Cours d’agriculture (Rozier)/ENGRAIS

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Hôtel Serpente (Tome quatrièmep. 216-232).


ENGRAIS. Substance quelconque qui rend à la terre ou augmente les principes nécessaires à la végétation. Les engrais peuvent se réduire à quatre classes. La première comprend les engrais météoriques[1] ; la seconde, les engrais dont l’action est simplement mécanique, c’est-à-dire qui s’exécute par la division ou le rapprochement des molécules de la terre ; la troisième, les engrais purement salins ; la quatrième enfin, les engrais qui sont en même temps salins, huileux, graisseux, & qui contiennent en eux-mêmes tout ce qui est nécessaire à rendre la sève un fluide savonneux, & à la formation de la terre végétale.

La terre ne vieillit point, ne s’épuise pas tant que nous la cultivons, non suivant nos loix, nos coutumes ou préjugés, mais conformément à ses loix & à ses principes. Dès qu’elle est livrée à elle-même, de productive qu’elle étoit, elle devient peu à peu stérile, parce que ses productions absorbent insensiblement l’humus ou terre végétale, & sa superficie devenue une croûte endurcie, ne jouit plus des avantages que lui procurent les météores. La terre n’entretient l’existence de sa fertilité, que par le secours de ses propres productions ; c’est de leurs débris qu’elle reçoit ses engrais, ses alimens. Les pluies, les rosées, les neiges qui la fertilisent, sont-elles autre chose que ses propres exhalaisons qui retombent ensuite sur sa surface, après avoir éprouvé dans l’immense réservoir de l’atmosphère, de nouvelles combinaisons, & s’être approprié ce sel appelé aérien par M. Bergman ; ces combinaisons d’air fixe, d’air inflammable ou électrique, (voyez ces mots) qui sont la base de la fécondité dont elles imprègnent la terre ? La conclusion à tirer de ces principes, est qu’elle reste toujours susceptible de produire la plus belle végétation, tant qu’elle conserve dans son sein, soit naturellement, soit par art, l’humus & les matériaux de la sève, & qu’elle retient seulement, en quantité requise, l’humidité convenable à chaque genre de plante.

Si chaque année, ou tous les deux ans, nous dépouillons la terre de la récolte qu’elle produit, & que nous ne lui rendions pas, d’une manière ou d’autre, les principes qui ont servi à la formation de cette récolte, il est constant que nous l’appauvrissons, & que nous diminuons ses ressources. Si nous cultivons mal, si nous cultivons à contre-temps ; enfin, si nous labourons trop souvent, alors la terre reçoit difficilement & en petite quantité les impressions salutaires des météores, ou bien, la chaleur excitant une trop grande fermentation, fait volatiliser en pure perte les principes constitutifs de la sève, & ils vont se répandre dans le vague de l’air ; mais si, au lieu de dépouiller la terre de ses productions, on les enfouit dans ce même sol, elles lui rendent en entier les principes qu’elles ont pompés par leurs racines, & en outre ceux qu’elles ont absorbés de l’atmosphère : de-là vient que toutes les plantes quelconques rendent plus à la terre qu’elle n’en absorbent ; c’est le premier engrais naturel & le plus analogue, qui contient en quintessence les principes de tous les autres, puisqu’il a déjà été élaboré & rendu analogue à la plante.

Afin de mieux saisir le vrai sens de ces idées très-rapprochées, consultez les mots Alterner, Amendement, & le dernier chapitre du mot Culture ; les détails qu’ils renferment sont absolument nécessaires à l’intelligence de ce que je vais dire dans cet article, & me dispensent de répéter ce qui a déjà été dit. Je ne parlerai donc pas des engrais de la première classe, puisque leur manière d’agir est détaillée au mot Amendement.


CHAPITRE PREMIER.

Des Engrais dont l’action est purement mécanique.


Tout est engrais dans la nature ; il suffit d’appliquer chaque substance dans les cas convenables. Le meilleur engrais pour les terres sablonneuses est l’argile, & pour les terres argileuses, le sable, les pierres, les cailloux ; j’entends par ce mot, toutes pierres roulées ou non roulées, & non pas simplement le silex, surtout, si elles font susceptibles de se décomposer avec quelque facilité ; alors elles deviennent elles-mêmes des engrais qui ne forment pas les principes de la fève ni l’humus, mais qui concourent à leur génération.

Le sable laisse écouler l’eau qui le pénètre trop facilement : entre chacun de ses grains il se forme un petit abri, une cavité dans laquelle la chaleur des rayons du soleil se concentre, & hâte l’évaporation de l’humidité. Dans l’argile, au contraire, les molécules infiniment petites, divisées à l’excès, se réunissent les unes contre les autres, & forment un corps dur & compacte ; l’eau & la chaleur les pénètrent à peine ; ainsi le sable devient un excellent engrais pour cette argile, en séparant ses molécules, en détruisant leur agrégation, en permettant à l’eau de s’insinuer par les petites gerçures qu’ils présentent, & cette terre, auparavant appelée froide, devient productive. Le mécanisme de l’argile mêlée au sable, est précisément le même, mais dans un sens contraire ; elle sert de lien d’adhésion aux molécules sablonneuses, les unit les unes aux autres, leur donne du nerf & de la consistance ; enfin, par un mélange, proportionné, cette terre sablonneuse, auparavant si perméable à l’eau, si dévorante par sa chaleur, devient une terre propre à la végétation, parce qu’elle retient l’eau dans une proportion convenable, & parce que l’argile contient en elle-même une assez grande quantité de terre végétale ou humus.

Après le mélange de ces deux qualités de terre si opposées, il est aisé de concevoir avec quelle facilité le grain germera, enfoncera sa radicule, étendra ses racines dans les petites gerçures, combien se multiplieront les liens qui tiendront la plante assujettie dans cette terre, & lui donneront la facilité de pousser des tiges vigoureuses, qui le deviendront encore plus par l’absorption de leur nourriture dans l’atmosphère. Je l’ai dit & je le répète encore, toute plante reçoit autant d’aliment de l’air que de la terre. Il y a une perpétuelle action & réaction de l’un sur l’autre. Pendant le jour, le soleil agit sur la terre, alors la sève est ascendante ; & pendant la nuit, la terre agit sur l’atmosphère & la sève est descendante. Dans le premier cas, la plante se nourrit aux dépens de l’humus, & dans le second, elle se nourrit au dépens de l’air & des principes qu’il contient : sans l’action mécanique du mélange de ces deux terres, l’une & l’autre seroient relié inutiles à la végétation.

Ce que je dis de l’argile s’applique a la craie & même à la marne, si on les trouve en couche ou bancs en les considérant seulement comme substances compactes à grain & à tissu très-serré, & en faisant abstraction des parties salines qu’elles contiennent.

Ce que j’ai dit du sable relativement à l’argile, s’applique également aux pierres, aux cailloux, aux graviers, aux retailles des pierres, & ceux-ci ont une double action, qu’il ne faut pas perdre de vue. Ces cailloux, ces retailles, &c. non-seulement divisent la terre argileuse, permettent aux racines de s’étendre, mais encore ils concentrent & retiennent plus de chaleur dans ces terres appelées froides. Un corps exposé aux rayons du soleil, plus il est solide & dur, plus il absorbe de chaleur ; il ne peut l’absorber sans la communiquer à ce qui l’environne : considéré sous ce point de vue, il devient un nouvel engrais pour les terres argileuses, crayeuses & tenaces. Tous ces effets, comme on le voit, sont purement mécaniques & indépendans des qualités intrinsèques de chacun de ces corps considérés séparément. Enfin, les sables agissent comme de petits leviers infiniment multipliés au milieu des substances auparavant tenaces, & ces substances, mêlées aux sables, sont comme autant d’entraves qui les lient & s’opposent à leur extrême désunion.

C’est d’après de tels principes qu’on doit le régler sur le mélange des terres. Plus on labourera une terre sablonneuse, & moins on devra s’attendre à des récoltes. On multipliera en vain les labours dans une terre crayeuse, argileuse, &c. il ne faudra qu’une pluie de vingt-quatre heures pour concentrer de nouveau ses molécules les unes contre les autres ; & la moindre chaleur, le moindre vent violent dessécheront fa superficie, y formeront une croûte qui empêchera l’évaporation de l’eau qu’elle contient, & qu’elle ne peut laisser filtrer par-dessous la croûte superficielle qui étranglé le collet de la plante en se durcissant, & les racines alors pourrissent par l’humidité surabondante qui les environne sous cette croûte. Consultez le mot Argile, page 658, Tome I, & le mot Craie ; ils sont essentiels à cet objet.


CHAPITRE II.

Des Engrais salins.


Les auteurs ont vanté successivement le sel de nitre répandu sur les terres, le sel marin ou de cuisine, les sels alcalis, la chaux, la craie, la marne : (voyez ces mots) ils ont annoncé des prodiges résultans de ces salaisons plus ou moins fortes. Sans leur faire tort, on peut, en général, rabattre les deux tiers du merveilleux de leurs écrits. Si les sels quelconques, considérés d’une manière isolée, étoient de si puissans engrais, il est certain que les champs les plus voisins de la mer seroient les plus productifs, puisque, dès que la chaleur survient & qu’elle se soutient pendant quelque temps, elle fait évaporer leur humidité, & la surface du terrein se couvre de petits cristaux de sel marin très-brillans, lorsque le soleil luit : ici l’engrais salin n’est donc pas épargné. Jugeons de son résultat par un exemple que j’ai pour ainsi dire sous les yeux.

Sur de tels champs, dans les provinces méridionales, lorsque le temps de labourer est venu, on laboure & on sème ensuite le blé ; mais l’expérience a appris que cette récolte manquoit souvent, lorsque les pluies n’étoient pas fréquentes depuis les mois d’avril jusqu’à celui de juin. Pour remédier à cette perte réelle & souvent complète, on a pris le parti de semer avec le blé & en même temps que lui, le salicor ou kali dont on retire la soude par incinération. (voyez ce mot) Si une récolte manque, l’autre réussit parfaitement. De ce fait il est facile de tirer des conséquences : le blé prospère lorsque les pluies sont fréquentes, & par conséquent lorsqu’elles ont dissous ce sel, & qu’elles ont entraîné la surabondance qui lui préjudicie, parce qu’il dessèche & corrode les racines, le collet de la tige, &c. enfin, parce que la végétation du blé exige que ce principe salin soit uni à des substances graisseuses pour composer les matériaux savonneux de la sève & qu’il n’y soit pas prédominant. Les pluies, en détruisant la surabondance, maintiennent les principes dans l’équilibre favorable à la végétation. Le salicor, au contraire, prospère pendant les sécheresses, parce que son principe de végétation exige beaucoup de sel ; aussi l’être suprême l’a placé au bord de la mer, & non dans l’intérieur des terres, de même qu’il a placé le saule au bord des eaux & non sur le sommet des montagnes desséchées. Par le même principe que le blé a bien végété, le salicor périt, & il prospère lorsque le blé est détruit. La culture de la soude peut avoir lieu dans l’intérieur du royaume ; dans ce cas, l’engrais salin & multiplié produira d’excellens effets.

Avant de généraliser, suivant la coutume des écrivains, il auroit fallu spécifier les cas dans lesquels les engrais purement salins sont avantageux. Que les sels soient acides, alcalis ou neutres, peu importe ; tous concourent à la végétation jusqu’à un certain point, & même assurent de très-bons effets, si on sait les appliquer à propos. Je préfère les sels alcalis & les sels neutres aux sels purement acides, parce que ces deux premiers & le premier sur-tout se combinent plus facilement avec les substances huileuses végétales ou animales, & en outre, ils ont la propriété spéciale d’absorber une plus grande quantité d’humidité de l’atmosphère qui les dissout, les fait tomber en déliquescence & s’approprier, d’une matière plus immédiate, les sels ou principes vivifians de l’atmosphère.

L’avantage des sels, comme sels, je le repère, résulte de leur union avec les matières grasses & de leur combinaison en état savonneux. Si le sel prédomine sur ces substances, il sera destructeur du végétal qui demande moins de principe salin que tel autre : la preuve en est dans l’expérience citée au mot ARROSEMENT.

Je ne répéterai point ce qui a été dit aux mots Craie, Chaux, Cendre, qui sont des engrais purement salins ; ce sont des articles essentiels à consulter, & qui aideront à se former une idée juste de leur manière d’agir & du degré de confiance qu’on doit avoir sur les écrits de certains auteurs.

Les engrais salins ferreux, tels que la craie, la marne, les cendres, la suie, les démolitions des vieux bâtimens, sur-tout en pisay & en plâtre, les boues des rues, des grands chemins, les vases des mares, des étangs, &c. ont une double action ; ils agissent physiquement comme sels alcalis, & mécaniquement comme substances divisées en molécules très fines plus ou moins solubles dans l’eau, & par conséquent plus ou moins miscibles avec les molécules de la terre. C’est sur cette double propriété qu’est fondée toute la théorie de ces engrais, & de laquelle on doit déduire les règles de la pratique.


CHAPITRE III.

Des Engrais Végétaux et Animaux.

Section Première.

Des Engrais végétaux.

Le végétal est pourri par la terre & par l’air : il rend à la première plus qu’il n’en a reçu, & par une conséquence naturelle, autant à la seconde par ses abondantes transpirations qui, dans le tournesol, par exemple, sont dix-sept fois plus abondantes que dans l’homme ; cette transpiration est toujours en raison de la surface & de la multiplicité des feuilles. Telles sont les ressources inépuisables de la nature, tant que l’homme ne contrarie pas ses loix, & ne détruit pas, par ses labours multipliés, jusqu’à l’apparence de ce qu’il appelle mauvaise herbe. S’il alterne (voyez ce mot) ses champs, voilà l’engrais végétal tout formé, & au moyen duquel on parvient petit à petit à convertir une terre de médiocre qualité en un fol excellent. Voyez le huitième chapitre du mot Culture.

Outre les principes huileux, salins, aériens que la terre reçoit de l’herbe qui pourrit dans son sein & non sur sa superficie, la terre matrice reçoit d’elle la terre végétale ou humus qui a servi à sa formation, & cet humus, combiné de nouveau par la fermentation, entre les molécules de la terre matrice, prépare les matériaux de la charpente des nouvelles plantes, & les principes constituant de sa fève. Ces faits sont de la plus grande évidence, puisque l’analyse chimique fait sensiblement paroître à notre simple vue, l’eau, l’air fixe, l’huile, les sels, & la terre calcaire ou humus qui est le dernier produit : par cette voie la nature opère la composition, la décomposition & la recomposition ; enfin, perpétue le grand œuvre de la végétation, tant que l’homme n’y apporte aucun obstacle.

Jetons un coup d’œil sur les terres que l’on retire des fossés placés au bas des champs, des mares, & voyons pourquoi elles deviennent si productives lorsqu’elles sont répandues sur nos champs & enfouies par la charrue. J’ai déjà dit plusieurs fois que l’humus étoit soluble dans l’eau ; que la marne l’étoit également, &c ; s’il survient une pluie un peu forte, l’eau détrempe la terre, dissout l’humus & l’entraîne dans le fossé ; mais cette eau n’a pas pu entraîner seulement l’humus, puisqu’il étoit combiné avec les graisses & les sels produits par la décomposition des végétaux sous forme savonneuse ; elle a donc entraîné tous les principes constitutifs de la végétation, & les y a accumulés, sur-tout si le fossé ou la mare ont été assez spacieux pour contenir toute cette eau sans la laisser écouler.

L’amateur qui plante un pêcher, le fleuriste qui prépare la terre destinée aux renoncules, aux anémones, ne recourt pas aux engrais animaux, à moins qu’ils ne soient déjà réduits en véritable terreau. Le premier préfère des gazonnées dont il remplit le fond du trou qui doit recevoir l’arbre, & le second recourt aux feuilles & aux débris des végétaux qu’il mélange avec la terre, & laisse le tout fermenter pendant une année, afin que la décomposition & le mélange des principes soient parfaits. Qui leur a démontré l’excellence de cet engrais ? l’expérience. Imitons donc leur exemple.

À la chute des feuilles, que toutes les femmes, que tous les enfans de la métairie soient occupés à aller les ramasser dans les bois ; que l’on fasse d’amples provisions de genets ou telles autres plantes inutiles, que la paille, les bales du blé, de l’orge, de l’avoine, & qui ne sont pas consommées par les bestiaux, ou pour leur litières, soient jetées dans des fosses profondes, & sur chaque couche d’un à deux pieds, bien égalisée, répandez deux ou trois pouces de bonne terre, encore mieux des gazonnées qu’il faut lever sur tous les lieux où elles sont inutiles ; enfin, couche par couche remplissez presqu’entièrement la fosse, les pluies d’hiver pénétreront jusqu’au fond ; la fermentation s’y établira, elle sera augmentée par la chaleur de l’été, & insensiblement le tout se convertira en terreau. La couche de terre supérieure doit-être de cinq à six pouces d’épaisseur, & d’une qualité assez compacte, afin d’empêcher l’évaporation des principes ; sans cette dernière précaution cet engrais perdra plus des deux tiers de sa valeur. Si la sécheresse est longue, si la chaleur est extrême pendant l’été ; enfin, si l’on prévoit que cette masse manque d’une certaine humidité, il convient d’ouvrir de distance en distance des trous, au moyen des pieux qu’on enfonce & qu’on retire ensuite, d’y verser une certaine quantité d’eau & de les reboucher aussitôt avec de la nouvelle terre ; trop d’eau seroit nuisible. On objectera peut-être que la chaleur de l’été est suffisante pour attirer de la terre qui sert de base à la fosse, l’eau qu’elle contient, & que cette eau suffit entretenir l’humidité dans la masse totale. Cette objection est vraie relativement à certains pays, & non pas par-tout : c’est la raison qui me détermine à la rapporter. Dans les provinces du nord où les pluies d’hiver & même d’été sont très-abondantes, & où l’évaporation n’est pas forte à cause du peu d’activité des rayons du soleil, l’arrosement est non-seulement inutile, mais nuisible, il faut, au contraire, quand la fosse est remplie de feuilles, d’herbes, &c. & que les couches successives ont été bien imbibées d’eau, empêcher qu’il n’y en vienne de nouvelle, parce que trop d’humidité s’oppose à la décomposition. Dans les provinces du midi, au contraire, où la chaleur est si forte, si active, si puissante, la masse sera bientôt privée de l’humidité nécessaire, & le blanc gagnera les couches.

Toute substance végétale amoncelée &a pénétrée d’humidité, fermente, & sa fermentation ne peut-être sans chaleur. Pour vous en convaincre, prenez des balles du blé ou de l’orge sur-tout ; remplissez en un pot quelconque, humectez un peu, & quelques jours après, plongez la main dans ce vase, vous jugerez alors du degré de chaleur. (Voyez le mot Couche) L’effet de la chaleur est de volatiliser les fluides, de les faire évaporer ; par conséquent, plus il y aura de chaleur intérieure, mise en action par celle de l’atmosphère, & plus l’évaporation sera active. C’est la raison qui me détermine à conseiller les couches successives de terre entre celles des végétaux ; elles forment des obstacles à cette évaporation, retiennent l’humidité, & concentrent la chaleur, de manière que chaque couche a son foyer particulier, & jouit en même temps, à peu de chose près, du travail de la masse totale.

Chacun peut partir de l’un ou de l’autre de ces deux extrêmes, & les modifier suivant la région qu’il habite. Ce que je viens de dire n’est point une expérience de cabinet, semblable au grand nombre de celles qu’on a proposées ; je parle d’après ma propre expérience, & je réponds du succès.

Si, au lieu de ces couches de terre franche, on en pratiquoit avec de la marne ou de la chaux, réduites en poudre, croit-on qu’on produiroit le même effet ? Non, sans doute ; on augmenteroit simplement le principe salin ; on romproit la combinaison des principes de l’engrais végétal, le sel se trouveroit en surabondance, & par conséquent il seroit nuisible.

Outre ces engrais végétaux simples, il en existe encore d’excellens, par exemple, les marcs du raisin. L’amande renfermée dans le pépin contient une huile grasse, qu’on peut retirer par expression, & lorsqu’on la brûle, la flamme en est vive & claire : la pellicule même, après avoir servi à faire le petit vin, conserve des sels : ainsi ces substances n’ont plus besoin que de la fermentation putride, pour être converties en matériaux de la sève. Le marc des olives, des noix, des graines de colzat, de navette, de cameline, dont on a retiré l’huile, est encore un très-bon engrais, si on ne préfère pas de le faire manger aux bestiaux, celui des olives excepté.

Il est constant que si je pouvois me procurer une quantité suffisante d’engrais végétaux, je renoncerois aux engrais animaux ordinaires. Ce n’est point un paradoxe ; le tout dépend de la qualité des terres qui doivent les recevoir. Comme ceux-ci sont pailleux, leur grand avantage est de tenir la terre soulevée pendant un plus long espace de temps que les engrais végétaux bien consommés : ainsi, dans les terres fortes, ils méritent la préférence : mais, en les considérant simplement comme engrais, je dis que les premiers sont plus analogues aux plantes ; que si ces engrais animaux, bien conduits, sont réduits en terreau par une bonne décomposition, sans déperdition de principes, alors ceux-ci égalent les premiers en bonté, & méritent la préférence, parce qu’ils durent plus long-temps, & sur-tout, parce que leurs parties graisseuses, surabondantes aux parties salines, s’emparent des sels que la terre renferme naturellement, & se combinent avec eux. On doit encore ajouter, parce qu’ils contiennent une plus grande quantité d’air fixe & d’air inflammable. (Voy. ces mots)

Je ne parlerai pas ici des engrais tirés de la courbe, ou de ses cendres ; (Voyez le mot Tourbe) c’est un engrais végétal qui mérite un traité à part ; c’est déjà un engrais tout fait qu’on peut employer tel qu’il est tiré de la terre, à moins qu’il ne soit pyriteux ; & c’est alors le cas de le laisser incinérer à l’air.

Section II.

Des Engrais animaux.

On comprend sous cette dénomination les chairs, le sang, les os, les cornes, les urines, les excrémens, les poils, les laines ; en un mot, tout ce qui a appartenu aux quadrupèdes, aux oiseaux, aux poissons, aux insectes, &c. même les matières que les hommes ont employées à leurs usages. Les teintures, toutes les préparations quelconques n’ont pas été capables de détruire leurs principes, & tout au plus elles les ont altérés. Le nombre des animaux qui vivent sur ou dans la terre d’un champ, est toujours proportionné à celui des plantes à demeure qu’il nourrit, & plus les espèces de plantes sont variées, plus les espèces d’animaux & d’insectes y fourmillent : voilà l’origine de l’engrais que les prairies procurent au sol ; mais il faut y ajouter la décomposition annuelle d’une partie de leurs feuilles, & des substances météoriques qu’elles se sont appropriées. Comme tout est lié dans la nature, comme tous les êtres ont des rapports les uns avec les autres, & qu’ils ne peuvent exister sans ces rapports, il est impossible, dans ce cas, de considérer séparément les dépouilles immenses de ces insectes, & ce que la destruction de leur être rend à la terre. Il n’en est pas moins vrai que ces dépouilles & ces excrémens sont plus multipliés qu’on ne se l’imagine : l’exemple du ver à soie ou de telle autre chenille, en offre une preuve convaincante. Les plantes & les animaux, d’une manière ou d’une autre, concourent donc à former le premier & second engrais naturel ; peut-être doit-on regarder le météorique comme le premier, puisque c’est lui & par lui que les deux autres sont vivifiés : c’est par cette triple combinaison qui se subdivise ensuite à l’infini, que la terre prépare une abondante nourriture aux plantes.

On voit par-là pourquoi un champ inculte devient de plus en plus infertile ; il nourrit peu de plantes, & par conséquent peu d’animaux. Sa superficie durcie ne permet plus aux engrais météoriques de la pénétrer ; la loi d’appropriation est détruite, & s’il se forme sur cette superficie quelque peu de terre végétale, elle est entraînée perpétuellement par le lavage des pluies.

Quelques auteurs ont dit que l’évaporation de l’humidité de la terre pendant les chaleurs, ressembloit à l’opération de la distillation, par laquelle l’eau monte pure, & par conséquent que les principes de la végétation ne pouvoient s’élever avec elle. Je conviens que les principes terreux, & peut-être salins, ne sauroient s’évaporer ; mais les huileux & graisseux, dans leur état savonneux avec l’eau, sont très-susceptibles de se sublimer, puisqu’ils sont dans une atténuation aussi grande que l’eau. D’ailleurs, lorsque l’on distille la lavande, ou telle autre plante qui contient une huile essentielle, cette huile ne monte-t-elle pas avec l’eau ? d’où je conclus que l’évaporation fait perdre à un champ même inculte, les principes volatils qu’il contient, soit que ces principes aient été produits par les végétaux ou par les animaux ; d’où il faut encore conclure que trop labourer un champ pendant l’été, c’est nuire à la végétation de la récolte qu’on en espère. Le proverbe cependant dit, labour d’été vaut fumier, & le proverbe a raison, si le labour n’est pas multiplié, ou plutôt s’il est donné à propos. (Voyez le mot Labour)

Lorsque nous avons fatigué la terre par plusieurs récoltes consécutives, sans lui donner le temps de réparer ses pertes par les engrais naturels, nous sommes alors forcés de recourir aux engrais artificiels animaux, c’est-à-dire, à ceux que l’on retire des écuries, des basses-cours, &.

§. I. Des Engrais produits par les oiseaux de basse-cour.

I. La fiente de pigeon, vulgairement nommée colombine, est le plus actif des engrais de cet ordre. On dit qu’il est plus chaud, qu’il brûle les plantes si on le mêle à la terre avant qu’il ait jeté son feu. J’ai fait un monceau de colombine & un autre monceau de fiente de volailles, tous deux ont été exposés sous le même hangar, & y font restés pendant un mois. Deux thermomètres, dont la graduation étoit parfaitement semblable, ont été placés, chacun dans un monceau, & ont offert tous les deux les mêmes degrés de chaleur. Ce n’est donc pas par la chaleur que la colombine brûle les plantes, mais par la quantité de sel qu’elle contient, qui corrode les plantes.

Avant de le servir de la colombine seule, on doit la laisser amoncelée au moins pendant un an, & il vaut encore mieux la réduire en poudre lorsqu’elle est bien sèche, afin de la répandre sur les blés, sur les chanvres, &c. dans la saison des pluies, de cette manière elle est très-utile ; & si on s’en sert pendant la sécheresse, elle est très-nuisible. Le jardinier peut en mettre une petite quantité dans le bassin où il puise l’eau dont il arrose, & la vider avec l’arrosoir sur les semis, ou au pied des plantes dont il veut hâter la végétation, ou dont la végétation languit ; mais qu’il soit très-économe de cet engrais, sans quoi il paiera bien cher sa prodigalité mal entendue.

Si on veut ne courir aucun risque, il est plus prudent de s’en servir en poudre, & mieux encore de mêler la colombine au fumier ordinaire, & de les laisser fermenter ensemble pendant une année, ainsi qu’il a été dit plus haut. La colombine répandue sur les prés, fait périr les mousses & autres plantes de cette famille, qui les détruisent peu à peu. Les cendres de charbon de bois, de charbon de terre ou houille, la chaux, &c. produisent le même effet ; ce n’est donc pas aux parties graisseuses de la colom bine, que cette destruction est due, mais seulement à l’activité du sel alcali qu’elle contient.

II. L’engrais tiré de la fiente des volailles, tels que les coqs, les poules, les dindes, &c. a les mêmes propriétés que la colombine, & peut servir aux mêmes usages ; mais elle est un peu moins chaude, c’est à-dire, qu’elle contient moins de sel. D’où provient cette différence ? je l’ignore ; il sembleroit, au contraire, que la fiente des volailles devroit-être plus chaude, puisque ces oiseaux se nourrissent de grains, d’insectes ; de vers, &c. tandis que le grain seul fait la nourriture du pigeon.

III. L’engrais fourni par les canards, les oies & autres oiseaux aquatiques, a fait naître beaucoup de contestations parmi les agriculteurs : les uns ont dit qu’il falloit le rejeter, puisque l’herbe des prairies sur lesquelles les oies vont paître après la première ou la seconde récolte du foin, est desséchée & brûlée par leurs excrémens ; les autres, au contraire, & les plus sensés, sont convenus du fait ; mais ils ont ajouté que cet engrais, après avoir fermenté pendant long-temps, ou seul, ou mêlé avec d’autres substances, produit une aussi bonne végétation que l’engrais des volailles, &c. Les deux partis ont raison ; il suffit de convenir des circonstances. Les excrémens des chevaux, des mulets, des bœufs, &c. brûlent également, pendant m’été, l’herbe sur laquelle ils tombent ; mais dès qu’il survient une pluie, elle repousse avec plus de vigueur, parce que la racine n’est pas brûlée. Il en est ainsi des prairies pâturées par les oies ; la fane de la plante est détruite, & la racine subsiste. Si cette racine étoit consumée, la prairie périroit insensiblement, tandis que l’année suivante, il ne paroît aucune place vide. On dira peut-être que de nouvelles graines produisent de nouvelles plantes à la place de celles qui font brûlées, & que la prairie se regarnit de cette manière : cette assertion est purement illusoire ; le simple coup d’œil, au renouvellement du printemps, prouve que chaque place est garnie des plantes qui avoient végété dans le cours de l’année précédente.

Que conclure sur la qualité de ces trois espèces d’engrais ? qu’ils sont excellens, ou préjudiciables, suivant les circonstances où ils sont employés, & que le parti le plus prudent est de les mélanger avec d’autres fumiers, & de les laisser fermenter ensemble pendant une année.

Il en est ainsi du fumier tiré des volières des petits oiseaux. Quoique notre luxe soit porté à un point extrême, il n’est pas encore aussi recherché que celui des romains, & nos volières ne sont pas aussi vastes, aussi peuplées de grives & d’ortolans, &c. & ne sauroient fournir les excrémens nécessaires à l’engrais d’un champ entier. Un tel fait seroit regardé comme incroyable, s’il n’étoit rapporté & circonstancié par plusieurs écrivains de cette nation.

§. II. Des Engrais produits par les quadrupèdes.

Les fumiers d’été font préférables à ceux d’hiver, parce que les animaux ont alors une nourriture fraîche qui contient réellement plus de principes aqueux, huileux, & plus d’air fixe & plus d’air inflammable. L’expérience démontre qu’ils sont plus actifs & plus propres à la végétation. L’herbe en se desséchant a donc perdu plusieurs de ses principes, outre son eau de végétation ; ou bien, les alimens secs n’ont pas éprouvé dans l’estomac des animaux, & ensuite dans leurs intestins, le même degré de trituration, de coction ; &c. quoi qu’il en soit, c’est une vérité reconnue.

I. Des excrémens du cheval, du mulet & de Cane. On les appelle chauds, par la facilité qu’ils ont de fermenter lorsqu’ils font rassemblés en tas, & par conséquent, d’acquérir un degré de chaleur assez considérable. Cette chaleur est bien plus vive & plus forte, lorsqu’ils sont mêlés avec la paille, sur-tout avec celle de froment ou d’avoine ; mais une fois que ces fumiers ont jeté leur feu, qu’ils ont fermenté pendant un certain temps ; enfin, lorsqu’ils sont répandus & mêlés avec la terre, ils ne sont pas plus chauds qu’elle. Ce n’est donc plus par leur chaleur qu’ils agissent sur elle, mais simplement par les substances graisseuses, alcalines & aériennes qu’ils contienent, qui se mêlent avec les principes analogues, déjà répandus dans cette terre.

C’est la plus grande de toutes les erreurs, & la plus mauvaise de toutes les économies, d’employer ces fumiers frais. Un tombereau du même fumier bien consommé, produira plus d’effet que six tombereaux de fumier frais ; l’expérience l’a démontré. On dira peut-être qu’un tombereau de ce fumier est le résidu de ces six tombereaux, & qu’ainsi l’un revient à l’autre. Je suppose pour un instant que cela soit vrai ; mais ne compte-t-on pour rien les frais du transport & l’éloignement du creux à fumier au champ ? Si le tombereau fait huit voyages dans un jour, il faudra donc sacrifier cinq jours en sus pour remplir le même objet. En supputant le prix des journées des mules ou des chevaux ou des bœufs, & celui des journées d’hommes, on trouvera que la dépense est excessive, sans compter la perte du temps.

Toute substance, dans la nature, doit nécessairement passer par plusieurs périodes, avant de parvenir à son point de perfection ; les fruits en sont la preuve : nos préparations alimentaires confirment cet adage, & ce qui est soumis aux loix de la fermentation, l’est également à celles du temps. Le fumier tel qu’il sort de dessous les pieds des chevaux, est encore crud, si l’on peut s’exprimer ainsi : il a besoin d’être amoncelé afin de s’échauffer, afin de recombiner ses principes & de les réduire à l’état savonneux ; c’est le seul moyen de les rendre miscibles à l’eau, & capables de former la sève : quand même ce fait ne seroit pas aussi rigoureusement vrai, il seroit toujours très important d’attendre, avant d’enterrer le fumier, qu’il fût réduit à un état de concentration & à une atténuation de ses parties ; sans cela, le laboureur le plus expérimenté ne viendroit jamais à bout d’enfouir ses longues pailles, ni les grouppes plus ou moins gros qu’il forme avant sa décomposition. Or, tout fumier qui reste sur la superficie du sol, est de nulle valeur & presque entièrement perdu, relativement à la fertilité qu’il doit procurer.

Je ne connois qu’une seule manière de préparer le fumier ; c’est celle indiquée dans la section précédente. Il faut de toute nécessité qu’il soit environné de terre de tous les côtés, afin que sa chaleur ne dissipe pas ses principes par l’évaporation, & que cette évaporation ne soit pas augmentée par la chaleur des rayons du soleil. Examinez ces monceaux de fumier, élevés dans des cours ou en plein air, & vous verrez que toute la circonférence en est desséchée. Prenez le fumier de cette circonférence, tirez-en une même quantité du centre, & portez séparément chaque partie sur un même champ, l’expérience vous indiquera alors, de la manière la plus positive, auquel on doit la préférence. Le sens commun seul suffit pour décider la question. Il vaut mieux multiplier les fosses, leur donner de la largeur & de la longueur, plutôt que de les faire trop profondes, c’est un embarras extrême pour en sortir le fumier. On peut cependant remédier à cet inconvénient, en pratiquant d’un côté seulement une pente douce & assez large pour que deux charrettes puissent, descendre jusqu’au fond. À mesure que le monceau de fumier s’élèvera, on aura soin de lui faire du côté de cette pente un parement en terre battue, au moins d’un bon pied d’épaisseur & même plus, suivant la ténacité & la consistance de la terre.

Si on n’a pas foin, comme je l’ai déjà dit, de placer, de couche en couche, de la terre ; en un mot, si le monceau est d’une seule pièce, a chaleur sera excessive ; ses parties graisseuses, trop fortement attaquées par la chaleur, & sur-tout par la réaction des sels, se détruisent ; le blanc s’y met, & cette maladie rend ce fumier comme un simple terreau, semblable à celui des couches, qui est resté trop long-temps exposé à l’air, à la pluie, &c. & qui a perdu presque tous ses principes. Règle générale, il est inutile de battre, de piétiner les fumiers, ils s’affaisseront assez d’eux-mêmes, sur-tout quand chaque lit fera terminé par une couche de terre.

D’après ce qui vient d’être dit, on voit l’excès de l’abus de laisser les fumiers trop étendus sur le sol ; plus ils ont d’épaisseur, moins sa chaleur extérieure & les pluies ont d’action sur lui. L’abus est encore plus criant, lorsque l’eau des pluies peut s’écouler, elle entraîne avec elle la quintessence, le jus du fumier, & il ne reste presque plus qu’un caput mortuum, ou un fumier dénué de ses principes.

Le cultivateur intelligent ne multiplie pas les opérations, & il les combine autant que les circonstances le permettent. Veut-il donner un engrais convenable à une terre trop compacte ? alors il substitue le sable à la couche de terre ; si le sol de son champ est trop meuble, la couche est formée par une bonne terre franche & même par de l’argile ; veut-il marner & ne pas attendre pendant plusieurs années, les bons effets de la marne ? il la mêle réduite en poudre avec ses fumiers, & la combinaison savonneuse se fait par ce mélange. En un mot, il prépare chaque fosse suivant les besoins de ses possessions.

Dans les provinces du nord du royaume, la préparation des fumiers est précisément l’opposé de celle que je conseille & que je pratique. Le milieu de la cour de la métairie est la partie la plus creusée, & où toutes les eaux pluviales des cuisines, des écuries &c. vont aboutir. On y jette tout le fumier, de manière qu’il nage perpétuellement dans un grand volume d’eau. Il est impossible, attendu l’abondance & la fréquence des pluies de ces provinces, que la fermentation s’établisse, que la combinaison des principes ait lieu ; enfin, que la paille pourrisse. En effet, lorsque l’on tire le fumier de cette mare, & lorsqu’on veut le charrier sur les terres, la paille est encore entière & le fumier n’est pas pourri. En Flandre, par exemple, l’eau qui reste après l’enlèvement du fumier, est jetée dans des tonneaux chargés sur des charrettes, & ensuite répandue sur les champs ; mais voilà plus d’un triple & quadruple emploi de voiturage : n’auroit-il pas mieux valu, & n’auroit-il pas été plus économique d’avoir du fumier fait ? il en auroit beaucoup moins coûté. Je conviens que cette eau, dispersée sur les blés à la fin de l’hiver, est très-efficace, qu’elle leur donne de la vigueur, ranime leur végétation ; ils n’en auroient pas eu besoin, si les principes du fumier avoient été combinés, & si la terre se les étoit assimilés avant le temps des semailles. L’économie & le produit sont tous à l’avantage de la première méthode. J’invite ceux qui par habitude noient leurs fumiers, d’en préparer une partie suivant la manière que j’indique, & de porter ensuite les deux engrais sur un champ de même nature ; ils jugeront alors laquelle des deux méthodes est préférable. Rien n’instruit mieux que l’expérience, sur-tout quand elle est faite de bonne foi dans l’intention de connoître la vérité.

Ces cours à fumier sont ordinairement pavées, & même la précaution est indispensable ; mais je n’en ai vu aucune capable de contenir toutes les eaux pluviales. Du moment que la surabondance est obligée de fuir, pourquoi souffrir cette perte, cette soustraction de principes ? Si j’étois possesseur d’une pareille métairie, j’établirais la pente de la cour vers un champ, & dans ce champ je creuserais plusieurs fosses à la suite les unes des autres, & qui se communiqueroient ; remplies de pailles, de débris de végétaux, elles recevroient ces eaux & deviendroient de véritables creux à fumier.

On peut, il est vrai, au moyen de ces cours, faire pourrir une grande quantité de paille. On en pourriroit une bien plus grande quantité, si, lorsqu’elles sont bien pénétrées du jus de fumier, on les jetoit dans la grande fosse à fumier ; & si, lit par lit, on y plaçoit du sable, de la terre, &c. la fermentation s’établirait très-promptement, & sa chaleur seroit très-vive. On en peut juger par la chaleur des couches, (voyez ce mot) faites uniquement avec des pailles imbibées assez légèrement d’urine, & desquelles on a séparé le crotin. Dans ce cas, les grandes cours offrent un avantage précieux, & il est possible d’y quadrupler la quantité du fumier & sur-tout du fumier fait.

Ce cloaque, ou cette grande cour, environné par les maisons, est un foyer de putridité qui vicie l’air que respirent ceux qui les habitent ; il est moins dangereux, sans doute, dans nos provinces du nord, où les pluies sont fréquentes & la chaleur modérée ; mais il seroit très-mal-sain dans celles du midi. Éloignez donc de vos demeures tout ce qui altère la pureté de l’air ; de sa salubrité dépend la santé des valets, & de leur bonne santé, la bonne culture.

II. Des excrémens des bœufs & des vaches. On appelle communément ces engrais froids ; ils ne sont cependant pas plus froids intrinsèquement que ceux du cheval, &c ; ils sont moins actifs, parce qu’ils ont moins de principes constituans. Cela proviendroit-il de la rumination du bœuf ? car, en général, sa nourriture est la même que celle du cheval. Il paroît que par la rumination l’animal s’approprie plus les substances contenues dans le fourrage, que le cheval qui ne rumine pas. On sait qu’un vieux cheval rend presque l’avoine telle qu’il l’a avalée, que dans les crotins on apperçoit le foin haché grossièrement, au lieu que dans la bouse de vache, le résidu est infiniment plus atténué. Quelle que soit la cause physique de ce phénomène, il est très-vrai que le fumier de bœuf n’est pas un engrais aussi puissant que celui du cheval, &c qu’il convient mieux dans les terres maigres, lorsqu’elles sont telles, faute de liaison. Comme il est moins rempli de sel, il est moins brûlant, & on pourroit dire que la bouse de vache contient seulement de l’humus, &c presque aucun principe salin ni graisseux, ou si elle en contient, c’est en très-petite quantité.

Dans une métairie, toutes les terres ne sont pas d’une même qualité, & par conséquent, elles exigent différentes espèces d’engrais. On fera très-bien d’amonceler séparément les fumiers des bœufs. Cependant, si on veut leur donner plus d’activité, on peut les mélanger avec de la chaux, de la marne, de la craie & autres engrais salins. Dans plusieurs endroits du royaume, & même dans plus de la moitié, on ne cultive qu’avec des bœufs ; il est donc essentiel de remédier, suivant le besoin, au peu d’activité de ces engrais.

III. Des excrémens des moutons & des chèvres. Ils sont vraiment salins & graisseux, & par conséquent susceptibles d’acquérir une forte chaleur par la fermentation. On ne multiplie point assez la paille sous les bêtes, on les laisse croupir mal-à-propos sur leur litière : consultez ce qui est dit, article V du mot Bergerie. Si un troupeau ne parque point (voyez ce mot) chaque bête qui le compose doit faire par an quatre tombereaux, de fumier, lorsqu’on aura soin de ne pas épargner la paille ou les feuilles, & de sortir une fois par semaine la litière de l’écurie, pour la porter dans la fosse destinée à la recevoir. Si le troupeau parque, on doit avoir au moins deux tombereaux de fumier par bête. Pour peu que la paille soit imbibée d’urine & de crotin, elle fermentera vigoureusement. (Voyez le mot Couche)

Ce conseil ne sera pas goûté par les bergers, ils se retourneront de mille manières auprès de leur maître, afin d’en empêcher l’effet ; ils objecteront que l’animal veut être tenu chaudement, que le fumier ne sera pas pourri, &c. &c. toutes ces raisons sont dictées par leur ignorance, & encore plus par leur paresse, afin de n’avoir pas chaque semaine un travail à faire. J’ai vu un troupeau de plus de deux cents bêtes, n’avoir pas fait cinquante tombereaux de fumier dans une année, parce que le propriétaire croyoit aux sentences de son berger, comme à celles d’un oracle. Méfiez-vous de ces grands parleurs, à moins qu’ils n’exécutent ponctuellement ce que vous prescrivez.

Le fumier de mouton exige plus qu’un autre d’être mis à l’abri de l’ardeur du soleil, à cause de sa grande fermentation. S’il n’est pas jeté dans une fosse, environnez-le au moins avec de la terre, & chaque semaine faites-le recouvrir d’une couche de terre, dès qu’il est sorti de l’écurie.

IV. Des excrémens du cochon. C’est un engrais très-actif ; je crois que cette grande activité dans les engrais provient de la promptitude avec laquelle certains animaux rendent la nourriture qu’ils ont prise. Plusieurs auteurs ont assuré que l’usage de ce fumier étoit dangereux, qu’il brûloit les plantes ; oc ils ont eu raison, s’il est employé frais : mais si on l’amoncela, si on le mélange avec de la paille, & s’il fermente un temps convenable, c’est un très-bon engrais, sur-tout pour les terres compactes, argileuses &c. qu’on appelle assez improprement terres froides.

§. III. Des Engrais tirés des Excrémens humains.

Voilà de tous les engrais, l’engrais par excellence, celui qui produit les effets les plus merveilleux ; mais on doit ajouter les plus détestables, s’il n’est pas convenablement employé. Frais, il brûle, il corrode ; sortant des latrines, il est encore plus dangereux ; seul & sans mélange, c’est, dans la première année, le destructeur de la végétation ; s’il ne détruit pas les plantes qu’il engraisse, il leur communique une odeur & une saveur détestables. Frédéric Hoffman rapporte que de la bière faite avec de l’orge produite par un champ fumé avec cet engrais, en avoit conservé l’odeur, & que son goût étoit très-désagréable. Un autre auteur cite un fait semblable sur le blé ; mais il ajoute que celui qui fut semé l’année suivante sur le même champ, ne sentoit rien. La différence vient uniquement de ce que l’on avoit employé ce fumier trop frais. La fève n’avoit pas charié dans le grain les principes de cette odeur ; il se les étoit seulement appropriés à l’extérieur, de la même manière que le raisin contracte l’odeur du souci ou de l’aristoloche qui croissent dans les vignes.

J’ai déjà indiqué quelque part, pourquoi la nature donnoit aux fruits des péduncules ou queues très-minces, très-petits, proportion gardée avec le volume du fruit. Ce péduncule admet seulement les fluides séveux les mieux élaborés, & l’endroit où le péduncule s’implante dans le fruit, forme encore un nouveau bourrelet qui raffine la sève en dernière analyse. L’expérience vient à l’appui de cette assertion. Le célèbre M. Hales va parler. « Je versai dans un tube fixé à un pommier de pommes de reinette, une pinte d’esprit de vin camphré bien rectifié ; l’ergot tira toute cette quantité dans trois heures, & cela fit mourir la moitié de l’arbre. Mon intention étoit d’essayer si je pourrois donner le goût de camphre aux pommes qui étoient en grand nombre sur la branche ; mais je ne réussis point : car le goût des pommes ne fut du tout point altéré, quoiqu’elles pendissent à l’arbre pendant plusieurs semaines après l’opération ; cependant l’odeur de camphre étoit très-forte dans les queues des feuilles & dans toutes les parties de la branche morte. Je fis la même expérience sur un cep de vigne, avec de l’eau de fleur d’orange d’une odeur très-forte & très-relevée. L’événement fut le même ; l’odeur ne pénétra pas dans les raisins ; mais elle étoit fort sensible dans le bois & dans la queue des feuilles ». On ne sera donc pas surpris, si les salades & autres légumes analogues contractent réellement un mauvais goût, & à plus forte raison une mauvaise odeur.

Le moyen de prévenir ces inconvéniens fâcheux, c’est de laisser exposé à l’air, pendant deux & même trois années, les matières tirées des latrines, ou bien de suivre la méthode indiquée au mot Aisance (fosse d’). On ne court aucun risque de laisser vieillir cet engrais, pourvu toutefois qu’il ne soit pas délavé par la pluie. Plusieurs jardiniers & cultivateurs le font complètement sécher à l’air libre ; ils le réduisent en poudre, & s’en servent, comme de la colombine ; dans cet état, il est appelé Poudrette.

Je ne conçois pas comment des habitans des villes, & qui sont propriétaires de biens fonds, ne se procurent pas abondamment cet excellent engrais. MM. Cadet, Parmentier & Laborie, dans l’Ouvrage cité au mot Aisance, indiquent les moyens de le transporter sans qu’il en résulte la moindre odeur ni la plus légère répugnance. Le point essentiel, pour l’agriculture comme pour le jardinage, est de ne l’employer qu’après plusieurs années révolues. Dans plusieurs villes du royaume, on mesure la hauteur, largeur & profondeur de la fosse d’aisance, & il y a prix fait & même assez fort, que le nettoyeur paye en raison des toises cubes ; dans la majeure partie des autres villes, on a la simplicité de payer pour s’en débarrasser. On seroit étonné si l’on savoit combien les latrines des casernes de la ville de Lille en Flandre, produisent de revenu à celui à qui appartient le droit de vendre cet engrais.

§. IV. Des Engrais tirés des Voiries.

Sous ce nom je comprends les excrémens, le sang, les débris des intestins, &c. qui sont enlevés des boucheries, ainsi que les boues des rues. &c. Cet engrais n’est pas à négliger ; il est prodigieusement actif, & il doit fermenter pendant longtemps dans les fosses, suivant la méthode déjà indiquée.

Il est inutile de répéter ce qui a été dit au mot Coquille ; c’est un excellent engrais si on fait le préparer. (Voyez ce mot)

Récapitulons en peu de mots, les ressources procurées par les engrais végétaux & animaux. 1°. Ils réparent l’épuisement de l’humus ou terre végétale, en rendant à la terre matrice celle qu’ils contiennent. 2°. Leurs parties graisseuses & salines combinées & réduites à l’état savonneux, deviennent les matériaux de la fève. 3°. Ils contiennent beaucoup d’air fixe & d’air inflammable. (Voyez ces mots) L’air fixe, plus pesant que l’air atmosphérique, reste concentré dans la terre, il est attiré par les racines, uni aux matériaux séveux ; & l’air inflammable plus léger que l’air atmosphérique, s’échappe à travers les pores de la terre, & il est absorbé par les feuilles ; de sorte que ces engrais contiennent en eux-mêmes tout ce qui est nécessaire à la végétation. Il résulte nécessairement de ces faits fondés sur l’expérience, qu’on doit avoir le plus grand soin de concentrer, autant qu’il est possible, les principes des engrais, & d’empêcher que la chaleur de la fermentation ou celle du soleil ne les fasse évaporer en pure perte.


  1. Ce mot n’est pas encore admis dans notre langue, je le sais. Le mot météorologique ne rend pas l’action des engrais de ce genre.