Coups d’ailes/Les voix qui montent

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Bibliothèque de l’Action française (p. 65-66).

Les voix qui montent


LA FOULE


Toi, poète ? Mais tu n’es qu’un rêveur,
Un scribe acharné qui flatte la Muse !
Tu chantes toujours et te crois sauveur ;
Dans ton rêve fou tu n’as pas d’excuse.
À ton seul esprit bornant l’univers,
Tu pourrais porter le deuil d’une rose ;
Et tu veux écrire en de mauvais vers
Ce que nous pouvons bien mieux dire en prose.

De ton cercle étroit tu sors par instants :
C’est pour nous parler alors de l’Idée,
Du charme trompeur que prennent les ans,
Du coeur noble et fier, de l’âme obsédée.
Méprisé de tous, tu crois à l’espoir,
Et tu vois partout le beau de la vie.
Tu berces ton âme au mot de devoir ;
Tu voudrais mourir pour une patrie…
Pauvre fou ! pourquoi t’acharner encor
A poursuivre seul le plus vain des rêves ?
La vie est un mot ! Le bonheur c’est l’or.
Profite aujourd’hui des heures trop brèves !


LE POÈTE


Si je suis rêveur, foule, qu’es-tu donc
Pour nier ainsi les plus grands mystères ?
Tu dis : L’idéal est dans un bas-fond !…
J’aime mieux l’azur, les tâches austères,
Les rêves de gloire aux ailes d’argent,
Et puis le vieux sol où j’aurai ma tombe.
Fais sonner encor ton rire outrageant
Et frappe mon front, si jamais je tombe.
Avide de sang, déchire mon coeur,
Et devant mes yeux étends de longs voiles :
Tu sauras, un jour, quel est le vainqueur…
Gardons, toi ton or et moi mes étoiles !