Cours d’agriculture (Rozier)/CAFÉ

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Hôtel Serpente (Tome secondp. 516-530).


CAFÉ. Je n’ai jamais cultivé cet arbre précieux ; je l’ai vu au jardin du roi, mais pas assez fréquemment pour écrire d’après mes observations. J’emprunterai de divers auteurs ce que je vais rapporter, en rendant à chacun ce qui lui appartient, suivant la loi que je me suis imposée & dont je ne me départirai jamais.


Tableau du mot Café.


CHAP. I. Histoire du Café.
CHAP. II. Description du Café par M. de Jussieu.
CHAP. III. De la culture du Café.
CHAP. IV. De ses propriétés.


CHAPITRE PREMIER.

Histoire du Café.

Le cafier, dit M. l’abbé Raynal dans son Histoire philosophique & politique des établissemens des Européens dans les deux Indes, vient originairement de la haute Éthiopie, où il a été connu de tems immémorial, & où il est encore cultivé avec succès. M. Lagrenée de Mézières, un des agens les plus éclairés que la France ait jamais employés aux Indes, a possédé de son fruit, & en a fait souvent usage. Il l’a trouvé beaucoup plus gros, un peu plus long, moins vert, presqu’aussi parfumé que celui qu’on a commencé à cueillir dans l’Arabie vers la fin du quinzième siècle.

On croit communément qu’un mollach, nommé Chadely, fut le premier arabe qui fit usage du café, dans la vue de se délivrer d’un assoupissement continuel, qui ne lui permettoit pas de vaquer convenablement à ses prières nocturnes. Ses derviches l’imitèrent. Leur exemple entraîna les gens de loi. On ne tarda pas à s’appercevoir que cette boisson purifioit le sang par une douce agitation, dissipoit les pesanteurs de l’estomac, égayoit l’esprit ; & ceux même qui n’avoient pas besoin de se tenir éveillés, l’adoptèrent. Des bords de la mer rouge il passa à Médine, à la Mecque, & par les pélerins dans tous les pays mahométans.

Dans ces contrées, où les mœurs ne sont pas aussi libres que parmi nous, on imagina d’établir des maisons publiques, où se distribuoit le café. Celles de Perse devinrent bientôt des lieux infâmes ; & lorsque la cour eut fait cesser ces dissolutions révoltantes, ces maisons devinrent un asyle honnête pour des gens oisifs, & un lieu de délassement pour les hommes occupés. Les politiques s’y entretenoient de nouvelles ; les poëtes y récitoient leurs vers, & les mollachs leurs sermons.

Les choses ne se passèrent pas si paisiblement à Constantinople. On n’y eut pas plutôt ouvert les cafés qu’ils furent fréquentés avec fureur. D’après les représentations du grand muphti, le gouvernement fit fermer ces lieux publics ; & l’usage de cette liqueur fut interdit dans l’intérieur des familles. Un penchant décidé triompha de toutes ces sévérités ; on continua de boire du café, & même les lieux où il se distribuoit se trouvèrent bientôt en plus grand nombre qu’auparavant.

Au milieu du dernier siècle, le grand visir Koproli se transporta déguisé dans les principaux cafés de Constantinople ; il y trouva une foule de gens mécontens, qui, persuadés que les affaires du gouvernement sont en effet celles de chaque particulier, s’en entretenoient avec chaleur, & censuroient avec une hardiesse extrême la conduite des généraux & des ministres. Il passa de-là dans les tavernes où l’on vendoit du vin ; elles étoient remplies de gens simples, la plupart soldats, qui, accoutumés à regarder les intérêts de l’État comme ceux du prince qu’ils adorent en silence, chantoient gaiement, parloient de leurs amours, de leurs exploits guerriers. Ces dernières sociétés, qui n’entraînent point d’inconvéniens, lui parurent devoir être tolérées ; mais il jugea les premières dangereuses dans un état despotique ; il les supprima, & personne n’a entrepris depuis de les rétablir.

Dans le tems précisément qu’on fermoit les cafés à Constantinople, on en ouvrit à Londres. Cette nouveauté y fut introduite en 1652, par un marchand nommé Edouard, qui revenoit du Levant. Elle se trouva du goût des anglois ; & toutes les nations de l’Europe l’ont depuis adoptée.

M. Aublet, à qui nous sommes redevables de l’Histoire des plantes de la Guyane françoise, en 4 volumes in-4o. n’est pas d’accord sur ce dernier point avec M. l’abbé Raynal. Il dit : on a des preuves que durant le règne de Louis XIII, on vendoit, sous le petit châtelet de Paris, de la décoction de café sous le nom de cahové, ou cahovet.

Il paroît, continue M. Aublet, que le premier pied de café qui a été cultivé au jardin du roi, y avoit été apporté par M. Ressons, officier d’artillerie ; mais ce pied ayant péri, M. Paneras, bourgmestre d’Amsterdam, envoya en 1714, un pied de café à Louis XIV, & il fut soigné au jardin royal des plantes de Paris. Son histoire est intéressante, parce qu’il a été le père des premières plantations de café dans nos îles d’Amérique.

Dès 1716, de jeunes plants élevés des graines de ce pied, furent confiés à M. Isembery, médecin pour le transport de nos colonies dans les Antilles ; mais ce médecin étant mort peu de tems après son arrivée, cette tentative n’eut pas le succès qu’on en attendoit. C’est à M. Declieux que nos îles ont l’obligation d’avoir formé de nouveau, en 1720, le projet d’enrichir la Martinique de cette culture. On doit à ses soins la réussite de ce second essai. Ce bon citoyen, pour lors capitaine d’infanterie & enseigne de vaisseau, s’étant procuré par le crédit de M. Chirac, médecin, un jeune pied de café, élevé de la graine du cafier, donné par M. Paneras, & conservé au jardin du roi, s’embarqua pour la Martinique. Il se trouva sur un vaisseau où l’eau devint rare ; il partagea avec son arbuste le peu d’eau qu’il recevoit pour sa boisson ; & par ce généreux sacrifice parvint à sauver le précieux dépôt qui lui avoit été confié. Ce plant étoit extrêmement foible, & n’étoit pas plus gros qu’une marcotte d’œillet. Arrivé chez moi, dit M. Declieux, mon premier soin fut de le planter avec attention dans le lieu de mon jardin le plus favorable à son accroissement. Quoique je le gardasse à vue, il pensa m’être enlevé plusieurs fois ; de manière que je fus obligé de le faire entourner de piquans, & d’y établir une garde jusqu’à sa maturité. Le succès combla mes espérances ; je recueillis environ deux livres de graines, que je partageai entre toutes les personnes que je jugeai les plus capables de donner les soins nécessaires à la prospérité de cette plante. La première récolte se trouva très-abondante ; par la seconde, on fut en état d’en étendre prodigieusement la culture. Ce qui favorisa singulièrement sa multiplication, c’est que deux ans après tous les arbres de cacao du pays furent déracinés, enlevés & radicalement détruits par la plus horrible des tempêtes. C’est de la Martinique que les plants de café furent envoyés dans la suite à Saint-Domingue, à la Guadeloupe, & aux autres îles adjacentes.

Ce fut à peu près dans le même tems que le café fut apporté à Cayenne en 1719. Un fugitif de la colonie Françoise, regrettant ce pays qu’il avoit quitté pour se retirer dans les établissemens hollandois de la Guyane, & desirant revenir avec ses compatriotes, écrivit de Surinam que si on vouloit le recevoir, & lui pardonner sa faute, il apporteroit des graines de café en état de germer, malgré les peines rigoureuses prononcées contre ceux qui sortoient de la colonie avec pareille graine. Sur la parole qu’on lui donna, il arriva à Cayenne avec des graines récentes, qu’il remit à M. d’Albon, commissaire ordonnateur de la marine, & qui se chargea de les élever. Ses soins furent couronnés par le succès. Les fruits que produisirent bientôt ces arbres furent distribués aux habitans, & en peu de tems la multiplication fut considérable.

La compagnie des Indes, établie à Paris, envoya en 1717 à l’île de Bourbon, par M. du Fougeret-Gremer, capitaine de navire de Saint-Malo, quelques plants de café moka, qui furent remis à M. des Forges-Boucher, lieutenant de roi de cette île. Il paroît qu’il n’en ressort en 1720 qu’un seul pied, dont le produit fut tel cette année-là, que l’on mit en terre pour le moins 15 000 fèves de café. On lit dans le volume de l’académie des sciences de Paris, année 1715, le fait suivant. Les habitans de l’île de Bourbon, ayant vu par un navire françois, qui revenoit de moka, des branches de cafier ordinaire, chargées de feuilles & de fruits, ils reconnurent aussi-tôt qu’ils avoient dans leurs montagnes des arbres tout pareils, & allèrent en chercher des branches, dont la comparaison fut exacte ; seulement le café de l’île de Bourbon fut trouvé plus long, plus menu & plus vert que celui d’Arabie. Et voilà comme, par le défaut de lumières, on va chercher bien loin & à grands frais ce qui nous environne & que nous foulons souvent aux pieds.

Il seroit à desirer que ceux qui nous ont précédé eussent conservé les noms des personnes qui ont enrichi leur patrie de plantes utiles. Ces noms seroient plus chers à ceux qui savent apprécier les choses, que ceux des conquérans qui l’ont dévasée ou ruinée.


CHAPITRE II.

Description du Café par M. de Jussieu.

Cet arbre auquel on peut donner le nom de jasminum arabicum, lauri folio cujus semen apud nos café dicitur, (M. von Linné le nomme coffea arabica, & le classe dans la pentrandrie monogynie) donne des branches qui sortent d’espace en espace de toute la longueur de son tronc, toujours opposées deux à deux & rangées de manière qu’une paire croise l’autre. Elles sont simples, arrondies, noueuses par intervalle, couvertes aussi-bien que le tronc d’une écorce blanchâtre, très-fine, qui se gerce en se desséchant. Le bois est un peu dur, & douceâtre au goût. Les branches inférieures sont ordinairement simples, & s’étendent plus horizontalement que les supérieures qui terminent le tronc, lesquelles sont divisées en d’autres plus menues qui partent des aisselles des feuilles, & gardent le même ordre que celles du tronc. Les unes & les autres sont chargées en tout tems de feuilles entières sans dentelures ni crenelures dans leurs contours, aiguës par les deux bouts, opposées deux à deux, & elles ressemblent aux feuilles de laurier ordinaire, avec cette différence qu’elles sont moins sèches, moins épaisses, ordinairement plus larges, plus pointues par leur extrémité ; elles sont d’un vert gai, luisant en-dessus, vert pâle en-dessous.

De l’aisselle de la plupart des feuilles naissent des fleurs jusqu’au nombre de cinq, soutenues chacune par un péduncule court. Elles sont toutes blanches, d’une seule pièce ; à-peu-près du volume & de la figure de celles du jasmin d’Espagne, excepté que le tuyau est plus court, & que les découpures en sont plus étroites, & sont accompagnées de cinq étamines blanches, à sommets jaunâtres ; au lieu qu’il n’y en a que deux dans nos jasmins. Ces étamines débordent le tuyau de leur fleur, & entourent un stile fourchu qui surmonte l’embryon, ou pistil placé dans le fond d’un calice vert, à quatre pointes, deux grandes & deux petites, disposées alternativement. Ces fleurs passent fort vîte, & ont une odeur douce & agréable. L’embryon ou jeune fruit, qui devient à peu près de la grosseur & de la figure d’un bigarreau, se termine en ombilic, & est d’un vert clair d’abord, puis rougeâtre, ensuite d’un beau rouge, & enfin rouge obscur dans sa parfaite maturité. Sa chair est glaiseuse & d’un goût désagréable, qui se change en celui de nos pruneaux noirs secs lorsqu’elle est desséchée ; & la grosseur de ce fruit se réduit alors en celle d’une baie de laurier. Cette chair sert d’enveloppe à deux coques minces, ovales, étroitement unies, arrondies sur leur dos, aplaties par l’endroit où elles se joignent, de couleur d’un blanc jaunâtre, & qui contiennent chacune une semence calleuse, pour ainsi dire ovale, voûtée sur son dos, plate du côté opposé, creusée dans le milieu, & dans toute la longueur de ce même côté d’un sillon assez profond.

À Battavia & en Arabie cet arbre s’élève beaucoup, & son tronc est toujours mince, proportion gardée avec sa hauteur. Il est presque pendant toute l’année chargé de fruits & de fleurs.


CHAPITRE III.

De sa culture.

On publia en 1773 une lettre sur la culture du café adressée à M. le Monnier, & sans nom d’auteur. C’est d’après cet ouvrage que nous allons parler & en donner le précis.

On a été long-tems en usage, dans l’île de Bourbon, de prendre dans les caféteries les jeunes plants qui naissent des fruits tombés : c’est un abus, & l’expérience a prouvé que ces plants languissent pendant long-tems après leur transplantation.

Les semis doivent être faits en plein-champ, après avoir donné à la terre qu’on leur destine plusieurs façons, & l’avoir engraissée, non pas avec du fumier, mais avec du terreau.

Ce terrain sera disposé en planches, sur lesquelles seront tracés des sillons d’un demi-pouce de profondeur, & espacés de sept à huit.

On jettera dans ces sillons le fruit dépouillé de sa coque, & non pas de son enveloppe coriace. Chaque grain sera éloigné de son voisin de trois pouces de distance, & recouvert de terre. Il est important de choisir les graines bien mûres & fraîches ; dès qu’elles sont desséchées elles ne lèvent plus.

Pour enlever la pulpe, les nègres convalescens ou infirmes passent un cylindre de bois sur la cerise lorsqu’elle est rouge. Il écrase la pulpe & la sépare du grain.

Les graines destinées à être plantées ne doivent pas rester amoncelées pendant long-tems ; la pulpe fermenteroit, & la fermentation nuiroit au germe. À mesure que le grain est dépouillé de sa pulpe, il est mis dans de la cendre, qui s’attache à l’enveloppe de la fève par l’intermède du suc visqueux fourni par la pulpe, & cette cendre empêche que les graines ne se collent les unes contre les autres, ce qui facilite les semailles.

Quelques cultivateurs ont pensé qu’il étoit plus à propos de planter les graines entières ; c’est-à-dire, avec leur pulpe. Lorsque la pulpe se dessèche en terre, elle met un obstacle à la sortie du germe. Il arrive ordinairement que l’une des deux fèves, renfermées dans l’enveloppe commune, germe avant l’autre. Les deux feuilles séminales sont renfermées dans l’enveloppe coriace, qui est particulière à chaque fève ; la tige qui vient de naître porte cette enveloppe avec les feuilles, & pousse le grain lui-même hors de terre. Mais comme l’enveloppe commune, particulière à chaque féve, est contenue dans l’enveloppe commune aux deux fèves, il résulte nécessairement de trois choses l’une ; ou que la tige tendre du plant n’a pas assez de force pour soulever le poids de la seconde féve & de la pulpe, indépendamment de la terre qui les recouvre, alors le plant périt ; ou bien si un vent trop fort agite cette masse sans défense, il casse la tige encore tendre ; enfin, si la seconde graine, dont la germination a été tardive, est poussée sur terre, elle s’y dessèche & périt par l’action du vent & du soleil.

La saison la plus avantageuse pour faire les semis, est celle des mois de Mars, Avril, Mai & Juin, parce que les plants qui en proviennent n’ont à supporter que la chaleur du soleil d’hiver de ces cantons ; & sont par conséquent déjà assez forts, lorsque les ardeurs de l’été se font sentir ; tandis que les plants qui naissent en Décembre & en Janvier sont exposés aux chaleurs les plus fortes dès le moment de leur naissance, ce qui en fait périr beaucoup.

Il est très-essentiel de ne laisser aucune mauvaise herbe ; leur arrachis se fait au pic, & non à la pioche, parce que le peu de distance entre les rayons ne permet pas ce genre de travail.

Les semis de café doivent être arrosés, non-seulement pour les garantir des sécheresses, mais pour accélérer leur végétation. Les arrosemens du soir sont préférables à ceux du matin & de la journée. Si on est près d’une rivière, on peut faire courir l’eau près des plates-bandes, qui doivent être dans ce cas très-étroites, pour qu’elles puissent être humectées entièrement par l’eau courante. Pour arroser par irrigation, on dispose les sentiers de manière qu’ils soient plus élevés qu’elles, & on fait couler l’eau dans celles-ci ; ou bien on se contente d’élever seulement les bords d’un carré, & on l’inonde tout à la fois, ayant attention, dans l’un & l’autre cas, que les plants ne soient point submergés. La troisième manière d’arroser consiste à disposer les plates-bandes de façon qu’elles soient un peu plus élevées que les sentiers qui les séparent. On conduit le filet d’eau dans le premier sentier, à l’extrémité duquel on met un peu de terre pour arrêter l’eau ; des enfans entrent dans ce sentier, & avec de calebasses ils la répandent sur les plates-bandes, à droite & à gauche, jusqu’à ce qu’elles soient bien humectées. Les deux premiers moyens sont les plus prompts & les plus faciles, mais pas aussi avantageux que le troisième. Si le terrain de la caféterie est trop humide, le plant jaunit, sa végétation est lente, & il est peu propre à la transplantation.

Il arrive presque toujours que les colons manquent de plant pour achever leurs transplantations. Ce défaut retarde leurs travaux & recule leur récolte. On sent tous les inconvéniens qui résultent d’en aller chercher fort loin, & du changement de terrain ; il vaut donc mieux avoir des milliers de plants de trop dans ses pépinières, que d’en manquer.

Il est nécessaire de faire des semis tous les ans, afin de remplacer les sujets qui ont péri par les coups de soleil, les sécheresses, les gros vers, les poux assez connus dans nos îles, & les araignées, qui détruisent assez souvent les arbres les plus vigoureux dans les caféteries, mais sur-tout dans les premières années de leur transplantation.

Les semis donnent quelquefois des variétés, & il peut en résulter des découvertes. Les deux petits cafés, confondus à Bourbon sous les noms d’adon, d’oden ou d’ouden, dont la qualité est supérieure, ne sont que des variétés que l’on doit vraisemblablement à la culture. Si on desire multiplier les variétés que l’on obtient par ce moyen, il faut employer la greffe.

Il a paru depuis quelques années un petit scarabée noir qui ronge les feuilles des cafés. Cet insecte est plus à craindre dans les pépinières que dans les caféteries formées. Il y a lieu de croire qu’il a été apporté du cap de Bonne-Espérance. Les hollandois mettent le soir sur les arbres, des cornets de papier ou de feuilles, dans lesquels ces insectes vont se nicher en foule pendant la nuit. On retire les cornets de grand matin, & l’on détruit tous les scarabées qu’ils contiennent. On peut joindre à cette méthode celle de secouer les arbres ; ces insectes tombent par terre, & on les tue.

Un autre insecte blanc, qu’on nomme pou à l’île de France, s’attache aux branches, aux feuilles & même aux racines des cafés ; il les fait languir ; & on ne voit guère de ces poux que dans les semis qui sont placés dans des terrains secs & arides. Lorsqu’on les arrose souvent, il ne paroît plus de poux.

On a essayé de former des caféteries en plantant des graines dans les champs. Ce moyen ne peut avoir du succès que dans les quartiers pluvieux ; cependant comme les cafés qui n’ont pas été transplantés conservent leur pivot, ils résistent mieux aux ouragans.

Soit qu’on plante le café de graines pour rester en place, soit qu’on le transplante, on ne doit cultiver dans le même champ que du maïs & des petits pois, en éloignant ceux-ci des plants, & en ramant les autres, pour qu’ils ne cherchent point à s’attacher aux cafés ; encore ne doit-on le faire que pendant les deux premières années, après lesquelles on ne doit rien cultiver du tout parmi les cafés. Les pois du Cap sont sujets aux poux, & les communiquent aux arbres. L’ambravade lui-même, arbrisseau légumineux, dont on fait tant de cas à Bourbon, est également sujet aux poux ; & c’est peut-être à l’usage où l’on est dans cette île d’abriter les jeunes cafés avec cet arbrisseau, que les colons doivent la ruine de leurs caféteries par ces insectes.

La saison la plus avantageuse pour transplanter les plants de café, est celle des mois de Juin, Juillet & Août ; c’est alors qu’ils ont en général le moins de séve ; & c’est aussi le tems le plus froid de l’année dans ces climats. Si on avoit dans ses pépinières une quantité surabondante de plants, on pourroit tenter la transplantation dans la saison des pluies, c’est-à-dire, dans les mois de Janvier, Février & Mars.

Il y a deux façons générales de transplanter le café ; l’une qui est la plus sûre & la plus profitable, mais la plus longue & la plus laborieuse, est de le transplanter avec sa motte de terre. C’est la plus sûre, en ce que tous les plants réussissent en général ; & c’est la plus profitable pour deux raisons : 1o. il faut une quantité bien moindre de plants, puisqu’ils sont moins sujets à périr : 2o. ils ne souffrent point de la transplantation, & par conséquent leur végétation n’en est point, ou presque point ralentie. Pour cette méthode, on se sert d’un déplantoir, qui enlève facilement le plant avec sa motte, & on coupe l’extrémité du pivot quand il dépasse. On mêle du terreau ou de la meilleure terre des environs dans le trou, & on le remplit. Si la terre des semis est trop sèche, il faut l’arroser quelque tems auparavant le moment de la transplantation.

La seconde méthode consiste à enlever les plants à nu, c’est-à-dire, sans prendre la peine de conserver leurs mottes de terre ; mais avant de traiter de cette transplantation, il convient de parler du terrain propre à une caféterie.

Les terres fortes, marécageuses, marneuses, argileuses doivent être rejetées ; les cafés aiment les terres légères, les rocailles, les pierres & la grande chaleur. S’ils paroissent plus vigoureux, & prospèrent mieux dans les quartiers pluvieux, ils n’ont pas l’avantage de la quantité, & sur-tout de la qualité. Les terres rouges à l’île de France, mêlées de pierres, & de grosses pierres, sont en général les plus propres à la plantation des caféteries. Dans les quartiers secs, ils ne réussissent pas dans les terres rouges, franches & profondes ; elles se dessèchent trop promptement. Dans les quartiers pluvieux ils réussissent dans les mêmes terres. Les terres noires qui couvrent la glaise, à trois ou quatre pouces de profondeur, ne conviennent pas aux cafés.

Quelques particuliers forment leur caféterie par petits champs au milieu des forêts ; & l’on a remarqué que les cafés, placés le long des bois abrités du soleil levant & des vents généraux, venoient plus promptement, & étoient plus beaux que les autres. La beauté est illusoire ; ils rapportent moins que les autres, & leurs fruits sont d’une qualité bien plus inférieure. Les cafés veulent le soleil & l’air, sans cela point de récoltes abondantes, point de fruits parfumés. Il vaudroit donc mieux donner aux champs des cafés, dans les quartiers secs, la figure d’un parallélogramme étroit, alongé, enfermé dans la forêt de façon qu’il présentât les grands côtés à l’est, & qu’il s’étendît du nord au sud. Il faudroit pratiquer de cent cinquante en cent cinquante toises des allées droites, larges, qui partageroient le parallélogramme en plusieurs autres, & qui traverseroient les deux lisières des bois opposés, & la plantation elle-même. Pour éviter, en partie, les effets des vents du nord & du sud, qui enfileroient toute la plantation, il seroit à propos de planter des arbres, soit alignés, soit en charmilles dans toutes ces allées, qui deviendroient elles-mêmes un objet d’agrément & d’utilité, tels que le manguier, le bois noir, le margozier, le lilas de Chine, le badonier, & sur-tout pour les quartiers pluvieux, le cannellier de Cochinchine, qui donneront de l’abri, dès la cinquième, sixième & septième année. Les allées procurent un libre courant d’air, favorable à la végétation ; les mouvemens de cet air sont modérés dans les tems orageux ; enfin, elles facilitent le transport des fruits dans les tems de la récolte.

Dans les quartiers pluvieux, on feroit mieux de donner plus de largeur au parallélogramme & éloigner les allées davantage entr’elles. Il n’est pas rare d’y voir des cafés pousser avec la plus grande vigueur, & périr subitement comme étouffés par l’abondance de sève ; les saignées faites au sol y deviennent plus ou moins indispensables.

L’opinion générale dans les îles de France & de Bourbon, est que l’on doit placer les plants de café à sept pieds & demi de distance en tout sens ; mais cette distance doit cependant être subordonnée à la nature du sol, & à la force qu’il donne à la végétation.

La transplantation exige à peu près les mêmes précautions dans tous les quartiers ; & elles sont plus nécessaires dans les quartiers secs que dans les autres.

On commencera, s’il est possible, par préparer d’avance les trous destinés à recouvrir les plants. L’influence de l’air rendra meilleure la terre des fonds de ces trous. Dans les quartiers secs, il faut profiter des jours pluvieux pour ouvrir les trous ; & ils doivent y être moins larges que dans les quartiers humides, puisque dans ces derniers les arbres y deviennent plus vigoureux. Dans les terres nouvellement défrichées, les trous doivent y être plus considérables, parce qu’elles se trouvent remplies de grosses & de petites racines d’arbres, qu’il importe d’enlever. Elles servent de pâture aux vers blancs, qui attaquent ensuite celles du café, & sur-tout le pivot, & font périr l’arbre.

On a remarqué que les vers blancs attaquoient de préférence les takamakas & les palmistes. Il faut donc avoir attention de brûler les tiges de ces deux arbres, & même leur tronc. Lorsqu’on fera le défrichement, on arrangera le bûcher sur les troncs des ces arbres & on y mettra le feu.

Le choix des plants est très-important pour la transplantation ; quelques-uns pensent que ceux de cinq à six pouces étoient préférables ; & l’expérience a prouvé que les plants forts réussissent mieux. Les plants de deux à trois ans réussissent mieux à la transplantation ; mais elle seroit longue & dispendieuse.

Il y a trois précautions essentielles à prendre dans la transplantation ; la première est d’enlever les plants avec le plus de racines qu’on le pourra. La seconde est de couper le pivot en bec de flûte sur le lieu de la transplantation, & la tête du plant. Cette dernière opération n’est pas adoptée de tous les colons, & ils ont tort. La troisième, après avoir coupé les deux extrémités du plant, on le présentera dans le trou, on y ramènera peu à peu la terre, non celle que l’on en aura tirée, mais celle qui se trouve aux environs sur la superficie du terrain, parce que c’est la meilleure ; & on foulera doucement avec la main dans le trou & contre les racines, à mesure qu’on mettra de la terre, ayant soin de bien étendre les racines, de prendre garde qu’elles ne soient pas ramassées en paquets, ou pressées contre le pivot. On fera bien de mêler avec cette terre du terreau ou de la cendre.

Lorsqu’immédiatement après la transplantation, il survient un soleil ardent qui dure plusieurs jours, on doit, au moins une fois, faire arroser les plantes.

Les soins qu’exigent les cafés une fois plantés, jusqu’au tems de la récolte, consistent principalement à entretenir le terrain bien net, sur-tout au pied des cafés. Ils deviennent jaunes & languissans dès qu’ils sont gagnés par les herbes. On est assez généralement dans l’usage de brûler toutes les mauvaises herbes, après qu’on les a arrachées, parce qu’on s’est apperçu qu’elles poussoient presque toutes sur le terrain où on les avoit dispersées quand il survenoit de la pluie. Il est plus avantageux d’en tirer parti en les étendant aux pieds des cafés pour engraisser la terre ; par ce moyen, il n’en croîtra point de nouvelles pendant long-tems sous celles qui sont entassées ; mais il faut qu’elles forment un lit assez épais : d’ailleurs on aura moins à faire dans le second binage, qui, pour lors, n’est plus aussi pressé, ni aussi essentiel qu’étoit le premier. Pourvu que les jeunes cafés ne soient pas étouffés, on doit peu s’inquiéter de tout ce qui croîtra dans les intervalles laissés entr’eux ; & on étendra, au pied des cafés, toutes les productions qu’on cultivera dans la caféterie.

Toutes les fois qu’on nettoiera le terrain, on arrachera les herbes avec la main, plutôt qu’avec la pioche qui couperoit les racines capillaires qui partent du collet de la plante, à moins que les plantes ne soient tenaces & trop enracinées.

La glaise, les dépôts de rivières, sont les meilleurs engrais pour les quartiers secs. Dans ces mêmes quartiers, on doit détruire toutes les branches gourmandes, elles affament les bonnes branches. Dans les terrains humides ces gourmands sont moins à redouter.

Lorsqu’on trouvera sur les arbres du bois mort, ou des branches vertes à demi-rompues, on les taillera dans le vif, & on appliquera sur la plaie de la terre humectée.

Dès qu’un arbre de café jaunit par les feuilles, c’est une preuve qu’il est malade. Il faut, dans ce cas, fouiller la terre au pied de l’arbre, & chercher si les racines, & sur-tout si la partie pivotante, qu’on lui a laissée, ne sont pas attaquées par quelque ver. Quelquefois les racines sont dévorées par les poux blancs ; la terre réduite en boue, les tue, en frottant la partie affectée. Dans ce cas, comme dans le premier, il convient de changer la plus grande partie de la terre qui entoure l’arbre, & de lui en substituer de nouvelle, mêlée de cendre & de terreau ; enfin, arroser aussi-tôt après, si le terrain est sec.

Si ce moyen ne ranime pas l’arbre languissant, il convient de le receper. Il poussera plusieurs rejetons ; & quand ils seront bien assurés, on les coupera tous, en ne conservant que le plus fort ; cependant il ne faut pas tous les abattre le même jour, mais successivement & à plusieurs jours de distance. Si le recepage ne réussit pas, c’est le cas d’arracher l’arbre, de faire un nouveau trou plus grand & plus profond que le premier, d’en changer la terre ; enfin, de laisser ce trou exposé au soleil & aux pluies pendant plusieurs mois.

Lorsqu’on voit des poux sur les branches, sur les feuilles & sur les fruits du café, on doit présumer que les feuilles en sont également attaquées ; on piochera aux pieds, on y jettera beaucoup de cendre & de terreau, & on frottera les racines & les branches avec de la boue, ainsi qu’il a été dit plus haut.

Les cafés sont quelquefois affectés d’une maladie singulière. Les feuilles, les branches, & souvent même les fruits, sont en grande partie couverts d’une matière noire qui s’y fige & se dessèche. L’évaporation de la sève en est interceptée. Les arbres âgés sont plus sujets que les jeunes à cette maladie, qui n’est pas fort nuisible.

On est dans l’usage à Bourbon & même à l’île de France, de ne pas relever les arbres renversés par les ouragans. On se contente de chausser à la hâte les racines découvertes. Ces arbres poussent des branches gourmandes qui s’élèvent perpendiculairement. On laisse prospérer une ou deux de ces branches, & on coupe le reste. La plupart de ces arbres périssent, quoiqu’on ait beau chausser leurs racines. S’il survient un second ouragan, la caféterie est perdue. La meilleure méthode est de se hâter de relever les arbres renversés, & de chausser avec soin ceux qui sont sur pied aussitôt après l’ouragan.

L’usage a prévalu d’étêter les arbres après trois ans de transplantation, afin que leurs branches s’étendent davantage, & que la récolte soit plus facile ; mais il ne suffit pas d’étêter l’arbre une seule fois. Quand on a coupé le sommet de la tige qui s’élève perpendiculairement, il sort deux jets droits immédiatement au-dessus des deux dernières branches latérales qu’on a conservées : ces deux jets forment deux nouvelles tiges ; & celles-ci, à la longue, s’élèvent très-haut, au point qu’on ne peut atteindre avec la main le fruit qui croît sur les branches du sommet. Il faudra encore recouper ces deux jets ; & comme ils seront remplacés par d’autres, on coupera annuellement les jets perpendiculaires qui partiront du tronc ; par ce moyen, on viendra à bout de tenir l’arbre à la même hauteur, ainsi qu’on le pratique pour les haies qu’on est obligé de tailler sans cesse, quand on veut les tenir au même niveau. La meilleure saison de pratiquer la taille, est celle des mois de Mai & de Juin ; c’est alors que les cafés, en général, ont moins de séve.

Il est hors de doute que l’arbre auquel on laisseroit prendre son accroissement, donneroit des fruits de meilleure qualité que l’arbre étêté ; mais les derniers sont moins exposés aux ouragans, & leur récolte plus facile. Les arbres livrés à eux-mêmes sont plus précoces.

Lorsque les cafés sont sur le retour, qu’ils portent du bois mort & donnent peu de fruits, il faut alors les receper tous, le plus près de terre que l’on pourra, dans les mois de Juin, de Juillet & d’Août, en même tems labourer les pieds, & y mettre de l’engrais. Ces arbres sont en bon rapport environ pendant quarante ans.

La récolte dédommage le cultivateur de ses peines ; & les soins qu’elle exige se réduisent à cueillir le grain dans sa parfaite maturité ; elle se connoît à la couleur de la cerise. Quand elle est d’un rouge bien foncé, & qu’elle commence à brunir, il est alors tems de la cueillir. Cependant ce n’est pas la marche que l’on suit ; on cueille mal à propos le grain mûr, & celui qui ne l’est pas.

La manière de dessécher les cerises n’est point indifférente. On se contente, dans nos colonies, de les dessécher à l’air & au soleil ; dans quelques-unes on bat la terre avec des demoiselles, & l’on étend toutes les cerises du café sur cette aire ; d’autres y répandent un peu de cendre, ou bien les jettent sur le gazon. La terre communique assez souvent au grain une odeur désagréable. Les colons aisés font paver leur aire, en lui donnant un peu de pente pour l’écoulement des eaux ; cette méthode est préférable aux autres.

On étend le café sur l’aire tous les matins, & le soir il est mis en tas, recouvert avec des nattes faites de feuilles de voakas, afin de le garantir pendant la nuit de la pluie, qui retarde la dessiccation. Cet usage a un grand inconvénient ; le café en tas fermente, sa dessiccation est plus lente, & nuit à la qualité de la féve ; il vaudroit mieux, sur-tout dans les quartiers secs, laisser les grains épars sur l’aire, les couvrir de nattes pendant la nuit, & dans le jour s’il survient de la pluie. On a l’attention de passer souvent le râteau sur les tas de café, afin que tour à tour les grains soient exposés au soleil. De toutes les méthodes, celle qui paroît mériter la préférence, est de sécher la cerise dans une étuve. Le desséchement est plus sûr, plus prompt & plus complet. L’étuve ne doit point être aussi vaste qu’on pourroit le penser, parce que le café d’une plantation ne se récolte pas tout à la fois.

Lorsque le grain est desséché, il faut l’émonder. On a plusieurs moyens pour y parvenir. Les uns le pilent à force de bras dans un mortier de bois ; la main d’œuvre est longue & pénible, & le café est sujet à être écrasé ; d’autres se servent de moulins à vent, ou de moulins à eau ; ces derniers sont préférables à cause de la continuité & de l’égalité du mouvement. Lorsque la pulpe est enlevée, on lave les fèves, & on les met sécher au soleil ; on les dépouille de leur enveloppe coriace en les pilant ; enfin, on les vanne.

Après cette opération, il faut encore dessécher le café avant de le mettre dans des sacs ; ici l’étuve est excellente. Si on le dessèche à l’air libre, l’opération est plus longue & plus casuelle. Certains colons ne prennent pas tant de précautions ; alors il contracte une odeur qui diminue sa qualité. Au sortir de l’étuve, il doit être exposé à l’air, & ensuite mis dans des sacs.


CHAPITRE IV.

De ses propriétés.

Les semences sont inodores, d’une saveur légérement amère & âcre ; étant torréfiées, elles acquièrent une odeur empyreumatique légère, une saveur amère & médiocrement âcre. Le café favorise la digestion, échauffe, augmente le cours des urines, éloigne le sommeil, calme l’ivresse par les spiritueux, excite quelquefois le flux menstruel suspendu par l’impression des corps froids, tend à diminuer l’excès de l’embonpoint, est préjudiciable aux tempéramens sanguins, bilieux, aux enfans & aux femmes, lorsqu’elles sont disposées aux maladies convulsives, aux maladies inflammatoires, aux maladies de l’esprit, & aux maladies évacuatoires. Le café convient dans les maladies de foiblesse, aux tempéramens pituitueux, aux personnes sédentaires, phlegmatiques, dont l’estomac conserve les alimens trop long-tems avec sentiment de pesanteur dans la région épigastrique ; il soulage sensiblement dans les migraines, & dans les maux de tête provenans d’une mauvaise digestion. Le café à la crème est sur-tout très-nuisible aux femmes, il occasionne des pertes blanches. On vante beaucoup les lavemens de café contre l’apoplexie.

Différens auteurs se sont vivement déclarés contre l’usage du café ; d’autres en ont pris aussi vivement la défense. Il est résulté, de toutes ces grandes discussions, que chacun avoit raison ; & on auroit pu les éviter, si on étoit convenu auparavant de la manière de le faire, de la quantité de café nuisible ou utile ; enfin, de la nature des tempéramens auxquels il convenoit. Le goût général est actuellement décidé pour cette boisson ; il est à craindre qu’il se fixe également sur celle du thé, bien plus dangereuse par ses suites.

Le café trop brûlé échauffe beaucoup, & devient alcalin ; la liqueur est âcre, & n’a plus de parfum ; lorsqu’il est au point convenable, son huile essentielle est conservée, & sa décoction est parfumée & moins échauffante.

Les gourmets de café ont à leur tour élevé la question, savoir si on doit le brûler dans un moulin ou dans une poële de terre vernissée. Il est constant que le moulin attaque l’huile essentielle, la seule partie aromatique du café, au point que le dedans de ce moulin paroît recouvert d’une substance qui ressemble par son poli, par son luisant, à une couche de vernis noir de Chine. Dans la poële, au contraire, l’air de l’atmosphère se trouvant froid empêche l’évaporation de cette huile essentielle. Un moulin neuf donne pendant quelques jours un goût désagréable au café, il ne l’est plus dans la suite. Chacun a sa méthode pour la préparation de cette boisson. Voici la mienne, celle à laquelle je me suis décidé, après avoir varié les expériences dans tous les sens possibles.

Je suis parti de ce principe universellement reconnu : plus le café est tenu au sec, plus il est conservé long-tems, meilleur il devient. La raison en est simple. La dessiccation a fait évaporer l’eau de végétation contenue dans la féve. Plus un café est nouvellement arrivé en Europe, plus il est vert, plus cette eau de végétation est abondante dans le grain. Il faut donc, en le brûlant, imiter le procédé de la nature. Je préfère de le rôtir au moulin, parce qu’il l’est plus également, & l’opération est moins fatigante que dans la poële. Le moulin est intérieurement bien incrusté du vernis dont nous avons parlé plus haut, & sert depuis long-tems. On jette dans le fourneau quatre ou cinq charbons au plus ; on place le moulin, & le domestique tourne sans cesse. Il faut entretenir le feu sans l’augmenter, & cette opération doit durer au moins une bonne heure. La première odeur qui s’évapore par les joints de la petite porte, quoique fermée, est singulière ; je ne saurois bien la définir ; elle paroît approcher un peu de celle de la violette. Seroit-elle particulière à l’écorce seulement qui éprouve la première l’action de la chaleur ? Il est constant que ce ne peut pas être celle de l’huile essentielle, de l’huile aromatique du grain, il faut un autre degré de chaleur plus fort pour la développer. Bientôt après succède une odeur désagréable, puis fastidieuse, puis nauséeuse, & enfin à cette dernière odeur succède celle du café brûlé. Dès qu’on commence à la sentir, on retire le moulin du fourneau, & après en avoir ouvert la porte, on examine si la couleur du café approche de celle du tabac foncé, ou de la robe usée des capucins. Depuis le commencement de l’opération jusqu’à ce moment, il faut avoir sans cesse tourné la manivelle & maintenu un feu égal & doux. Si le grain n’est pas assez rôti, on remet le moulin sur le fourneau, & de tems à autre on examine par la porte s’il est au point desiré.

Lorsqu’il y est parvenu, il faut se hâter de porter le moulin sur une table de marbre, ou sur de la pierre, d’en ouvrir la porte, de le vider, enfin de faire en sorte qu’un grain ne touche pas l’autre. Cette pratique est fondée sur ce que l’attouchement du corps froid, tel que le marbre, la pierre, &c., dérobe au café une partie de sa chaleur ; d’un autre côté, l’air froid de l’atmosphère agit sur le café, & le froid de l’air & de la pierre, au milieu desquels le grain se trouve, empêche l’évaporation de l’huile essentielle, & la concentre dans le grain. Dès qu’il est parfaitement refroidi, il faut le tenir dans un vase qui ferme exactement avec son couvercle.

Plusieurs personnes ont la mauvaise habitude de l’étouffer dans une serviette, dans du papier, &c. il n’est pas possible de recourir à des expédiens plus défectueux. On devroit bien faire attention que cette serviette, ce papier, après en avoir enlevé le café, restent chargés & imprégnés d’une substance huileuse, & cette substance est vraiment l’huile essentielle dont le café s’est dépouillé. On ne la trouvera donc plus dans la boisson. Si on suit le procédé que j’indique, on verra chaque grain, pour ainsi dire, passé au vernis, & c’est l’huile essentielle qui s’est collée par-dessus. Les amateurs de café doivent chaque jour brûler celui qu’ils consomment.

La manière d’en préparer la boisson exige quelques précautions. Faire le café à la grecque, est la meilleure de toutes les méthodes, c’est-à-dire, mettre dans une chausse un peu claire la quantité de café réduite en poudre qu’on juge nécessaire, & vider par-dessus la quantité nécessaire d’eau bouillante, laisser le tout reposer, & servir très-chaud. Si on n’a point de chausse, lorsque l’eau sera bouillante dans la cafetière, y jeter la poudre, la remuer avec une cuiller, laisser reposer près du feu, & tirer à clair.

En suivant exactement ce que je viens de dire, on verra sur la surface de la liqueur l’huile surnager, & le café sera aromatisé. Lorsque l’on fait bouillir le café, l’huile essentielle s’évapore : que sera-ce donc quand on fera rôtir le grain à grand feu ? Le café trop brûlé a un goût amer, fort, & il échauffe prodigieusement.

Dans les grandes maisons, on a coutume de le clarifier avec la colle de poisson ; la liqueur, il est vrai, est plus agréable à la vue, mais cette colle s’est unie avec l’huile essentielle, se l’est appropriée, & en a dépouillé le café. Cependant c’est sa seule partie aromatique & agréable.

Le café en féve est susceptible de prendre toutes les odeurs des corps qui l’environnent, & l’humidité lui est très-pernicieuse. La meilleure manière de le conserver est de le tenir suspendu dans un sac, & attaché à quelques poutres d’un grenier, ou de tel autre endroit où il règne un grand courant d’air.

J’ai fait nombre d’expériences pour parvenir à enlever à certains cafés le goût qu’on nomme vulgairement mariné. Une seule a passablement réussi. Elle consiste à le jeter dans l’eau bouillante, l’y laisser quelques minutes, la vider, & exposer ce grain au grand soleil, ou dans une étuve, ce qui vaut encore mieux ; enfin de le conserver ainsi que je viens de le dire. Le même procédé est utile pour les cafés verts.