Cours d’agriculture (Rozier)/PLÂTRE, GYPSE, SÉLÉNITE, ou SULFATE DE CHAUX

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PLÂTRE, GYPSE, SÉLÉNITE, ou SULFATE DE CHAUX. On donne ces différens noms à une substance fossile, qui est une combinaison de terre calcaire avec l’acide sulfurique. Elle a la propriété de se dissoudre dans une grande quantité d’eau ; c’est par cette raison que les eaux qui filtrent à travers les terrains gypseux sont malsaines, et peu propres aux usages économiques.

On trouve le plâtre sous différentes formes, et nuancé de différentes couleurs. Il est ordinairement disposé par couches, et présente l’aspect d’une substance pierreuse, parsemée de petits cristaux brillans, et dont les parties peuvent être facilement divisées avec un instrument de fer. Sa couleur la plus commune est d’un blanc tirant sur le gris ; les nuances rouges, bleues, jaunes, et dont il est souvent coloré, sont dues à l’oxide de fer.

Si on l’expose à l’action du feu, il perd son eau de cristallisation ; il décrépite lorsqu’on le chauffe brusquement, et devient d’un blanc mat, et d’une friabilité considérable. C’est dans cet état qu’il est propre aux constructions et aux ouvrages d’ornement.

Les expériences qui ont été faites dans ces derniers temps, et les résultats avantageux qu’on a obtenus, démontrent que cette substance doit être regardée comme un des agens les plus actifs de la végétation. Ses propriétés étoient peu connues à l’époque où Rozier a entrepris son Cours d’Agriculture. On verra, en consultant l’article Gypse, qu’il a donné peu de notions sur cette matière. Il est donc important d’entrer dans quelques détails sur les avantages qu’on peut en retirer, et sur la manière d’en faire usage.

Nous considérons ici le plâtre sous deux rapports, comme une substance propre à la construction des édifices, et comme un moyen de fertiliser les terres et d’augmenter les produits de la culture. Nous donnerons la description d’un moulin à broyer le plâtre, tel que nous l’avons vu employé dans la Catalogne et dans le royaume de Valence.

On a senti depuis longtemps tous les inconvéniens de la méthode de pulvériser le plâtre employé à Paris et aux environs de cette capitale. Lorsque le plâtre est cuit, on en répand sur le sol une petite quantité, que des ouvriers frappent avec de gros bâtons, jusqu’à ce qu’ils l’aient réduit en poudre. Il en résulte une grande perte de temps, une augmentation de main-d’œuvre, et, par conséquent, une cherté plus grande dans la matière. On conçoit, en effet, quelle lenteur apporte dans l’exécution un moyen aussi imparfait, et qui doit son origine à ceux de nos ancêtres qui, les premiers, imaginèrent d’employer le plâtre dans la construction de leurs chaumières. On fait aussi usage à Paris d’une autre méthode non moins barbare que la précédente, et qui devroit être proscrite en bonne police. Les ouvriers répandent dans les rues le plâtre, afin de le faire broyer par les roues des voitures, ou par les pieds des chevaux. Les Parisiens, qui sont accoutumés à marcher habituellement dans l’ordure et la crotte, ne font pas attention à ce genre de malpropreté : mais il ne seroit pas toléré dans les villes de l’Angleterre et de Hollande ou l’on a quelque respect pour le publique.

Tous ces inconvéniens sont peu considérables, si on les compare avec ceux qui résultent de cette méthode pour la santé des ouvriers. La poussière qui s’élève par l’effet du battage, entre continuellement dans les poumons, et leur occasionne des maladies qui altèrent leur constitution, et abrègent le cours de leur vie. D’ailleurs, l’attitude courbée dans laquelle ils doivent être, pour exécuter ce travail, est pénible et contraire à la santé.

Les étrangers, qui ont conçu une haute idée du perfectionnement des arts dans la capitale de la France, ne peuvent revenir de leur étonnement, lorsqu’ils examinent la manière grossière et imparfaite avec laquelle nous pulvérisons le plâtre. Ils ne conçoivent pas comment on n’a pas substitué à cette méthode, qui présente tant d’inconvéniens, des moyens mieux combinés et moins dispendieux ; mais malheureusement les arts utiles sont négligés et méprisés parmi nous, tandis que les arts de luxe, et ceux qui flattent la vanité et les passions, sont encouragés par le gouvernement et par les particuliers

Le moulin à plâtre, dont nous donnons la description, est extrêmement simple ; et l’impression de la gravure qui le représente suffit pour faire comprendre son mécanisme. (Voy. Pl. IX, fig. 1.) Il est en usage en Espagne, où on le fait ordinairement mouvoir par le moyen d’une bête de trait. Il ressemble beaucoup aux moulins à huile ou à cidre ; ceux-ci pourroient lui être substitués en cas de besoin.

Pour le construire, on élève sur le sol un massif en maçonnerie D (fig 1) recouvert d’une seule pierre, ou de plusieurs pierres de taille ajustées les unes contre les autres. La hauteur du massif doit être de trois à trois décimètres et demi, et son diamètre de quinze décimètres. On pratique autour du massif, et à la distance de cinq décimètres, une muraille F, élevée de trois décimètres, et épaisse de deux décimètres. La lettre E représente l’espace circulaire compris entre le massif et la muraille : il sert à recevoir le plâtre à mesure qu’il est pulvérisé. Sa largeur est de cinq décimètres. On pratique au centre du massif un trou dans lequel on fixe une culasse en fer, sur laquelle roule la partie inférieure du montant A, qui va aboutir, par son autre extrémité, à une solive du plancher supérieur. Ce montant tourne sur lui-même, à mesure que la meule B roule circulairement sur le massif. La meule, qui est pareille à celles qu’on emploie dans les moulins à blé, a cinq décimètres et demi de diamètre, et quarante-quatre centimètres d’épaisseur. Elle est posée verticalement, et elle est mise en mouvement par le levier C, qui traverse son centre, et qui est fixé, par l’une de ses extrémités, dans le montant A. Le cheval qui fait mouvoir la meule est attelé à l’autre extrémité du levier, et il tourne circulairement autour de la muraille, qui embrasse le massif. La fig. 2 représente le plan du moulin ; D, massif ; F, muraille ; E, espace destiné à recevoir le plâtre.

Les dimensions que nous venons d’indiquer peuvent varier selon la quantité plus ou moins considérable de plâtre que l’on se propose de broyer. On peut donner un peu moins d’élévation à la muraille circulaire, qui n’est construite que pour empêcher que le plâtre ne se répande, et qu’il ne soit foulé aux pieds des ouvriers.

Lorsqu’on veut pulvériser le plâtre, on l’étend sur le massif, à l’épaisseur de quelques pouces ; l’on fait marcher le cheval, qui donne le mouvement à la meule ; et, à mesure que celle-ci tourne, un ouvrier remue le plâtre avec une pelle, et le fait passer sous la meule. Lorsqu’il juge que le plâtre a été suffisamment broyé, il le fait tomber entre le massif et la muraille ; on remet ensuite du nouveau plâtre, et l’on continue ainsi successivement. Pendant ce travail, un second ouvrier est occupé à enlever le plâtre et à le tamiser. On a, à cet effet, un crible qu’on suspend par le moyen de deux cordes attachées au plancher. L’ouvrier le remplit de plâtre, et l’agite jusqu’à ce que les parties les plus fines aient passé. Ce crible est placé dans une petite chambre, ou local entouré de cloisons, afin que le plâtre, réduit en poussière, ne se répande pas de toute part. L’ouvrier reste en dehors de cette enceinte, et il travaille au dessus d’une cloison qui, dans cette partie, n’est élevée qu’à hauteur d’appui : le plâtre qui n’a pas passé à travers le tamis se rapporte sous la meule, afin d’être broyé de nouveau.

Les fours pour la combustion du plâtre se construisent sur les mêmes principes que les fours à chaux. On peut aussi faire brûler le plâtre, sans être obligé de construire un four à ce dessein. C’est le parti que l’on doit prendre dans toutes les circonstances ou la consommation de cette substance est momentanée, ou peu considérable.

On forme, à cet effet, sur le sol, et en plein air, un monceau composé de couches alternatives de pierres, de plâtre et de bois. On a soin de construire, avec les plus grosses pierres, une petite voûte qui divise en croix la base du monceau, et qui sert à l’introduction de l’air, et a sa libre circulation dans toutes les parties de la masse. On place les plus grosses pierres au centre, et les petites à la circonférence, ou à la partie supérieure. Le bois qu’on met vers le sommet doit être coupé menu, et être disposé en couches moins épaisses que dans les autres parties. On forme des monceaux ronds ou carrés, auxquels on donne une dimension proportionnée à la quantité de pierre, qu’on se propose de brûler : ils doivent avoir un plus grand diamètre à la base qu’au sommet. Lorsqu’on a mis le feu, et que le plâtre est bien brûlé, on le laisse refroidir, et on le retire ensuite, pour le mettre à couvert dans un lieu qui ne soit pas humide ; ou bien on couvre le monceau avec de la paille, afin qu’il soit abrité contre la pluie. Lorsqu’on transporte le plâtre, on doit choisir un jour serein, car il perdroit de ses qualités, s’il venoit à être mouillé.

La cuisson du plâtre doit être dirigée avec soin. Si on la pousse trop loin, il se brûle ; ses parties ne sont plus susceptibles de s’unir avec l’eau, et l’amalgame qui en résulte acquiert peu d’adhérence et de solidité. Les mêmes inconvéniens résultent d’une cuisson insuffisante.

Il est bon de broyer le plâtre aussitôt qu’il est cuit, et de l’employer, sans retard, aux usages auxquels on le destine : il n’a pas alors le temps de s’imprégner de l’humidité de l’air, et de perdre ses qualités.

La quantité d’eau que l’on doit mettre dans le plâtre n’est pas arbitraire. On peut fixer, pour règle générale, deux parties de plâtre sur une d’eau ; mais ces doses varient selon les qualités du plâtre, ou selon les ouvrages auxquels on le destine. Le plâtre qui doit être moulé exige une plus grande quantité d’eau ; car il est nécessaire qu’il ait, dans ce cas, une certaine liquidité, afin de pénétrer dans les creux, et les parties les plus déliées du moule. Lorsqu’on le gâche, il faut assez d’eau pour que toutes ses parties soient bien imbibées ; s’il étoit trop délayé, la dessiccation seroit moins prompte, ses parties auroient moins d’adhésion, et il seroit plus facilement attaqué par l’humidité, ou les gaz répandus dans l’atmosphère. On ne doit, en un mot, l’humecter qu’autant qu’il est nécessaire, pour qu’il soit facilement gâché, et pour qu’il n’ait pas le temps de se durcir avant d’être employé et façonné.

Nous allons considérer le plâtre comme une substance minérale, propre à l’engrais des terres.

On a écrit que Mayer, ministre de Kupferzell, étoit le premier qui eût employé le plâtre comme un moyen favorable à la végétation. C’est une erreur qui a été répétée par plusieurs écrivains agronomes. L’usage du plâtre, en agriculture, étoit connu dans plusieurs endroits, avant l’époque où Mayer a écrit sur ce sujet ; mais on lui est redevable d’un grand nombre d’expériences, qui ont confirmé ce fait, et qui ont excité l’attention des cultivateurs. C’est rendre un grand service à l’agriculture, d’accréditer, par son exemple, les bonnes méthodes, et de les propager par ses écrits.

L’usage du plâtre s’est répandu, dans un grand nombre d’endroits, depuis 1760, époque à laquelle Mayer a publié ses expériences. On l’emploie aujourd’hui sur divers points de l’Allemagne, de la Suisse, de l’Italie, de l’Angleterre, de l’Amérique septentrionale, et de la France. L’Alsace, la Brie, les environs de Grenoble, de Lyon, d’Apt, ceux de Paris, etc., sont les parties de la France où l’on en fait le plus d’usage. Il n’est cependant qu’un très-petit nombre de cultivateurs aux environs de Paris, qui cherchent à améliorer leurs récoltes par le moyen du plâtre. Cette négligence est d’autant plus incroyable, qu’il n’existe pas un lieu où l’on trouve sur une aussi petite surface, une quantité de plâtre aussi considérable que dans le département de la Seine. Les Anglais et les Américains tirent le plâtre de Paris pour l’engrais de leurs terres, tandis que les cultivateurs dont les propriétés touchent les murs de cette capitale n’en font presque aucun usage.

Les chimistes trouvent, par l’analyse, des qualités distinctes dans différentes espèces de plâtres. Les agriculteurs, au contraire, ont remarqué très-peu de différence entre les propriétés d’une espèce, comparativement avec celles d’une autre, entre les pierres à plâtre qui se trouvent dans tel ou tel pays. Ainsi, on a observé en Amérique, que le plâtre de Paris produit des effets analogues à ceux du plâtre d’Amérique. Nous conseillerons cependant de choisir de préférence celui qui est blanc ou gris. Lorsqu’il est fortement coloré en rouge ou en noir, c’est une preuve qu’il est combiné avec une certaine quantité d’oxide de fer ; et, dans cet état, il peut être moins favorable à la végétation. La couleur rousge du plâtre peut cependant tenir a d’autres causes : dans ce cas, il faudroit préférer le plâtre coloré au plâtre blanc ; car la réverbération que les rayons du soleil éprouvent en tombant sur les corps blancs, occasionne un degré de chaleur qui nuit, dans beaucoup de circonstances, à l’économie végétale.

Les Américains emploient un moyen très-simple pour éprouver le plâtre ; ils en réduisent en poudre une petite quantité qu’ils mettent dans un vaisseau ouvert ; ils lui font subir ainsi l’action du feu. Si le plâtre répand une forte odeur de soufre, c’est une preuve qu’il est de bonne qualité ; si, au contraire, l’odeur qui en émane est foible et peu sensible, on présume qu’il n’a pas une grande activité.

De toutes les substances minérales employées comme engrais, le plâtre est une de celles qui s’adaptent le mieux à toute espèce de climat et de terrain ; elle produit cependant des effets plus marqués dans les uns que dans les autres, ainsi que nous l’exposerons plus bas.

Elle a en outre le précieux avantage d’agir plus puissamment que ces mêmes substances ; et même, dans plusieurs circonstances, elle donne à la végétation plus d’activité que ne font les fumiers d’animaux ; du moins, c’est une observation qui a été faite par quelques agriculteurs.

Les bons effets du plâtre ne sont pas encore constatés d’une manière assez exacte, pour qu’on puisse donner des règles positives sur son emploi ; c’est un des points de l’agriculture sur lesquels les opinions varient le plus. Plusieurs cultivateurs ont obtenu, par le secours de cette substance, des récoltes très-abondantes de trèfle, de foin, de légumes, etc. ; tandis que d’autres disent n’en avoir éprouvé aucun effet sensible. Le défaut de succès dépend de quelques circonstances qui ne nous sont pas encore bien connues ; il est donc nécessaire de réitérer souvent le gypsage sur un champ, et de le varier de différentes manières, avant d’établir une théorie fondée sur des principes certains et d’une application générale.

Il est vraisemblable que les parties constituantes du plâtre entrent comme élémens dans la nutrition des végétaux ; mais les effets qu’il produit sont dus, en grande partie, à la propriété qu’il possède, avec les autres substances salines, d’attirer l’humidité de l’air, et de se combiner avec les gaz.

Quelques cultivateurs ont prétendu que le plâtre cuit agissoit avec plus d’activité que lorsqu’il étoit employé dans l’état de crudité. Cependant il est prouvé, par un assez grand nombre d’expériences, que son action est à peu près la même dans l’un et l’autre cas. Nous croyons qu’il est plus avantageux de le faire cuire, lorsqu’on se trouve dans un endroit où le prix du bois n’est pas trop élevé. Il est plus facile alors de le réduire en poudre ; et, lorsqu’il est répandu sur la surface des plantes ou sur celle du sol, il attire plus facilement l’humidité et les gaz répandus dans l’atmosphère. On ne doit cependant pas lui donner le même degré de cuisson qu’à celui qu’on destine à la construction des bâtimens ; car, lorsqu’il est répandu dans cet état, il saisit promptement l’humidité de la terre et celle des plantes ; et si cette humidité se trouve considérable, il se durcit, et forme une substance qui, ne jouissant plus des mêmes qualités, est hors d’état d’agir aussi efficacement.

Le degré de finesse qu’on donne au plâtre en le pulvérisant doit dépendre de l’emploi auquel on le destine, ou des effets qu’on veut en obtenir. Lorsqu’on se propose de le répandre sur les plantes, il faut lui donner le même degré de finesse qu’au plâtre destiné pour la maçonnerie. On conçoit qu’il ne peut se fixer sur les feuilles et sur les tiges des plantes, que lorsqu’il a été réduit en une poussière déliée. Si on veut, au contraire, le répandre sur la surface du terrain, on se contentera de diviser ses parties à la grosseur d’un grain de blé, d’un pois, ou d’un haricot. Les effets seront plus lents, mais aussi plus durables, si on le concasse grossièrement ; car alors sa dissolution ne pourra s’effectuer que dans un espace de temps plus considérable.

Si l’on enfouit le plâtre à la charrue après l’avoir répandu sur la surface du sol, son effet est nul, ou du moins presque insensible. Ce fait, s’il étoit bien constaté, prouveroit que son action n’est pas analogue à celle de la majeure partie des engrais qui opèrent, soit en produisant une fermentation dans la terre, soit en divisant, ou en réunissant les molécules du sol, soit en fournissant aux plantes des principes nutritifs, etc. Il semble que le plâtre agit en attirant à lui les élémens de la végétation répandus dans l’atmosphère. Il importe donc qu’il soit retenu sur la surface de la terre, et que son état de ténuité soit le plus grand possible. Mais, pour remplir ces deux conditions, il faut avoir égard à la nature du sol ; ainsi, lorsqu’il s’agit de gypser une terre tenace et argileuse, on emploira du plâtre très-fin ; car on ne craindra point qu’il soit entraîné dans la terre par sa propre pesanteur, ou par l’effet des pluies. Si le sol est, au contraire, sablonneux ou très-meuble, ou nouvellement labouré, on répandra du plâtre moins pulvérisé, afin qu’il ne puisse pénétrer la superficie du sol, et qu’il demeure exposé aux influences de l’air.

Un inconvénient qui paroît devoir résulter, dans le cas où l’on auroit disséminé sur une terre des fragmens à plâtre d’une grosseur trop considérable, c’est que cette substance étant bien cuite, se prendra et se durcira par l’effet de l’humidité, de manière à changer de nature ; elle ne jouira plus, dans ce nouvel état, des qualités qui lui étoient propres, et son influence sur la végétation sera nulle ou de peu d’effet.

Il est bon qu’elle soit très-atténuée, soit qu’on veuille la mélanger avec les urines des bestiaux, soit qu’on la fasse entrer dans la composition des fumiers. Ces sortes de mélanges sont d’autant plus parfaits, que leurs parties présentent, dans leur union, un plus grand nombre de points de contact. L’action du plâtre semble être, dans plusieurs circonstances, la même que celle des cendres ; l’une et l’autre de ces deux substances ont la propriété de détruire la mousse, et plusieurs autres plantes parasites. C’est pour cette raison qu’il est très-avantageux de les répandre sur les prairies qui commencent à dépérir.

Le plâtre convient à toutes les espèces de terrains, ainsi que je l’ai déjà fait observer ; mais il est sur-tout avantageux d’en faire usage sur les sols sablonneux, pierreux, légers et secs, ainsi que sur les terres épuisées ou de mauvaise qualité. Les personnes qui exploitent ces sortes de terres sont ordinairement dépourvues d’engrais : elles doivent donc employer le plâtre, lorsqu’il se trouve dans leur voisinage. C’est un bon moyen de former des prairies dans des lieux où il est si difficile d’avoir des fourrages.

L’emploi du plâtre est souvent plus avantageux sur les terrains sablonneux et pierreux avec excès, que n’est celui des engrais. Il empêche que les sols glaiseux ne se dessèchent trop, et n’acquièrent un trop grand degré de dureté. C’est pourquoi il réussit dans les terres fortes et substantielles. Quelques cultivateurs en ont même obtenu de bons effets dans les lieux bas et humides ; mais il est nécessaire que l’humidité ne soit point excessive ; car alors, étant retenue trop fortement, elle pourriroit les racines, et elle nuiroit à la végétation des plantes. Il convient peu aux terres uniquement calcaires, et encore moins à celles qui sont composées d’une partie considérable de matières gypseuses ; il a aussi la propriété de communiquer de la chaleur aux terrains froids.

L’emploi du plâtre n’exclut pas celui des engrais animaux ; il paroît même qu’il y a un avantage à faire précéder le fumier au gypsage, indépendamment de l’effet qui est produit isolément par les fumiers. En se combinant à ces substances, il augmente leur activité, et les rend plus propres à la nutrition des plantes. S’il étoit employé sans engrais, bientôt le sol se trouveroit appauvri, ainsi qu’il arrive aux terres arrosées, lorsqu’on cesse d’y répandre du fumier. C’est pour cette raison que plusieurs agriculteurs le font entrer dans la composition des fumiers, ou qu’ils le mélangent avec les urines des bestiaux. On a remarqué que ces deux méthodes étoient également avantageuses, soit qu’on l’employât dans l’état de crudité, ou qu’on lui eût fait subir une cuisson préliminaire.

On a aussi observé que son emploi ne devoit pas être réitéré trop fréquemment sur la même terre. Lorsqu’on aura gypsé un champ pendant deux années consécutives, ou quatre au plus, il sera plus avantageux de mettre un intervalle de quelques années avant de répandre de nouveau ce même engrais. On n’a pas encore un assez grand nombre d’expériences pour déterminer avec exactitude la durée de ses effets.

Les bons effets du plâtre se sont fait sentir principalement sur les prairies naturelles et artificielles. Les récoltes que l’on obtient par l’emploi de cette substance minérale sur les champs de trèfle paroissent tenir du prodige. Elle agit aussi avec beaucoup d’activité sur les prairies composées de graminées, sur les luzernes et les sainfoins, sur les plantes tendres, juteuses, et sur celles qui poussent vigoureusement après une première coupe. Le plâtre convient aussi aux plantes légumineuses, comme pois, lentilles, etc. ; mais il doit être répandu avec modération sur ces dernières ; car une trop grande quantité les fait pousser et fleurir trop promptement. Il paroît qu’il n’est pas aussi constamment favorable aux plantes céréales. Cependant plusieurs cultivateurs s’accordent à dire que le plâtre leur a réussi sur les champs ensemencés en blé, tels que le froment, le seigle, l’orge, l’avoine, le blé noir, ainsi que sur le maïs, le lin, le chanvre, le colza, les pois, les raves, les choux, les pommes de terre, les arbres fruitiers, etc.

Il paroît que le plâtre agit sur les plantes, en raison de ce que leurs racines s’éloignent moins de la superficie du sol. Cet effet s’explique facilement : en supposant, ainsi qu’il paroît très-vraisemblable, que le plâtre s’empare des élémens propres à la végétation, disséminés dans l’atmosphère, et qu’il les transmet au sol sur lequel on l’a répandu, les racines s’en saisissent alors avec d’autant plus de facilité et de promptitude, qu’elles sont situées à une moindre distance du plâtre. C’est par la même raison qu’on obtient des effets bien plus sensibles, lorsqu’on le répand sur les feuilles ou sur les tiges des plantes, que lorsqu’on le dissémine sur la superficie du sol.

Les anciens, qui ne connoissoient pas l’usage du plâtre, avoient cependant fait des observations, d’après lesquelles ils avoient été conduits à saupoudrer avec de la poussière les arbres et les fruits, afin d’aider à la végétation, et d’en accélérer les progrès. Les personnes qui désireront de plus amples renseignemens sur cet objet, pourront consulter à ce sujet Théophraste, Hist. Plant., liv. 2, ch. 8. Pline, liv. 17, chap. 9 et 22. Géoponic, liv. 3, ch. 10 et 11. Columelle, liv. 4, ch. 28, et lit. 11, ch. 2. Idem, de Arbor, ch. 12. Eben-el-Awan, auteur arabe, dont nom avons parlé à l’article Engrais, fait aussi mention de cette pratique, dans plusieurs passages de son Traité d’agriculture.

Les observations des anciens nous portent à croire que la terre ordinaire, réduite en poussière, seroit susceptible de produire à peu près les mêmes effets que le plâtre. Quoi qu’il en soit, il paroît que cette substance agit plus fortement sur des plantes très-rapprochées les unes des autres, que sur celles qui sont plantées à une certaine distance ; sur la superficie du sol, que dans l’intérieur ; par un temps humide, que lorsque l’atmosphère est sèche et brûlante, et qu’il est enfin plus avantageux de la répandre en petite quantité sur les terrains argileux.

On ne doit pas employer le plâtre, lorsque la terre ou les plantes sont imbues d’une trop grande quantité d’eau ; car il s’empare alors d’une humidité surabondante, et il n’a plus la faculté d’absorber aussi facilement les gaz de l’atmosphère. C’est pour cette raison qu’on évite d’arroser les prairies sur lesquelles on a récemment disséminé du plâtre, et qu’on ne le répand sur les prairies humides, qu’après avoir récolté la première coupe.

Le temps le plus favorable au gypsage, c’est lorsque l’atmosphère et la terre ne sont ni trop humides, ni trop sèches ; lorsque les plantes ont commencé à pousser, ou qu’elles sont élevées de quelques pouces au dessus du sol. On peut faire cette opération dans toutes les saisons, lorsque les autres circonstances sont d’ailleurs favorables. Il faut cependant en excepter l’hiver, lorsque toute végétation est interrompue. Si l’on sème du trèfle, ou les plantes propres aux prairies artificielles, parmi l’avoine ou les autres céréales, on pourra gypser le champ aussitôt après la récolte. Cet engrais favorisera la végétation, donnera de l’extension aux racines, et procurera des coupes plus abondantes pour les années suivantes. Quelques cultivateurs trouvent de l’avantage à gypser les prairies artificielles après la première coupe, dans le cas même où elles auroient reçu cet engrais avant l’hiver, ou même au commencement du printemps : on doit alors répandre chaque fois une moindre quantité de plâtre.

Si le climat et le sol sur lequel on veut faire usage de cet engrais sont secs, chauds et arides, on exécutera l’opération de bonne heure au printemps, avant que la terre ou l’air aient perdu l’humidité abondante dont ils sont imprégnés au commencement de cette saison.

On doit choisir, autant qu’il est possible, l’instant où le ciel est couvert de nuages, celui qui succède à une pluie douce et légère ; on retardera, au contraire, l’opération, si l’on présume qu’une pluie violente doive avoir lieu. Les averses ou les pluies continues délaient le plâtre qui s’est fixé sur les tiges et sur les feuilles des plantes ; elles l’entraînent à la superficie, ou même dans l’intérieur du sol, et l’on perd alors une partie des effets qu’on auroit obtenus. Si le soleil vient à frapper les plantes couvertes de gypse, il les dessèche et les brûle par la chaleur immédiate de ses rayons, ou par celle qui résulte de leur réverbération.

On choisira, pour répandre le plâtre, un temps calme et tranquille. Si le vent étoit trop fort, il disperseroit inégalement, sur la surface du champ, cette substance réduite en poudre légère : elle tomberoit aux pieds des plantes, sans s’attacher aux feuilles ni aux tiges, et elle ne produiroit pas l’effet dont elle est susceptible, lorsqu’elle est répartie également sur toute la superficie des plantes.

Il est difficile de déterminer, d’une manière précise, la quantité de plâtre qui doit être répandue sur une superficie de terrain donnée. On a vu, par ce qui a été dit dans le cours de cet article, que la quantité devoit varier d’après la nature du sol, le genre de culture, la saison dans laquelle on l’emploie, les effets plus ou moins durables qu’on veut obtenir, la crudité, la cuisson et la pulvérisation plus ou moins grande de cette substance, etc. On peut donner pour règle générale, qu’il suffit de répandre, par arpent, vingt sacs, tels qu’on a coutume de les vendre aux environs de Paris ; chaque sac étant du poids de cinquante livres, on mettra donc, par arpent, mille livres de plâtre cuit.

Nous ne devons pas oublier, dans un article où il a été traité du plâtre comme engrais, de mentionner une substance qui est très-abondante dans les lieux où le plâtre est employé aux constructions, et dont les effets sur la végétation sont extrêmement sensibles.

Nous voulons parler des plâtras ou débris des murailles qui ont été construites ou revêtues en plâtre.

Ces matières sont ordinairement jetées le long des routes ou sur des places vagues, et forment des encombrement d’ordures au lieu d’être employées à leur vraie destination, celle de féconder les champs. Un cultivateur soigneux, qui sait que les engrais sont le nerf de l’agriculture, ramassera les plâtras dont il pourra disposer ; il les fera concasser avec des massues, et les répandra sur ses champs. Leur effet est toujours assuré, quelle que soit la qualité de la terre sur laquelle on les emploie ; ils conviennent aux plantes céréales, aux légumes et aux prairies naturelles et artificielles. Si on les répand sur les prairies, il faut avoir soin de les réduire en molécules plus fines que lorsqu’on les destine aux terres labourées. Cet engrais est très-propre aux jardins, et à la culture des arbres et des vignes. Lorsqu’on veut s’en servir pour les arbres, on déchausse le pied du sujet, et l’on jette, autour du tronc et sur les racines, quelques pellées de plâtras, qu’on recouvre de terre. Lorsqu’on les répandra sur les champs, on en diminuera la quantité, en raison de ce qu’ils auront été pulvérisés en molécules plus ténues ; si la dose étoit trop forte, la végétation des plantes seroit troublée dans sa marche, au lieu d’être aidée par cet engrais. Si on l’emploie en gros fragmens, ses effets seront plus durables, et, dans ce cas, on en mettra une quantité à peu près égale à celle du fumier ordinaire.

On pourra aussi les faire entrer dans la composition des fumiers ; mais alors il faut les broyer très-fins et les faire passer à la claie.

Ces matières doivent être employées aussitôt qu’elles sont retirées des constructions, ou bien, dans le cas où les circonstances ne le permettroient point, il faudra les entasser dans un lieu couvert, afin de les mettre à l’abri. Si elles étoient baignées par les pluies avant d’être transportées dans les champs, l’eau leur enlèveroit les sels dont elles sont imprégnées, et elles perdroient une grande partie de leur activité.

La saison la plus favorable pour les répandre, est la fin de l’automne et le commencement de l’hiver. Les pluies de l’hiver dissolvent les parties salines qu’elles contiennent, les disséminent dans le sol, et les disposent à agir sur les plantes à l’époque de la végétation. D’ailleurs, les labours d’automne et de printemps les divisent et les mélangent d’une manière plus intime avec le sol. (Lasteyrie.)