Cours d’agriculture (Rozier)/GIROFLE, GIROFLIER

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Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 289-292).


GIROFLE, GIROFLIER, arbre indigène aux Grandes Indes. On connoît encore très-peu le vrai giroflier que M. von-Linné appelle cariophyllus aromaticus, & qu’il classe dans la polyandrie monogynie. M. Poivre, citoyen zélé, ancien Intendant de l’île de France, & dont le nom sera toujours cher aux habitans de cette île, qui se rappellent sans cesse la douceur & la sagesse de son administration, eut l’art de se faire donner par un des Rois indiens vingt mille pieds ou de giroflier, ou de muscadier ou de canelier, & il fit transporter ces précieuses épiceries dans l’île, où les arbres furent cultivés avec le plus grand soin. Il en sera peut-être un jour de ces arbres, que les hollandois prennent à tâche de détruire hors de leurs possessions, comme du café. (Voyez le mot Café, où l’on indique comment il a été naturalisé dans nos îles d’Amérique, ainsi que le bambou). Il y a grande apparence que ces arbres y prospéreront avec le même succès, dès qu’ils seront assez multipliés à l’île de France & à l’île Maurice. Je sais que M. Poivre a lu à l’Académie de Lyon un mémoire très-détaillé sur la culture du giroflier ; mais je ne le connois pas. Je copie ce qui est dit de cet arbre & de son fruit dans l’Histoire universelle du Règne végétai de M. Buch’oz.

« Le giroflier est de la forme & de la grandeur du laurier ; son tronc est branchu, & revêtu d’une écorce comme celle de l’olivier. Les rameaux s’étendent en large, & sont d’une couleur roussâtre, garnis de beaucoup de feuilles serrées, situées alternativement, semblables à celles du laurier, longues d’une palme, larges d’un pouce & demi, unies, luisantes, pointues aux deux extrémités, avec des bords un peu ondés, portées sur une queue longue d’un pouce, laquelle jette dans le milieu de la feuille une côte, d’où sortent obliquement de petites nervures qui s’étendent jusque sur les bords. Les fleurs naissent à l’extrémité des rameaux en bouquets ; elles sont en rose, à quatre pétales bleus, d’une odeur très-pénétrante. Chaque pétale est arrondi, pointu, marqué de trois veines blanches. Le milieu de ces fleurs est occupé par un grand nombre d’étamines purpurines. Le calice des fleurs est cylindrique, de la longueur d’un demi-pouce, partagé en quatre parties à son sommet, de couleur de suie, d’un goût acre, agréable & fort aromatique, lequel, après que la fleur est sèche, se change en un fruit ovoïde, creusé en nombril, n’ayant qu’une capsule, de couleur rouge d’abord, ensuite noirâtre, qui contient une amande oblongue, dure, noirâtre, creusée d’un sillon dans sa longueur.

On a publié par ordre du gouvernement dans les îles de France & de Bourbon des instructions imprimées.

Cet arbre, lit-on dans ces instructions, qui est sans contredit l’arbre de la nature qui donne le plus riche produit, est aussi celui qui demande le plus de soin ; il craint également le vent, le soleil & la sécheresse ; il aime l’ombre, & se plaît dans les terres humides, & ne réussit point ailleurs. Sa graine, qui est une petite baie bien différente du clou de girofle marchand, se plante à six lignes de profondeur dans un terrain frais & humide, & fouillé à la profondeur de trois pieds. Comme sa graine est très-délicate, & que lors de la germination elle sort de la terre, comme la féve du haricot, elle doit être couverte d’une terre légère & facile à soulever.

Le terrain où on l’a planté doit être couvert superficiellement de feuilles destinées à conserver la fraîcheur de la terre, & à garantir le germe naissant de l’ardeur du soleil. Il convient, après avoir fait le trou destiné à la plantation de cette graine, de ne pas remplir exactement ce même trou, mais d’y laisser une cavité de trois ou quatre pouces, tant pour conserver la fraîcheur de la terre, que pour donner un peu d’abri au germe naissant de cette graine par la hauteur prédominante de la circonférence du trou.

Après avoir mis de la graine en terre, l’avoir couverte d’une terre légère, y avoir jeté par-dessus des feuilles mortes pour en conserver la fraîcheur, on doit donner par dessus ces feuilles un bon arrosement avec l’attention de jeter l’eau également comme avec une grille d’arrosoir, pour ne pas courir le risque de déterrer la graine ; chaque trou doit être défendu par un bon entourage de petites gaules.

Le jeune plant du giroflier ne peut être enterré avec succès, que lorsqu’il sera levé avec sa motte. Sa racine étant composée d’une multitude de petits chevelus très-déliés, s’altère subitement au moindre contact de l’air ; par conséquent il faut avoir la plus grande attention à lever la motte en entier, sans ébranler ses petites racines. Il seroit encore mieux d’avoir fait un tel choix, du premier local de plantation, qu’on ne soit pas ensuite obligé de transplanter.

Le plant du giroflier levé avec cette précaution, doit être planté, comme on l’a dit, de sa graine, dans un terrain humide, préparé à l’ombre & à l’abri du vent. Le trou dans lequel on l’a placé ne doit pas être rempli de terre, il faut y laisser au moins cinq à six pouces de cavité, que l’on remplira de feuilles sèches pour conserver la fraîcheur de la terre. Il doit être entouré de branchages pour le garantir des vents, des rats & autres animaux nuisibles.

Quoique cet arbre aime l’ombre, il ne faut pas la lui donner telle qu’il ne reçoive pas les influences de l’air, il périroit infailliblement sous un arbre touffu ou qui étendroit ses racines trop au loin ; mais il se plaît à l’ombre des cocotiers, des lataniers & autres palmiers. Il lui faut un ombrage léger qui, en le garantissant de la grande ardeur du soleil, ne le prive pas des pluies, de la rosée, & en général des influences de l’air. L’ombre des arbres qui ne sont pas trop épais, est celle qui lui convient le mieux. Des petits défrichés faits adroitement dans l’intérieur des bois, dans les lieux humides, seroient certainement les plus favorables à la culture de cet arbre.

Les clous de girofle sont des fruits desséchés avant leur maturité, longs environ d’un demi-pouce, de figure de clou, presque quadrangulaire, ridés, d’un brun noirâtre, qui ont à leur sommet quatre petites pointes en forme d’étoile, au milieu desquelles s’élève une petite tête de la grosseur d’un petit pois, formée de petites feuilles appliquées les unes sur les autres en manière d’écailles qui, étant écartées & ouvertes, laissent voir plusieurs fibres roussâtres, entre lesquelles il s’élève dans une cavité quadrangulaire, un stile droit de même couleur, qui n’est pas toujours garni de sa petite tête, parce qu’elle tombe facilement. Lorsqu’on transporte les clous de girofle, ils sont âcres, chauds, aromatiques, un peu amers & agréables ; l’odeur est très-pénétrante. Le bouton qui se trouve au milieu des quatre divisions du calice, est nommé le fust du girofle.

Il faut choisir les clous bien nourris, pesans, gras, faciles à casser, piquant les doigts quand on les manie, d’un rouge foncé, garnis, s’il se peut, de leur fust, d’un goût chaud, aromatique & brûlant, d’une odeur excellente, laissant une humidité huileuse lorsqu’on les presse.

Du clou matrice. Le fruit qu’on laisse sur l’arbre, ou qui échappe à l’exactitude de ceux qui en font la récolte, continue de grossir jusqu’à la grosseur du bout du pouce, & se remplit d’une gomme dure, noire, qui est d’une agréable odeur & d’un goût fort aromatique. Ce fruit tombe de lui-même l’année suivante. Quoique sa qualité aromatique soit foible, il est fort estimé & sert à la plantation, car étant semé il germe, & dans l’espace de 8 à 9 ans, il devient un arbre fructifiant.

Récolte des clous de girofle. On cueille, savoir, le calice des fleurs, & les embryons des fruits, avant que les fleurs épanouissent, depuis le mois d’octobre jusqu’au mois de février ; on les cueille en partie avec les mains, & en partie on les fait tomber avec de longs roseaux ou avec des verges. On les reçoit sur des linges que l’on étend sous les arbres, ou bien on les laisse tomber sur terre après en avoir sévèrement coupé toute l’herbe. Lorsque ces fruits sont nouvellement cueillis, ils sont roux & légèrement noirâtres ; mais ils deviennent noirs en se séchant & par la fumée ; car on les expose pendant quelques jours à la fumée sur des claies. Enfin, on les fait bien sécher au soleil, & dans cet état les hollandois les vendent à toute la terre.

Propriétés médicales. Les clous de girofle échauffent beaucoup, causent une grande soif, raniment puissamment les forces vitales, & constipent, augmentent peu la transpiration insensible & l’expectoration des matières muqueuses. Ils sont indiqués dans les maladies de foiblesse par sérosités, particulièrement dans les maladies soporeuses qui en proviennent, dans le dégoût & le vomissement, par les humeurs pituiteuses. Ils passent pour le correctif des feuilles de séné, ce qui n’est pas prouvé.

L’huile essentielle de girofle mise sur la carie d’une dent, en calme pour un instant la douleur, elle enflamme la bouche, y cause des excoriations considérables en onction mêlée avec quatre ou six parties d’axonge de porc, elle peut augmenter la sensibilité & le mouvement des membres dans les maladies de foiblesse par sérosités.