d’un baiser. « C’est toi qui en es cause, lui dirent ses amis, puisque tu n’as pas voulu souffrir, que tu as évité le baiser de ce bel enfant, comme si tu en avais peur. À présent même encore il se déciderait aisément à revenir au baiser, mais à condition que tu ne te détournes plus. » Agésilas, après être demeuré un instant pensif et silencieux : « Il est inutile que vous l’y engagiez, dit-il ; car le combat que je livre ici contre ce témoignage de sa tendresse, me fait plus de plaisir que si tout ce que j’ai devant moi se changeait en or. » Tel était Agésilas, tant que Mégabatès fut auprès de lui. Mais, quand Mégabatès fut parti, il brûla d’une passion ardente : et, si cet enfant fût revenu et eût apparu devant lui, il n’est pas sûr qu’Agésilas eût eu la force de refuser ses baisers. »
    Plutarque, Vie d’Agésilas.
    Trad. Pierron, III, 77.
  10. « Les Perses, à l’école des Grecs, ont appris à s’accoupler avec des garçons. »
    (Hérodote, I, 135.)
  11. Athénée, XIII, 81 : « Sophocle aimait les jeunes garçons autant qu’Euripide les femmes. » — V. Athénée, chap. LXXXII.
  12. « Les amoureux partageaient la honte ou la gloire des enfants auxquels ils étaient attachés… ils travaillaient tous à l’envi à qui rendrait l’ami plus vertueux. » (Vie de Lycurgue.)
  13. À quels dénis de justice peut se laisser entraîner ici l’opinion, rien ne l’éclaire mieux sans doute que cet article du Matin (7 août 1909) à la suite de l’affaire Renard : Morale d’un procès… « Depuis de longues années, aucun accusé n’avait eu autant de doutes en sa faveur que Renard, lorsqu’il comparut devant la Cour d’Assises de la Seine. Cependant le jury n’hésita pas et l’envoya au bagne. Devant la Cour d’Assises de Versailles, le doute avait plutôt encore augmenté ; cependant le jury de Versailles condamna, lui aussi, sans pitié. Devant la Cour de Cassation, le pourvoi s’annonçait comme ayant de sérieuses chances d’être admis ; cependant le pourvoi a été instantanément rejeté. Et l’opinion publique — à quelques rares exceptions près qui allaient de soi (?) — s’est chaque fois rangée du côté des jurés et des magistrats… Pourquoi ? Parce qu’il a été prouvé que Renard, même en admettant qu’il n’eût pas tué, était un monstre odieux et répugnant. Parce qu’il y avait dans la foule cette impression que Renard, même innocent du meurtre de M. Remi, ne déparerait pas la collection d’individus que la société rejette de son sein pour les envoyer croupir en Guyane », etc.
  14. V. en particulier, Fielding, Amelia, III, chap. 3 et 4.
  15. « Existe-t-il un sentiment plus délicat et plus noble que l’amitié à la fois passionnée et timide d’un jeune garçon pour un autre. Celui des deux qui aime n’ose exprimer son affection par une caresse, un regard, une parole. C’est une tendresse clairvoyante, qui souffre de la plus légère faute chez celui qui est aimé ; elle est faite d’admiration et d’oubli de soi, de fierté, d’humilité et de joie sereine. »
    Jacobsen, Niels Lyhne, p. 69.
  16. « La lubricité et ardeur des reins n’a rien de commun, ou que bien peu, avec Amour. »
    Louise Labé,
    Débat de folie et d’amour, Discours III.
  17. « Qui plus est, dit Plutarque dans la Vie de Lycurgue, on imputait aux amoureux l’opinion bonne ou mauvaise que l’on concevait des enfants qu’ils avaient pris à aimer, de sorte que l’on dit que quelquefois un jeune enfant, en combattant contre un autre, s’étant laissé échapper de la bouche un cri qui sentait son cœur lâche et failli, son amoureux en fut condamné à l’amende par les officiers de la ville. »