Cours d’agriculture (Rozier)/COCHON (supplément)

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COCHON. Les ressources incalculables que cet animal offre, quand on sait mettre tout à profit pour son éducation, sembloient devoir mériter plus de développemens de la part de l’immortel Rozier. Je vais tacher d’y suppléer, en indiquant les pratiques les plus économiques, suivies en divers cantons, qui procurent aux habitans un aliment dont il est difficile de se passer à la campagne ; et, en effet, qui ne connoît pas le prix d’avoir toujours dans une ferme une viande prête à devenir un mets fondamental du repas ? on en assaisonne les herbages, les semences légumineuses et les racines potagères, dont l’usage convient si évidemment aux hommes livrés à des travaux et à des exercices pénibles, par conséquent aux cultivateurs.

Pour mettre promptement le cochon en état d’entrer dans le saloir, il ne faut rien épargner de ce qui peut y concourir ; nourriture appropriée et abondante, habitation chaude, paille fraîche, cour commode, soins convenables, et sur-tout choix de bonnes races.

Il est possible de mettre à l’engrais les cochons destinés au petit salé, lorsqu’ils ont atteint huit à dix mois ; mais il faut qu’ils en aient au moins dix-huit, pour fournir du lard ; ce n’est pas qu’ils ne croissent pendant quatre à cinq ans ; rarement, à la vérité, on laisse vivre tout ce temps, excepté les verrats et les truies, un animal qui doit payer plus tôt les soins et les dépenses qu’il a coûtés à son maître.

Tous les cochons ne sont pas également propres à prendre une bonne graisse. Pour parvenir à ce point d’utilité, qui est le but du propriétaire, les uns demandent plus de temps et consomment davantage de nourriture que les autres ; il y a donc un choix à faire : les moyens d’amener ces animaux à une surabondance graisseuse peuvent être réduits à quatre principaux, savoir :

1°. La castration.

2°. Le choix de la saison.

3°. L’état de repos où doit être le cochon.

4°. Enfin, l’espèce, la forme et la quantité de nourriture.

Premier moyen d’engrais. La castration peut avoir lieu à tout âge pour le cochon ; mais, plus l’animal qui subit cette opération est jeune, moins les suites en sont funestes. Dans quelques cantons, on la pratique à six semaines, ou deux mois au plus ; les cochonnets encore au régime lacté guérissent plus vite que s’ils eussent été sevrés, et leur chair en est plus délicate ; ils ne deviennent pas, il est vrai, aussi beaux ; dans d’autres endroits, c’est depuis quatre jusqu’à six mois que la castration a lieu. Peu importe d’ailleurs dans quelle saison, pourvu que la température soit douce, parce que les chaleurs vives et les grands froids rendroient également la plaie dangereuse et d’une guérison difficile.

Les verrats et les truies réformés de la basse-cour peuvent également subir la castration ; mais, dès qu’elle est faite, il faut nécessairement promener ces animaux pendant deux heures, et les veiller de près ; car la fièvre momentanée qui leur survient leur fait rechercher l’eau, et ce bain leur donne toujours la mort.

Les cochons qu’on doit garder de préférence pour élèves sont ceux de la portée du printemps ; en hiver, ils sont pincés par le froid, ce qui les empêche de croître. Quelques personnes croient avoir remarqué que les cochons les meilleurs à garder sont ceux qui prennent les premières tettes ; d’autres prétendent que les femelles doivent être préférées aux mâles, parce qu’elles ont plus de lard, et rapportent par conséquent plus de profit à a ferme. Enfin, il y en a qui semblent croire qu’il y auroit peut-être plus d’avantage à élever des verrats et des truies que des cochons coupés, attendu que les premiers ne coûtent pas plus à nourrir que ceux-ci, qu’ils ont plus de chair, et deviennent plus fermes ; que d’ailleurs les truies donnent, avant qu’on les tue, plus de petits ; que le lard n’en vaut pas mieux, sur-tout quand on n’attend pas trop long-temps pour les mettre à l’engrais. C’est à l’expérience et à l’observation à justifier la vérité de toutes ces assertions.

Second moyen d’engrais. L’automne est ordinairement préférée pour l’engrais des cochons ; ce n’est pas seulement par la raison qu’il y a alors beaucoup de fruits sauvages dont on ne tireroit aucun parti, que les débris des récoltes, les balayures et les criblures des greniers sont plus communes ; mais cette saison est celle que la nature semble avoir affectée plus spécialement au domaine de la graisse. La disposition à l’engrais semble être favorisée par le temps sombre et les brouillards ; la transpiration arrêtée paroît se changer en graisse, l’air rafraîchi la laisse mieux croître que le chaud ; d’ailleurs, l’engrais des cochons étant terminé ordinairement pour l’hiver, c’est dans cette saison que généralement on fait les salaisons ; ce sont du moins les meilleures, et celles qui se conservent le plus long-temps en bon état.

Troisième moyen d’engrais. Une troisième condition pour concourir à accélérer l’engrais des cochons, et conséquemment épargner des frais, c’est de les tenir constamment dans un état de propreté et de repos qui les provoque au sommeil ; il faut éloigner des étables les grogneurs qui, les empêchant de dormir, retardent singulièrement l’engrais, quand on les surchargeroit de nourriture.

Une longue expérience a appris aux Américains que l’usage du soufre, mêlé avec l’antimoine, donné de temps en temps aux cochons, leur est extrêmement utile, parce que ces deux ingrédiens les purgent insensiblement et les entretiennent dans un état de perspiration qui les dispose à engraisser.

La farine d’ivraie, mêlée à l’eau de son, est le narcotique assez généralement conseillé et usité pour porter les grogneurs au sommeil ; ailleurs, on est dans l’habitude d’associer à leur mangeaille ordinaire tantôt un peu de semence de jusquiame, et tantôt celle de stramonium, ou pomme épineuse ; il y a certains endroits où on leur casse les dents incisives, et d’autres où on leur fend les narines, dans la vue toujours de prévenir leur agitation, de rendre leurs dégâts moins fréquens, et de les faire arriver plus promptement à l’état désiré ; enfin, pour disposer plus promptement encore les cochons à prendre la graisse, une saignée est quelquefois à propos ; mais l’essentiel, ou le répète, est qu’ils soient tenus proprement, qu’ils aient une litière renouvelée fréquemment, et qu’ils soient placés à l’abri de la lumière, du bruit, et de tout autre objet capable d’émouvoir leurs sens.

Quatrième moyen d’engrais. Une autre condition pour engraisser les cochons destinés à fournir le petit salé et le lard, c’est de leur dispenser la nourriture, ainsi que la boisson, sous des formes convenables et à des heures réglées ; il faut donc, sur toutes choses, ne pas oublier de les y disposer, en ne les nourrissant d’abord que foiblement les deux ou trois premiers jours qui précèdent leur entrée sous le toit pour n’en plus sortir : ce préparatoire excite la faim chez ces animaux, distend leurs viscères, les détermine à manger plus goulûment ; mais aussitôt qu’ils laissent de leur mangeaille et que leur appétit diminue sensiblement, ils ne tardent guères à réunir toutes les qualités nécessaires, pour le but qu’on se propose ; il ne faut pas différer de les tuer.

Les Anglais ont remarqué qu’en les laissant manger avec leur avidité ordinaire, le lard devient spongieux et plus sujet à rancir que celui des mêmes cochons auxquels on n’administre la nourriture qu’à mesure qu’ils peuvent la manger. Pour cet effet, ils se servent d’une machine qui leur a constamment réussi ; c’est une espèce de trémie enfoncée, mais dont une des parois est ouverte depuis le fond jusqu’à quatre ou cinq pouces de hauteur, sur deux ou trois de largeur ; elle est suspendue au dessus d’une ange de la capacité d’un pied et demi cube ; on jette la mangeaille dans cette trémie, qui est un peu inclinée, et il n’en tombe qu’autant que les cochons en peuvent manger. Ils ont encore imaginé un autre instrument, à la faveur duquel les cochons, vers les derniers jours de l’engrais, sont pris par les quatre pattes, et n’ont de libre dans tous leurs mouvemens que la mâchoire, pour faire tourner au profit de la graisse tout ce qu’ils avalent jusqu’au dernier moment de leur existence.

Cinquième moyen d’engrais. Un grand moyen d’engrais, peu dispendieux, mais praticable seulement dans le voisinage des bois, ce sont les fruits sauvages, et particulièrement le gland, que les cochons mangent avec plaisir ; ces animaux, à leur retour du bois, n’ont besoin que d’une eau blanche, ou même d’eau pure ; les propriétaires de nombreux troupeaux se sont souvent adjuger la glandée, dans des années abondantes, et chargent les forêts de ces animaux maigres qu’ils achètent exprès, et revendent au bout de six semaines, lorsqu’ils ont pris un peu de graisse.

Comme est rare que le chêne donne du gland deux années de suite, il faut s’occuper à prolonger la durée de ce fruit, en l’exposant à la chaleur du four, après qu’on en a tiré le pain, ou bien on kui applique le séchoir employé dans nos provinces méridionales pour la conservation des châtaignes ; alors, quand il a bien ressué, on le laisse en tas dans un endroit sec ; et lorsqu’il s’agit de le consommer, on le moud, ou on le ramollit dans l’eau, pour augmenter ses effets nutritifs.

Sixième moyen d’engrais. La faîne est encore un moyen économique d’engrais ; mais l’expérience a prouvé que les cochons engraissés par la faîne ne donnent qu’un lard jaune, mou, de peu de garde, qui fond à la première chaleur, et que leur chair prend mal le sel. Le fruit du hêtre auroit une destination plus utile si, après lui avoir enlevé son écorce au moyen des meules de moulin, on soumettoit l’amande en farine à la presse, pour en extraire l’huile, si bonne dans nos alimens, et à brùler ; le marc qui en résulteroit n’auroit plus les inconvéniens remarqués plus haut, il deviendroit une nourriture excellente pour les cochons, ce qui formeroit un double profit. C’est ainsi que, dans les cantons où l’on cultive le pavot, le colza, la navette, le lin, etc., pour en exprimer l’huile, on donne le marc en tourteaux aux cochons, et ce manger bien dirigé procure un grand profit : ou leur donne aussi le marc des pommes de terre quand on en a séparé a fécule.

Septième moyen d’engrais. En général, les animaux de basse-cour, et principalement les cochons, aiment les racines potagères ; elles réussissent à cet égard par dessus tout autre aliment ; et, dans le nombre des substances propres à suppléer les grains, on doit les regarder comme les plus nourrissantes et les moins coûteuses : on peut les leur administrer crues ou cuites, avec la précaution de les diviser par tranches menues, et d’en régler toujours la quantité sur la force et la constitution de l’animal.

Mais une racine facile à se procurer par-tout, c’est la pomme de terre ; elle convient singulièrement aux cochons, et aux vues qu’on a de les engraisser promptement et à peu de frais. On peut conduire ces animaux plusieurs jours de suite dans les champs où l’on a récolté cette plante ; en fouillant la terre, ils y trouvent les tubercules qui ont échappe aux ouvriers, et qui, sans cet emploi, seroient absolument perdus ; mais en soumettant ces pommes de terre au pressoir, comme les pommes à cidre, il en résulte un marc farineux qui, séché au soleil et mis en réserve, peut offrir, dans toutes les saisons, une excellente nourriture d’engrais.

La main-d’œuvre étant fort chère en Amérique, on a imaginé de simplifier plusieurs opérations rurales, lorsqu’il s’agit d’engraisser des cochons avec des pommes de terre ; comme tous les champs sont enfermés avec des palissades, il est aisé de leur donner la forme et la grandeur nécessaires. Ceux qui sont destinés à engraisser les cochons sont longs et étroits. Supposons-en un, par exemple, de huit perches de large, sur soixante de longueur ; ce champ est d’abord planté avec des pommes de terre en sillons distans les uns des autres de trois pieds ; quand, vers le mois de septembre, elles ont acquis leur maturité, on divise les champs avec des palissades à quatre perches de distance du commencement. On y met ensuite les cochons, ainsi que l’auge nécessaire pour les abreuver. Ces animaux, en fouillant, trouvent aisément le fruit qu’ils aiment, d’autant mieux qu’ils semblent le dérober. Quand cette première partie est épuisée, la division est replacée à trois ou quatre perches plus avant, et ainsi de suite ; d’où il résulte une épargne considérable de soins et de dépenses, en même temps que le terrain se trouve mieux préparé pour une autre culture.

Les carottes, la betterave champêtre, les topinambours et les panais, ne sont pas moins recherchés par les cochons que les pommes de terre ; ils les mangent avec la même avidité. Ces racines, à la vérité, ont trouvé, parmi les Anglais, quelques détracteurs ; ils ont prétendu, non pas qu’elles ne fussent propres à l’engrais de ces animaux, mais qu’elles étoient sans profit et sans valeur pour l’engrais ; mais Arthur Young a répondu par des faits à toutes les objections ; et, quoiqu’il regarde que les semences légumineuses sont à la valeur alimentaire des racines comme 42 est à 7, il ne cesse d’en recommander l’usage.

Il faut convenir que, si on veut conserver au lard son goût et sa fermeté, on doit l’empêcher de se dénaturer dans la cuisson, toujours ajouter au manger, quand il est composé de matières fluides et relâchantes, quelques substances astringentes, comme le tan, l’écorce de chêne, les fruits amers, acerbes, pour soutenir l’action de l’estomac et prévenir les flatuosités. C’est peut-être pour produire cet effet que, dans certaines contrées, l’habitude est de laisser dans l’auge du cochon, un boulet que d’autres remplacent par l’emploi d’un vase de fer, pour l’apprêt de la mangeaille.

Mais, nous ne saurions assez le répéter, quoique les racines soient toutes excellentes pour la nourriture des cochons, on ne parviendra jamais à les engraisser promptement et efficacement, qu’en les faisant cuire et les mêlant avec un peu de farine, des pains de suif, etc.

Huitième moyen d’engrais. Quoique tous les grains farineux soient, sans contredit, les matières les plus propres à concourir à l’engrais des animaux, puisqu’ils renferment le plus de nourriture sous un moindre volume, il a fallu choisir, parmi les céréales et les cérumineux, ceux qui sont les moins chers dans les cantons qu’on habite ; au Midi, c’est le maïs ; au Nord, c’est l’orge, les pois, les fèves et les haricots. Il ne faut pas les donner en entier, à moins qu’ils ne soient gonflés par un commencement de cuisson ; mais au moment où l’on touche au terme de l’engrais, et que l’animal n’a plus une grande énergie, il faut faire moudre grossièrement ces semences sans les bluter, en délayer la farine dans l’eau, et la convertir par la cuisson en une bouillie claire, qu’on épaissit à mesure qu’on approche du terme de l’engrais. Un excellent moyen d’administrer les grains aux cochons, est de les laisser tremper pendant vingt-quatre heures ; ensuite on les fait bouillir ; ils absorbent une grande quantité d’eau. Lorsqu’ils sont bien gonflés et qu’ils s’écrasent sous le doigt, on les met dans une cuve où ils fermentent pendant deux jours, avant de les faire distribuer ; cette manière est beaucoup plus profitable que de les moudre. On en fait autant pour les légumes.

Je sais parfaitement bien que les alimens crus et à la température de l’atmosphère devroient être préférés, puisqu’ils sont plus conformes à la nature, et que les cochons livrés à l’état sauvage n’en mangent pas d’autres ; mais il n’en est pas moins vrai de dire que beaucoup de ces alimens acquièrent plus de perfection par ce moyen, qu’ils sont plus commodes à administrer, et entrent beaucoup mieux dans les mélanges et la composition des bouillies ou pâtées propres à favoriser l’engrais ; d’ailleurs, l’état de domesticité admet d’autres formes, d’autres précautions et d’autres calculs dans la distribution de la nourriture aux animaux.

Commerce des cochons. Le cochon a eu plus de vogue autrefois qu’il n’en a aujourd’hui : il formoit un des principaux articles du commerce de la Gaule, les forêts immenses, dont ce pays étoit couvert, permettoient d’élever sans frais un assez grand nombre de ces animaux pour fournir le lard, les jambons et la salaison à toute l’Italie. Insensiblement nos premiers aïeux portèrent le goût de la cochonnaille par-tout où ils s’établirent.

Les gros et petits cultivateurs qui proportionneront le nombre de cochons à celui de leurs bestiaux et de leur exploitation, en tireront toujours un parti avantageux pour les besoins de leur ménage, s’ils ont le bon esprit sur-tout de ne multiplier que la race qui, dans le plus court délai et avec le moins de dépense possible, parvient à donner les verrats les plus vigoureux, les truies les plus fécondes, et les élèves les plus faciles à prendre l’engrais, à fournir le petit salé, ainsi que le lard le plus abondant et le plus parfait.

Le tableau des dépenses nécessaires pour donner aux cochons les qualités qui rendent ordinairement leur commerce praticable, sera toujours très-fautif, puisque, dans des endroits, on engraisse ces animaux avec des fèves, des pois et des haricots ; et dans d’autres, avec le seigle, l’orge, le sarrasin, le maïs, les fruits sauvages et les racines potagères ; denrées qui toutes ont des prix trop variés pour en déterminer la valeur réelle.

Quand bien même on ne retireroit de la vente des cochons que les dépenses qu’ils auront occasionnées, on y gagnera toujours le fumier qu’on en obtiendra. Ne nous lassons pas de le dire, ces animaux seront toujours une source bien précieuse de richesses dans les campagnes, dès que les hommes estimables qui les habitent emploiront, pour les nourrir, les gouverner et les engraisser, des combinaisons plus raisonnées, et une foule de matières alimentaires incapables, sous toute autre forme, de procurer autant d’utilité et d’argent

Tout sert dans le cochon : la chair nouvelle, fumée ou salée, le sang, les intestins, les viscères, les pieds, la langue, les oreilles, la tête, la graisse, le lard, parent les festins de nos grandes communes, et deviennent souvent la base et l’unique ressource des meilleurs repas champêtres. Les soies dont ces animaux sont couverts fournissent des vergettes et des pinceaux ; leurs peaux fortifient les malles, et on en fait des cribles ; enfin, le fumier de leur litière est très recommandé pour l’engrais des terres légères et sèches.

Beaucoup de ces objets, dont la préparation a créé, dans les grandes cités, un art particulier, sont devenus, en ce genre, un foyer de richesses. Bientôt, sans doute, les Juifs et les Mahométans oseront toucher les cochons et s’en nourrir ; alors il n’y aura pas de nations qui n’y trouvent les avantages que nous en retirons, puisqu’il n’existe point de terrains qui ne soient susceptibles de produire de quoi nourrir amplement ces animaux et les engraisser.

Il seroit possible, en effet, qu’après avoir été repoussés par ces deux peuples, comme article de religion, les porcs devinssent chez eux aussi précieux qu’au Mexique, et que les propriétaires, en les conduisant au marché, leur revêtissent les pieds d’une espèce de bottine pour les moins fatiguer, tandis que, selon l’histoire, les conducteurs font le même chemin pieds nus.

La chair du porc est le mets le plus recherché à Madère. Lorsque les cochons sont encore jeunes, on les marque et on les laisse ensuite dans les montagnes, où ils prennent un caractère sauvage, et se nourrissent principalement de racines de fougères, qui leur donnent un goût excellent ; et quand on veut les prendre, on les chasse avec des chiens.

Nous ne nous arrêterons pas à indiquer ici la manière de préparer tous les mets dont le cochon fait la base ; mais il est une opération à laquelle on le soumet, après qu’il est tué, qui mérite une place ici ; c’est sa salaison.

La viande du porc se sale très-bien et offre de grandes ressources dans les voyages de long cours, dans les armées de terre et de mer, dans tous les ménages, et sur-tout au printemps, où le cochon frais est ordinairement fort cher.

Mais on doit observer que le choix du sel n’est pas ici une chose indifférente pour la bonté des viandes conservées par ce moyen antiputride, et que c’est à celui qui provient de la fontaine de Salies, que les salages du Bigorre et du Béarn, connus sous le nom de jambons de Bayonne, doivent leur juste réputation.

La saison la plus favorable pour saler indistinctement toutes les viandes est l’hiver ; préparées dans un autre temps, elles ne sont point susceptibles de conservation. Le porc n’absorbe jamais plus de sel qu’il n’en faut, pourvu qu’il soit parfaitement sec, bien égrugé, et qu’on ne le laisse point avec des épices et des aromates, à moins cependant qu’on n’ait dessein de mariner la viande ; c’est-à-dire, de l’attendrir et de lui ôter son goût de sauvagine à la faveur du vinaigre.

Dès que le porc est tué, refroidi et découpé, on garnit le fond du saloir d’une bonne couche de sel ; on étend chaque morceau après l’avoir bien frotté tout autour de sel ; on fait un premier lit des plus gros morceaux, sur lequel on en jette encore ; puis un second, et ainsi de suite ; les autres pièces les moins en chair, comme oreilles, tête et pieds, occupent le dessus.

Le tout étant distribué et arrangé, on recouvre la partie supérieure d’un lit copieux de sel ; ou ferme exactement le saloir de manière à empêcher l’accès de l’air extérieur pendant six semaines environ.

Dans l’île de Sandwick, la salaison des porcs se pratique ainsi : ou tue l’animal le soir, et, après en avoir séparé les entrailles, on ôte les os «les jambes et des échines ; le reste est divisé en morceaux, de six à huit livres ; on les remet au saloir ; tandis que la chair est encore pourvue de sa chaleur naturelle, on frotte de sel les morceaux, on les entasse sur une table élevée, on les couvre de planches surchargées de poids les plus lourds, et on les laisse ainsi jusqu’au lendemain au soir ; quand on les trouve en bon état, on les met dans une cuve remplie de sel et de marinade.

S’il y a des morceaux qui ne prennent point le sel, on les retire sur-le-champ, et on met les parties saines dans un nouvel assaisonnement de vinaigre et de sel ; six jours après on les sort de la cuve, on les examine pour la dernière fois ; et, quand on s’aperçoit qu’ils sont légèrement comprimés, on les met en barriques, en plaçant une légère couche de sel entre chaque morceau. Dans les petits ménages où l’on sale quelques livres de cochon, on a le soin d’examiner si la viande n’est pas trop salée au moment de s’en servir ; alors en la retirant du saloir, on la trempe un moment dans l’eau bouillante, et on la suspend au plancher, ou bien à la cheminée, où elle sèche insensiblement.

Il faut espérer qu’un jour, plus familiers avec les lois à observer pour préparer la chair, non seulement des quadrupèdes, mais encore celle des volailles et des poissons, à recevoir et à conserver le sel qui doit l’attendrir, l’assaisonner, en prolonger la durée dans tous les climats, nous cesserons d’être tributaires, en ce genre, de nos voisins ; et l’art des salaisons, perfectionné parmi nous, concourra de plus en plus à multiplier les ressources agricoles et nationales. (Parmentier.)