Cours d’agriculture (Rozier)/BAN

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Hôtel Serpente (Tome secondp. 148-150).
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BAN. Terme de jurisprudence qui veut dire proclamation solemnelle, pour ordonner ou défendre quelque chose. Mais pour ne s’occuper que des objets relatifs à l’agriculture, il ne s’agit ici que du ban des moissons, du ban des vendanges & du ban à vin. Le bien de l’agriculture exigeroit que ces mots n’eussent jamais été connus dans notre langue ou du moins qu’à l’avenir, ils fussent oubliés, tout en iroit mieux. Le ban des moissons n’a presque plus lieu en France. Le bon sens a prévalu une fois contre la coutume.

Publier le ban est une permission que les officiers de police ou les seigneurs accordent aux particuliers de vendanger leurs vignes ou de moissonner les grains après avoir pris, l’avis des principaux habitans sur la maturité des raisins ou des grains : comme si j’avois besoin d’un tiers pour veiller sur mes intérêts, & comme si ce tiers pouvoit les connoître mieux que moi. Si on vouloit remonter à l’origine de ce droit, on trouveroit que c’est en général une usurpation du seigneur ou du décimateur. Dans presque toutes les provinces soumises à la coutume du ban, le seigneur s’est arrogé le droit de faire vendanger ses vignes les premières par les habitans du village ; il les nourrit seulement & ne les paie point. Les deux premiers jours sont pour lui, & les suivans pour le particulier. Le décimateur a dit : si chacun vendange à sa fantaisie, j’aurai trop de peine à prélever ma dîme, je multiplierai mes frais, & mon vin sera de qualité plus inférieure ; le régime prohibitif est mieux notre affaire. En apparence, le ban offre un point d’utilité & conforme à la raison, puisque l’on prend l’avis des notables de la paroisse. J’ai vu ces assemblées, & c’est parce que j’y ai assisté, que je soutiens que les bans sont nuisibles.

Tous les vignobles d’une paroisse ne peuvent pas être à la même exposition, dans le même sol. Là le raisin est parfaitement mûr, ici il ne l’est pas ; ici on cultive une espèce de raisin dont la maturité est plus hâtive, là une autre espèce qui mûrit plus tard ; cependant tout le monde doit vendanger pour ne pas être déclos, c’est-à-dire, pour que les glaneurs, les raisimoleurs, ne viennent pas fourrager votre vigne. Mais puisque le seigneur, le décimateur, & les notables, ont si fort à cœur l’intérêt du particulier, pourquoi ne pas s’attacher à prévenir la dévastation de ces glaneurs qui, sous prétexte de cueillir les raisins oubliés dans une vigne, volent ceux des vignes non vendangées qui les touchent : cet abus est excessif, surtout dans le voisinage des petites villes, soit pour le raisin, soit pour le grain.

Dans les grands pays de vignobles, la récolte est ordinairement faite par des hommes, femmes & enfans qui descendent des montagnes ; elle est pour eux une partie de plaisir, & c’est peut-être la seule occasion de l’année ou ces malheureux boivent du vin. Dès que l’atmosphère paroît se charger de nuages, dès que dans les bas fonds le raisin commence à pourrir, enfin dès que l’on craint tant soit peu pour la récolte, ces hommes se prévalent, il faut vendanger, & les payer souvent le quatruple du prix ordinaire. Si au contraire chacun étoit libre de vendanger, la presse, pour me servir d’un mot usité dans ces circonstances, ne seroit pas au village, les propriétaires des vignes plantées sur des coteaux, aideroient ceux des vignes en bas fonds, & ainsi successivement. Il seroit facile d’ajouter encore d’autres motifs pour faire proscrire les bans de vendange, si tout homme de bon sens n’en reconnoissoit pas les abus. Heureux sont les habitans du Languedoc & de la Provence ; ils ne connoissent pas ce droit destructeur, chacun y vendange quand il lui plaît & comme il lui plaît.

Je sais que la loi vous permet de couper le raisin, avant la publication du ban de vendange, mais elle défend de le sortîr de la vigne. En vérité n’est-ce pas vouloir permettre à un homme de marcher quand on lui a lié & garrotté les deux jambes ? La loi n’oblige pas de vendanger le même jour que les autres ; mais alors il faut établir des gardes dans tous les coins de sa vigne pour prévenir le dégât des glaneurs. Cette liberté équivaut à une prohibition. Le paysan est toujours pressé de vendanger ; & le propriétaire, qui desireroit procurer à son vin une qualité supérieure, ne peut laisser mûrir le raisin aussi long-tems qu’il le desireroit, à cause des désagrémens qui résultent de n’avoir pas suivi le torrent. J’ai vu un décimateur faire un procès à un particulier qui ne vendangeoit jamais que huit à dix jours après les autres.