Coups de clairon/1870/La Douleur du Drapeau
LA DOULEUR DU DRAPEAU[1]
C’est moi qui porte le Drapeau
D’un vieux Régiment de la ligne ;
Pour lui je risquerais ma peau
Sans hésiter, au premier signe ;
Depuis quelque temps il me semble
Qu’il n’est plus si fier ni si beau…
… Mais qu’a-t-il donc, mon vieux Drapeau ?
On dirait qu’il tremble !
Lorsqu’au-dessus du Régiment
Je lève ma loque chérie,
Dans ses plis noircis, par moment,
L’ouragan souffle avec furie ;
Et l’on croit entendre à la ronde
Une voix qui sort du tombeau…
… Mais qu’a-t-il donc, mon vieux Drapeau ?
On dirait qu’il gronde !
Les petits soldats, résolus,
Affrontent gaîment la tempête ;
Mais l’étendard ne flotte plus :
Tristement il baisse la tête.
Sur ma main que la soie effleure
Je sens tomber des gouttes d’eau…
… Mais qu’a-t-il donc, mon vieux Drapeau ?
On dirait qu’il pleure !
Ce haillon jadis triomphant
Dont la douleur me désespère
Je l’aime plus que mon enfant :
Pour lui je trahirais mon père ;
Aussi ! dans un langage étrange
J’ai confessé le cher lambeau…
… Je sais ce qu’il a, mon Drapeau :
Il veut qu’on le venge !
- ↑ Reproduit avec l’autorisation de MM. Puigelier et Bassereau, éditeurs, 53, Faubourg Saint-Denis, Paris.