Cours d’agriculture (Rozier)/GRAINE

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Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 332-335).
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GRAINE, Botanique. La graine est cette partie du fruit qui renferme le germe développé en partie, & qui n’attend que la circonstance de la germination pour produire une plante semblable à celle qui lui a donné la naissance. Cette définition convient à la graine considérée comme semence ou fruit ; mais il faut convenir qu’elle est impropre, & que le nom semence est plus exact. Si la semence porte en général le nom de graine, cela vient de la forme assez commune des semences qui approchent beaucoup de la globulaire ; la plupart ressemble à de petits grains plus ou moins arrondis.(Voyez le mot Fécondation, pour la première formation de la semence ou graine celui de Germination, pour son développement en terre, & celui de Semence pour son analyse). M. M.

1. De la conservation des graines. Elle dépend du lieu ou les graines sont renfermées, & de la manière de les renfermer. Si le grainier[1]. est naturellement humide, & sans que l’air soit dans le cas de s’y renouveler, ou s’il est trop chaud & trop sec, presque toutes les espèces de graines s’y détérioreront plus ou moins promptement, suivant son degré de défectuosité. Trop sec, la graine se dessèche, son eau de végétation, s’évapore, & sa partie huileuse, que je regarde comme leur conservatrice, le dissipe ou rancit. Trop humide, l’action & la réaction perpétuelle des principes constituans les uns sur les autres, entraîne promptement la masse vers la putridité, parce qu’elle suit les variations de l’atmosphère qui accélère ou diminue perpétuellement la fermentation intestine, & la fermentation n’a jamais lieu dans les corps secs. (Voyez ce qui en a été dit à ce sujet au mot Froment).

La manière de les renfermer est indiquée par la nature. Les graines qui se détachent d’elles-mêmes de la plante, demandent à être cueillies, à leur parfaite maturité, par un beau jour & au gros soleil. Quelques-unes cependant sont si fugaces, & se détachent si aisément, qu’il faut, malgré qu’on en ait, couper la plante un peu avant la maturité, autrement la silique, la capsule, le cône, &c. s’ouvrant par un mouvement très-élastique, chassent au soin la semence qu’il renferme.

Quant aux graines qui restent naturellement adhérentes aux tiges, & qui s’en détachent avec peine, il est clair qu’il vaut beaucoup mieux couper les tiges à leur maturité, Les exposer à un courant d’air & à l’ombre, afin de les priver de l’eau surabondante de végétation qui leur reste, & les renfermer ensuite dans le grainier dans l’état de siccité. Il vaut beaucoup mieux suspendre à un clou chaque paquet d’herbe, & laisser une distance raisonnable entre chacun.

Quant aux graines qu’on est forcé de recueillir séparément, on fera très-bien de renfermer chaque espèce dans un sac étiqueté ; mais non pas suivant la coutume ordinaire des jardiniers, qui mettent les nouvelles graines sur les anciennes. Il vaut mieux avoir deux & même trois petits sacs de la même espèce, & l’année de chaque graine sera désignée sur l’étiquette, sauf à la changer au besoin. Combien d’accidens peuvent faire manquer des semis entiers ; combien d’accidens peuvent détruire les plantes que l’on conserve pour graines ! & on se voit alors, si on n’a pas eu la précaution que j’indique, forcé de recourir aux marchands de graines, qui achètent de toutes mains, & vendent, sans le vouloir, une espèce pour une autre, ou des graines si vieilles, si mauvaises, que malgré les soins assidus elle ne lèvent jamais. Un jardinier doit, relativement à ses graines, ressembler à un avare, & croire qu’il n’en aura jamais assez.

On espérera en vain avoir de bonnes graines à semer, si on ne leur laisse pas acquérir la plus parfaite maturité, excepté dans un très petit nombre de cas, ainsi qu’il a été dit. La nature, en nous fournissant des fruits, a plus songé à perpétuer l’espèce, qu’à satisfaire ou nos besoins ou notre sensualité. Cette partie charnue & succulente & délicieuse de la pêche, de la poire, &c. est nécessaire à la perfection de l’amande renfermée dans le noyau, ou qui forme le pépin. La chair fondante du melon, la substance vineuse du raisin ont le même but. Le brou de la noix, de l’amande, l’enveloppe de la noisette ne se dessèchent & ne se séparent que lorsque la partie ligneuse qui recouvre l’amande a acquis une solidité convenable, & ce bois devient à son tour le gardien & le conservateur de l’amande. Il en est ainsi de tous les fruits. Il résulte de ces faits, que lorsqu’un melon, une pêche, un abricot, &c sont au point d’être mangés, la graine, le noyau, &c. n’ont pas encore acquis le point convenable de maturité. Il faut laisser pourrir sur plante, les melons, les courges, & laisser les noyaux & graines renfermés dans des baies jusqu’à ce que la substance pulpeuse le détruise d’elle-même. Alors le but de la nature est rempli, & jusqu’à ce moment la graine reçoit la nourriture de son enveloppe.

On a coutume de renfermer le& graines dans des calebasses ou courges-bouteilles ouvertes par le haut, & suspendues par une ficelle à un clou. Je conviens que ce vaisseau a son mérite, puisqu’une fois sec, il faut des cas extraordinaires pour qu’il absorbe L’humidité de l’atmosphère ; mais les graines ne sont pas environnées par un courant d’air comme dans les petits sacs, & si elles n’ont pas été renfermées, bien sèches, l’humidité se concentre, la moisissure gagne, & la graine pourrit. L’usage des sacs est à préférer à tous les autres.

Les souris, les rats sont des ennemis redoutables pour les graines ; c’est encore une des raisons pour laquelle j’insiste sur l’usage des sacs accrochés à des clous contre des murs, ou suspendus à des perches. Dans les provinces du midi voisines de la mer, on ne doit jamais placer les sacs contre les murs du côté d’où souffle le vent marin. Quoique bâtis à chaux & à sable, l’humidité est si grande tant qu’il règne, qu’elle pénétreroit & les sacs & les graines.

II. De la durée des graines. On n’a point encore suivi assez exactement ce point important d’agriculture & de jardinage, à cause de la facilité qu’on a de s’en procurer de nouvelles. La solution du problème tient plus à la curiosité qu’au besoin ; mais s’il avoit été résolu, on n’auroit pas vu les papiers publics de France & d’Allemagne sur-tout, discuter si souvent & si longuement, si une espèce de plante peut être convertie dans un autre espèce, par exemple, du seigle en avoine, & de l’avoine en orge, &c. (Consultez le mot Espèce & le mot Froment). Ce qu’il y a de certain, c’est que la graine de telle ou de telle plante ne végète plus à la seconde ou à la troisième ou à la quatrième année, tandis que la graine de telle autre est bonne après la dixième année.

À quoi tient cette diversité ? Il n’est pas aisé d’en connoître la cause. Chaque plante a, suivant moi, sa loi particulière de végétation, & la durée de sa graine en bon état dépend de cette loi première. Cette supposition ne résout pas la question, mais elle annonce du moins que la durée des graines ne doit pas être la même. Je crois que la cause intrinsèque de cette durée dépend de la plus ou moins grande quantité d’huile contenue dans la graine. Par exemple, j’ai semé, après 6 à sept ans, des pépins d’un raisin qui s’étoit desséché & oublié dans un sac de papier, & ils ont parfaitement bien germé, seulement à la seconde année ; or, on sait que l’on peut par expression retirer du pépin de raisin une assez grande quantité d’huile. En Suède, on avoit en 1747 jeté des graines de tabac en terre, & on vit pulluler des plantes de tabac en 1756. Comme cette plante est très-étrangère à ce climat, & qu’on ne la cultive point, il n’est pas probable qu’elle y ait été transportée par le vent ou par d’autres causes accidentelles ; d’ailleurs, M. Nordberg qui rapporte ce fait, est trop bon observateur pour n’avoir pas pris tous les renseignemens nécessaires avant de le publier. Il seroit facile de citer nombre d’exemples semblables.

L’assertion que j’ose avancer sur les effets de l’huile, n’est pas démontrée. On objectera que la graine de chenevis ou de chanvre, (voyez ce mot) certainement très-huileuse, ne végète plus après la seconde ou la troisième année. Je conviens du fait ; mais je sais aussi que toutes les fois que l’enveloppe & la cuticule qui recouvre l’amande est attaquée, brisée ou seulement meurtrie, se corrompt par la rancidité que l’huile acquiert. Les noix, noisettes & amandes, proprement dites, en fournissent la preuve. Du peu de soins, (proportion gardée avec ceux donnés aux graines de jardinage) qu’on a des graines de chenevis ou telles autres qu’on vend communément à la mesure, on doit conclure qu’il n’est pas étonnant que les coques & pellicules soient attaquées.

Je crois encore que pour établir une théorie sur la durée des graines, il conviendroit auparavant d’examiner la nature ou l’espèce d’huile qu’elles contiennent ; les semences à l’huile grasse se conservent beaucoup mieux que celles à l’huile essentielle, & la durée de celles qui contiennent l’une & l’autre, comme celle des choux, raves, navets, &c. dépend beaucoup du grainier, & de la constitution de l’atmosphère pendant la végétation de la plante. Par exemple, je puis répondre que les plantes laissées pour graine en 1783, & qui ont éprouvé ces fameux brouillards secs, n’ont donné sous mes yeux que de mauvaises graines & en très-petite quantité, sur-tout pour les graines huileuses dont on parle. Si le même effet a eu lieu, & si on l’a observé dans plusieurs endroits différens, & à de grandes distances, que vont devenir ces raisonnemens sur l’électricité, regardée comme le principe de la végétation, de la fructification ? &c. je conviens qu’elle y contribue pour beaucoup, mais non pas de la manière que l’ont imaginé des observateurs de cabinet, qui cultivent sur leur fenêtre un ou deux pots, & qui, d’après de petites expériences, bâtissent de grands systèmes qui sont démentis à chaque instant par la pratique.

Plusieurs auteurs n’ont pas craint d’avancer, que plus une graine est vieille, meilleure elle est pour semer, parce que, disent-ils, les principes de la graine se sont affinés & se sont perfectionnés. Je ne crois pas que ce soit ainsi que la nature agisse. La graine une fois mûre tombe de l’arbre, de la plante, & végète l’année suivante si elle trouve une terre convenable ; mais si cette graine a été conservée à l’abri de toute espèce d’air, de toute espèce de fermentation, comme le froment de la citadelle, dont on a parlé au mot Froment, il est clair que cent ans après elle végétera, & si elle est farineuse, donnera du bon pain comme lui. Ici, c’est une exception à la loi générale qui ne prouve rien, puisqu’il s’agit des circonstances journalières. Je crois, au contraire, que l’on devroit (en général) pour imiter la nature, confier à la terre les graines du moment qu’elles sont parfaitement mûres. Cette proposition me paroît démontrée. En effet, si on cueille la graine de la majeure partie de nos arbres, & si on attend jusqu’au printemps suivant à la semer, sans l’avoir stratifiée avec la terre ou le sable pendant l’hiver, il est très-rare de voir cette graine germer à la première année, & elle ne sort souvent qu’à la seconde & même à la troisième, & quelquefois même dix ans après, si cette graine, noyau ou pépin a été trop profondément enterrée. La conséquence à tirer de tout ceci, est que l’on doit s’écarter, le moins qu’il est possible, de la marche de la nature, & que la réussite de nos semis tient à l’accord de nos opérations avec ses loix.


Graine d’Avignon. (Voyez Neprun).


Graine d’Écarlate. (Voyez Kermès).


  1. Je crois qu’il faut écrire grainier, pour distinguer le lieu où l’on garde les graines de jardinage & de fleurs, d’avec le grenier où l’on conserve les grains, tels que le froment, seigle, &c.