Coup d’œil sur l’état des missions de Chine/01

La bibliothèque libre.
◄   CHAPITRE I Chapitre II   ►



CHAPITRE PREMIER

Grandeur et en même temps peu de résultat des efforts faits pour la conversion des peuples de l’Asie. — Discussion sur les raisons qu’on en donne : le temps n’est pas venu. — Corruption et dégradation des peuples infidèles. — Sagesse de ces nations. — Persécutions. — Pauvreté des missionnaires. — Leur petit nombre. — Conclusion.


Grandeur et en même temps peu de résultat des efforts faits pour la conversion des peuples de l’Asie.

Il est un fait dont tout le monde se sent d’abord frappé, c’est l’immensité des efforts faits pour la conversion des peuples de l’Inde, d’une part, et le peu de succès de ces efforts, de l’autre.

Depuis plus de trois siècles il se fait, de toutes parts, des efforts de tout genre pour amener ces nations dans le sein de l’Évangile.

Les églises d’Europe, et surtout celle de France, y envoient chaque année l’élite de leurs prêtres.

Les gouvernements temporels viennent souvent interposer le secours de leur influence pour appuyer les efforts des missionnaires ; les fidèles de tous les pays s’imposent d’abondantes collectes d’argent qui produisent des sommes immenses et subviennent aux besoins de toutes les missions. Toutes ces ressources d’ouvriers, d’influence temporelle, d’aumônes de toutes espèces se rencontrent aujourd’hui même, avec une abondance extraordinaire ; et cependant, il faut le dire, les missions ne prospèrent pas, elles décroissent même sur plusieurs points, et sur d’autres elles s’éteignent tout à fait.

Une semblable stérilité de la parole de Dieu dans ces belles contrées du monde est attribuée à bien des causes diverses. Après avoir brièvement examiné celles qu’on allègue ordinairement, nous en exposerons les véritables.

Discussion sur les raisons qu’on en donne.

La plupart du temps, pour expliquer la chose, on se contente de dire que le temps de la conversion de ces peuples n’est pas encore venu.

L’Évangile fournit lui-même la réponse à cette assertion ; car Notre-Seigneur dit, Marc, 1, 15 : « Que le temps est accompli et que le royaume de Dieu est. venu ; » et encore, Jean, 4, 55 : « Élevez vos regards, dit-il à ses disciples, voyez les campagnes blanchies et déjà toutes prêtes pour la moisson. » Puis, avant de monter au ciel, il exprime encore plus clairement cette vérité par les paroles suivantes, Matth., 28, 18 « Toute puissance m’a été donnée au ciel et sur la terre ; allez donc, instruisez tous les peuples. » Il résulte de ces divers passages et de bien d’autres qu’on pourrait citer, que le temps de la conversion de tous les peuples est arrivé depuis la mort de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; et ce temps arrive pour chaque peuple en particulier lorsque la Providence lui envoie des missionnaires ; car Notre- Seigneur n’exige que cette condition, comme on le voit par ces paroles qu’il dit à ses disciples : « La moisson est grande à la vérité, mais les ouvriers sont en bien petit. nombre ; priez donc le Maître de la moisson qu’il y envoie des ouvriers, Marc, 6, 38.

Les pays infidèles sont comme des pays qu’on n’a point encore cultivés. Si on demandait, au sujet de terres encore en état de friche, pourquoi elles ne produisent pas de fruits, ce ne serait pas répondre à la question que de dire : le temps de la fertilité n’est pas encore venu pour elles. La véritable cause de leur stérilité est qu’on ne les cultive pas ; qu’on les ouvre à une culture sage et éclairée, le temps de la fertilité sera venu pour elles ; la même réponse peut s’appliquer aux missions.


Corruption et dégradation des peuples asiatiques.

La stérilité de la parole évangélique, en Chine et ailleurs, est souvent attribuée à la corruption et à la dégradation morale qui règnent parmi ces peuples. On dit ces nations trop vicieuses pour s’élever jamais à la perfection de la loi évangélique.

Raison tout à fait illusoire. D’abord, ces nations n’en sont point venues au degré de corruption auquel étaient descendues les nations européennes, lorsque les apôtres leur apparurent pour leur annoncer l’Évangile. Et si la puissance de la loi de grâce a été assez grande pour triompher de la corruption européenne, pourquoi le serait-elle moins pour opérer le même effet en Asie ?

De plus, l’Évangile est justement le remède apporté par Notre-Seigneur Jésus-Christ pour guérir la nature humaine de ses vies et la tirer de ses ténèbres ; plus la corruption et l’aveuglement seront profonds, plus le triomphe de l’Évangile sera éclatant. La corruption des peuples asiatiques, du moins en Chine, en Tartarie et dans le Thibet, n’a point encore, avons-nous dit, atteint le degré de la corruption européenne à l’époque de la prédication évangélique ; car chez ces peuples du moins la morale publique est pure, la religion ne consacre aucun crime, ni aucun vice, tandis qu’en Europe, au siècle dont nous parlons la religion même consacrait les vices les plus monstrueux, tels que les prostitutions dans certains temples, et à certaines solennités, les sacrifices humains et mille autres abominations.


Sagesse de ces nations.

On trouve des hommes d’un sentiment bien opposé à celui dont il vient d’être fait mention, qui disent que les nations asiatiques sont trop sages et trop éclairées, et que pour cette raison elles ne sont point frappées de la sagesse des lois évangéliques.

Il n’est pas besoin d’une longue discussion pour faire voir le faible de ce prétexte. D’abord une pareille excuse est une injure faite à la doctrine de Jésus-Christ, qui est la manifestation de la sagesse divine la plus haute et la plus pure que puisse comporter la nature humaine ; et ce qu’on allègue irait à dire que cette lumière divine, craignant la concurrence d’une sagesse purement humaine, ne peut faire d’impression que sur des âmes grossières et ignorantes. Il est clair, pour quiconque voudra y réfléchir, que cette sagesse et ces lumières des peuples de l’Asie, à quelque degré qu’elles se rencontrent, loin d’être des obstacles à l’Évangile, sont, au contraire, des auxiliaires, et comme des pierres d’attente et des points d’appui que la Providence lui a préparés.


Persécutions.

On prétexte souvent aussi, pour cause du peu de succès qu’obtient la prédication de l’Évangile, les persécutions auxquelles elle est perpétuellement en butte dans la plupart des royaumes de l’Asie. Mais cette raison, si plausible qu’elle soit, tombe lorsqu’on réfléchit que l’Église catholique, fondée par la mort et par la passion de Notre-Seigneur, fut propagée au milieu des plus sanglantes et des plus opiniâtres persécutions, scellée pendant trois siècles par le sang de ses apôtres et d’une multitude infinie de ses disciples. Ces faits démontrent clairement que les persécutions ne sont point le véritable obstacle à la propagation de la foi ; et Notre-Seigneur les a même prédites à ses apôtres comme un inséparable apanage de leur prédication.

Il faut convenir ensuite qu’il y a beaucoup de missions où la persécution ne règne pas ; telles sont les colonies européennes, les îles de la Sonde, les possessions anglaises dans l’Inde ; et cependant on ne voit pas que la prédication de la religion chrétienne y obtienne plus de fruit qu’ailleurs, on se plaint même souvent du contraire. En second lieu, dans les endroits où la religion est proscrite, il existe de grands intervalles de paix et de tranquillité, et on ne voit pas non plus que pendant ces intervalles le royaume de Jésus-Christ s’étende davantage ; d’où il suit évidemment qu’il faut chercher ailleurs que dans les persécutions la véritable cause pour laquelle la sainte semence est si constamment frappée de stérilité.

Un autre aveu qu’on est forcé de faire, est que la plupart des persécutions viennent des contestations qu’ont les missionnaires ensemble ; comme il sera parlé plus bas de ces contestations, la proposition n’est ici qu’énoncée ; mais l’on peut déjà conclure qu’en retranchant les divisions et les disputes dans les missions, on aura coupé la source de la plupart des persécutions.

Pauvreté des missionnaires.

Quelques missionnaires se plaignent sans cesse de leur pauvreté comme de l’unique obstacle qui les arrête ; à les entendre, ils semblent toujours à la veille de convertir leur province, pourvu qu’on augmente leur subvention annuelle quelques mille francs. L’Association de la propagation de la foi acquiesce à leurs voeux, et les sommes sont envoyées ; l’année suivante, mêmes plaintes et mêmes demandes de leur part. Toute leur vie se passe ainsi à solliciter des secours, et le moment de commencer la conversion des infidèles ne vient jamais.

Sans doute les missionnaires ont besoin de secours, mais une expérience aussi universelle que persévérante, vient confirmer l’infaillibilité de la promesse faite par Notre-Seigneur, que jamais rien ne manquerait sur ce point aux ouvriers évangéliques.

Il est même à propos d’observer que si l’on voit le missionnaire si abondamment fourni d’argent, et soigneusement pourvu de tout ce qui contribue au bien-être, il en résulte de nombreux et graves inconvénients, tous de nature à nuire beaucoup au succès de son ministère.

Les néophytes s’habituent peu à peu à ne voir en lui qu'un mercenaire richement salarié.

Tant de sommes d’argent qui lui arrivent coup sur coup font insensiblement naître le soupçon et la défiance ; on se demande secrètement quel intérêt des peuples étrangers peuvent-ils avoir à entretenir avec de si grands frais, un propagateur de leur doctrine dans des pays si reculés.

Les sentiments de générosité et de désintéressement s’éteignent dans les personnes qui aident le missionnaire à traiter les affaires de la mission ; on ne voit plus là qu’une opération d'argent ; personne ne veut faire sans salaire des choses pour lesquelles le missionnaire paraît si richement rétribué.

L'Église, au lieu d’être soutenue par les indigènes et de s’y implanter, reste, au contraire, au milieu d’eux comme une institution opulente, enrichie par l'argent de l’étranger, et livrée pour ainsi dire à leur discrétion. Tous les missionnaires se plaignent de ce qu’au lieu de recevoir quelques secours des chrétiens indigènes, ils sont parmi eux comme un mouton dont chacun se croit en droit d’arracher la laine.

Notre-Seigneur a promis aux prédicateurs de l’Évangile que rien ne leur manquerait, ; les fidèles, suscités par la Providence, s’imposent des collectes pour subvenir à leur entretien ; pourquoi donc tant d’importunes sollicitations d’argent qui choquent les laïques et les scandalisent ? Combien ou serait plus édifié de voir les missionnaires se confier davantage en ces paroles du divin Maître : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice et tout le reste vous sera surajouté, car votre Père céleste sait que vous avez besoin de toutes ces choses. » Matth., 6, 33.


Leur petit nombre.

Beaucoup de personnes aussi, croient trouver la cause du peu de succès des missions dans le petit nombre de missionnaires.

Sans doute les missionnaires sont nécessaires ; car c’est à cette condition que Notre-Seigneur attache la conversion des peuples lorsqu’il dit : « Priez donc le Maître de la moisson qu’il y envoie des ouvriers ! »

Mais là-dessus il faut faire les réflexions suivantes : douze apôtres commencèrent la conversion du monde, et en vinrent à bout en suivant la méthode que leur avait tracée Notre-Seigneur. Cette méthode consistait en trois principaux points : 1° l’union entr’eux ; 2° la prédication en vue de laquelle ils reçurent le don des langues ; 3° l’institution d’un clergé indigène partout où ils prêchaient la foi.

Des milliers de missionnaires se sont consumés dans les missions de Chine et des autres parties de l’Asie, et ces missions sont encore dans un état déplorable ; la cause n’en est donc évidemment pas dans le petit nombre d’ouvriers, elle se trouve plutôt dans leur peu d’attention à suivre dans l’exercice de leur zèle les vestiges apostoliques ; et on peut affirmer sans hésiter, qu’en doublant ou même triplant le nombre des missionnaires, si on n’apportait aucun changement à leur méthode, on n’aurait pas encore remédié à la véritable plaie des missions.


Conclusion.

En résumé, ce n’est ni le défaut de la grâce, ni les vices des nations infidèles, encore moins la prétendue supériorité de leurs lumières, ni les persécutions, ni la pauvreté ou le trop petit nombre de missionnaires qui arrêtent les progrès de l’Evangile. Toutes ces difficultés, les apôtres les ont rencontrées et bien plus nombreuses et bien plus terribles qu’on ne les trouve aujourd’hui. La vocation du missionnaire consiste à lutter à son tour contre ces obstacles ; il doit les aborder franchement avec les armes évangéliques ; il sera persécuté, il passera des jours de tristesse et de pleurs, pressuré par tous les genres d’afflictions, mais la victoire n’est pas douteuse. Tout cet ensemble d’obstacles forment en masse le domaine de ce monde que Notre-Seigneur a vaincu, ainsi qu’il le dit à ses disciples : In mundo pressurant habebitis, sed confidite, ego vici mundum. Joan. 16, 55.

Les difficultés vaincues, les préjugés des peuples bravés et éteints, les persécutions soutenues et lassées par une invincible fermeté jointe à une inaltérable patience, toute cette multitude d’adversaires subjugués et renversés forme pour ainsi dire ce roc mystérieux, au sommet duquel l’Église jette d’inébranlables fondements.


◄   Sommaire Chapitre II   ►