Couleur du temps (LeNormand)/Le phare

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Édition du Devoir (p. 98-99).

Le phare


Comment le phare peut-il être immobile dans le grand lac que le vent excite ? Il a l’air, de la rive, d’une église blanche et minuscule, à toit rouge, que surmonterait à l’avant un semblant de clocher plutôt bas. Deux fenêtres percent sa face latérale. Et ce petit temple repose sur une base un peu large qui ressemble à la planche où sont ordinairement fixés les jouets d’enfant.

Ainsi, le phare se tient droit. Au bord de l’eau, les arbres plient sans relâche sous le vent brusque et impérieux, les herbes se couchent et les vagues, dans les roches de la berge, arrivent en claquant et se brisent en mousse neigeuse. Le phare ne se trouble point. Les nuages courent au-dessus de lui. Il n’en est pas moins stable et son immobilité nous paraît incompréhensible, puisque les « moutons » blancs du lac le poussent à qui mieux mieux, et que le vent, de toutes ses forces, souffle sur lui.

J’aime ce petit phare résolu dans la tempête. Loin des deux rives, il est en apparence sans appui. Il élève son clocheton vers le ciel où de gros nuages gris cachent en ce moment le soleil, le soleil en lequel nous croyons parce qu’il reviendra. Le phare, seul dans le lac en tourmente, me fait penser à une âme que les peines et les douleurs chercheraient vainement à troubler, à une âme sereine autant qu’une étoile des beaux soirs…


(à Strathmore, Lac Saint-Louis).