Cours d’agriculture (Rozier)/APOPLEXIE

La bibliothèque libre.
Hôtel Serpente (Tome premierp. 591-596).


APOPLEXIE, Médecine rurale. Quoique l’apoplexie soit une maladie très-rare parmi les habitans de la campagne, il est cependant nécessaire que nous présentions un tableau fidèle de cette terrible maladie, qu’avec raison plusieurs médecins ont appellée foudroiement, parce que le malade, au moment de l’attaque, semble être frappé de la foudre.

On donne le nom d’apoplexie, ou coup de sang, à cette maladie du cerveau qui prive tout-à-coup le malade du mouvement volontaire & de l’exercice des sens, tant internes qu’externes : or, la privation subite du mouvement volontaire, & du sentiment de tout le corps, accompagnée du ronflement & de difficulté de respirer, dans laquelle le pouls a coutume de se soutenir jusqu’aux approches de la mort, sera nommée apoplexie.

Nous distinguons trois sortes d’apoplexies ; la grande, dans laquelle le malade est frappé tout-à-coup comme de la foudre, & perd entiérement connoissance au moment de l’attaque ; il dort profondément, rend de l’écume par la bouche, & respire avec sifflement. La moyenne : les accidens sont moins graves, le malade exerce quelques mouvemens, ronfle un peu, éprouve de la douleur, si on le pince, donne quelques signes de sensibilité, & retombe dans le sommeil quelques instans après. La troisième enfin se nomme carus ou apoplexie légère.

L’apoplexie varie encore en raison des causes qui la font naître. En général, nous distinguons deux espèces d’apoplexie ; la première nommée sanguine, & la seconde nommée lymphatique. La première est occasionnée par le sang répandu dans le cerveau, ou porté dans cet organe avec impétuosité ; l’autre dépend de l’épanchement d’eau ou de sérosité quelconque. Ces deux apoplexies diffèrent par leurs causes & par leurs effets ; c’est pourquoi les moyens propres à les combattre ne doivent pas être les mêmes, comme nous le ferons observer plus bas. Dans la première espèce, celle que l’on nomme sanguine, le visage du malade est rouge, ses yeux sont étincelans, la tête sur-tout & tout le corps sont de la plus grande chaleur ; dans la seconde espèce nommée pituiteuse ou lymphatique, le visage du malade est pâle, décoloré ; ses yeux sont éteints, fixes & souvent larmoyans : toutes les parties enfin sont dans le relâchement.

Les causes de l’apoplexie sont en très-grand nombre, sur-tout dans les grandes villes, où la débauche, les excès de la table & les passions sont portées au plus haut degré : ces causes se déduisent ou de la conformation du corps, ou des choses qu’on nomme naturelles, c’est-à-dire, des abus dans le sommeil, dans le manger & dans les passions.

La conformation du corps peut plutôt disposer un sujet à l’apoplexie qu’à toute autre maladie. Par exemple, celui qui aura la tête ou trop grosse ou trop petite en proportion du corps ; celui qui aura le col court & le ventre gros ; celui qui est d’un tempérament sanguin, gros & gras ; celui qui respire un air épais, qui mange beaucoup & fait peu d’exercice, sera plus disposé que tout autre à être attaqué d’apoplexie.

Les causes qui peuvent disposer & déterminer l’apoplexie, sont les suivantes. Dormir trop long-tems détermine le sang à se porter vers la tête ; les passions portées à l’excès, l’amour, la colère, le chagrin, un saisissement ; tous ces mouvemens violens ou profonds de l’ame déterminent le sang à se porter vers la tête en grande quantité : mais les causes les plus communes sont les abus dans les alimens & dans les liqueurs spiritueuses ; on a vu quelquefois une apoplexie naître à la suite d’un coup violent reçu sur le ventre, qui avoit fait refluer vers la tête une très-grande quantité de sang.

Les phénomènes que l’on observe dans une attaque d’apoplexie, sont de trois espèces ; les uns précèdent l’attaque, les autres s’observent au moment même ou pendant l’attaque ; les derniers enfin se manifestent après l’attaque.

Les premiers : le malade est plus disposé au sommeil que de coutume, & son sommeil est plus profond ; il se réveille difficilement : son corps est lourd, pesant ; ses yeux sont humides, sa salive coule plus abondamment, sa parole est plus lente ; il traîne les mots, il bégaye ; ses idées ne sont pas nettes, sa mémoire chancèle, & son jugement est en défaut.

Les seconds : dans le moment de l’attaque, tout mouvement volontaire cesse, le mouvement du cœur & de la poitrine diffère peu de l’état de santé, si ce n’est dans le dernier période d’une forte attaque où la respiration n’est presque plus sensible, & le pouls éteint.

Les troisièmes, les phénomènes sont relatifs à l’espèce & au degré de l’apoplexie : nous avons donné plus haut les signes qui caractérisent l’apoplexie sanguine de la pituiteuse.

L’apoplexie forte, la grande apoplexie est très-difficile à guérir, & peu de malades échappent à la mort. L’apoplexie légère est moins difficile à guérir. Cette terrible maladie se termine quelquefois par des saignemens considérables par le nez, par l’écoulement des règles chez les femmes ; quelquefois aussi par la salivation, par le dévoiement, par un flux abondant d’urine, & par des sueurs copieuses : lorsque ces signes se présentent, ils sont en général de bon augure.

Dans l’apoplexie sanguine, quand les convulsions s’emparent du malade, c’est un mauvais signe : on doit renoncer à toute espérance quand le visage perd toute sa couleur, & qu’il devient livide & couleur de plomb. L’oppression, le relâchement, l’écume à la bouche & l’incontinence sont de très-mauvais signes : si le malade échappe à cet orage, & survit, il traîne une vie malheureuse dans la paralysie : si les malades continuent à n’écouter que l’incontinence en tout genre, une seconde ou une troisième attaque les prive de la vie.

Cette effrayante maladie est toujours de la plus grande importance ; elle a son siège dans la plus noble & la plus nécessaire de nos parties, dans le cerveau, cette merveilleuse & inexplicable machine, qui fait circuler la vie & le sentiment dans toutes les parties du corps humain.

L’apoplexie qui dépend du vice de conformation dans le cœur, est absolument mortelle.

Le traitement de cette maladie est d’autant plus difficile que l’apoplexie est premiérement une des plus meurtrières maladies qui affligent l’homme civilisé, sur-tout l’habitant des villes ; & que, secondement, sans égard pour l’âge, le sexe, la saison, les causes & l’espèce, on a coutume de faire un traitement bannal qui nuit beaucoup plus au malade, que si on abandonnoit à la nature le traitement de cette maladie. On emploie les émétiques violens, les saignées, les purgatifs les plus actifs, & les liqueurs volatiles & spiritueuses : sans contredit, c’est en faisant usage de ces moyens qu’on parvient à guérir l’apoplexie : mais ces moyens doivent être proportionnés aux causes, & placés suivant les espèces différentes d’apoplexie, si on les emploie indistinctement dans tous les cas, comme malheureusement nous le voyons le plus ordinairement, sur-tout dans les campagnes, où, loin des secours éclairés des gens de l’art, on est forcé de suivre la pratique aveugle de certains chirurgiens, bien loin de tirer quelque utilité de l’art salutaire de la médecine, les malades deviennent les victimes de l’ignorance. Nous allons tâcher d’éclairer le traitement de cette importante maladie, & de fixer les idées sur la nature des secours qu’il faut administrer.

Les saignées trop multipliées nuisent beaucoup, même dans l’apoplexie sanguine, en ce qu’elles font tomber le malade dans l’accablement, & ôtent à la nature les forces nécessaires pour terrasser l’ennemi.

Les émétiques procurent souvent des effets funestes, parce que les violens efforts qu’ils excitent dans l’estomac, déterminent le sang à se porter avec impétuosité vers la tête, où il est déjà en très-grande quantité.

Les purgatifs agissent de même dans les secondes voies, & procurent une élévation considérable vers la tête, en comprimant les vaisseaux du bas-ventre.

Les liqueurs spiritueuses, & l’alcali volatil sur-tout, nuisent, on ne peut pas plus, dans l’apoplexie sanguine ; la plus grande tension existe dans les vaisseaux du cerveau, il ne fait que l’augmenter, & il donne naissance à la rupture des vaisseaux & aux épanchemens, qui tuent le malade en très-peu d’instans.

Tels sont les inconvéniens, ou plutôt les malheurs qui suivent l’usage aveugle de ces différens moyens : éclairons maintenant la marche qu’il faut suivre dans leur sage administration.

Dès l’instant qu’un sujet est attaqué d’apoplexie, il faut promptement le deshabiller, l’exposer à l’air frais ; car la chaleur, dont le propre est d’augmenter le volume des fluides, nuiroit considérablement : il faut le priver entiérement de nourriture, même du bouillon gras. Il se nourrira de sa propre substance ; on lui fera avaler seulement quelques infusions légères de fleurs de sthœcas, de bouillon de poulet, d’eau d’orge légère, mais à petite dose, pour empêcher la corruption des humeurs. On placera le malade sur un lit sans plumes ; on le mettra à son séant, il seroit encore mieux sur un grand fauteuil, la tête droite ; par ce moyen les veines, dont l’office est de rapporter le sang des parties, seront libres, & le dégorgement se fera mieux. Il ne faut jamais coucher le malade à plat ; on éprouve même dans la meilleure santé, que la tête, dans cette position, est lourde, & que les yeux deviennent rouges, parce que le sang est gêné dans son retour : or, dans l’apoplexie, cette observation est d’un intérêt bien plus pressant.

Il faut exciter le malade par toutes sortes d’endroits, sur-tout par ceux qu’on lui connoît plus sensibles ; il faut avoir le plus grand soin d’éloigner tous ceux qui ne sont pas utiles dans les secours nécessaires au malade. Il est de fait que ceux qui ne servent pas nuisent beaucoup, soit par leurs cris continuels, leurs plaintes importunes, soit enfin par la chaleur qu’ils communiquent à l’air que respire le malade. Dans l’apoplexie sanguine, qu’on reconnoîtra aisément aux signes que nous avons détaillés plus haut, on plongera les pieds du malade dans l’eau tiède ; on appliquera des sangsues en différentes parties du corps : à leur défaut, on saignera au bras, au pied, à la gorge, suivant que la situation sera plus pressante ; mais on aura le soin de laisser couler le sang lentement pour éviter l’affaissement, le plus sinistre de tous les symptômes.

Si l’estomac du malade est plein ; on ne le saignera pas ; on lui donnera l’émétique en lavage ; on appliquera les vésicatoires aux cuisses & entre les deux épaules ; on lui donnera des lavemens purgatifs. (Voyez Médicament : dans cet article, nous avons réuni tous les remèdes simples, avec la manière de les composer, & l’indication des cas dans lesquels ils sont nécessaires.) Si les symptômes continuent, si le pouls est toujours plein & élevé, il faut réitérer les saignées à la gorge & au pied : mais il est de la plus grande importance de ne pas précipiter tous ces moyens ; il faut les placer par ordre, & imiter la nature, qui chemine lentement dans sa marche. C’est ici sur-tout qu’il faut bien se garder de donner l’émétique en dose assez forte pour exciter de violens vomissemens, & de faire usage d’alcali volatil ; les ruptures des vaisseaux & les épanchemens deviennent les suites de ce traitement barbare & ignorant.

Dans l’apoplexie séreuse, si le malade n’a pas l’estomac plein, une saignée du bras ou du pied convient pour donner plus de jeu aux vaisseaux ; mais le plus souvent il ne faut pas la réitérer : si l’estomac est plein, il faut donner l’émétique en doses assez fortes pour exciter le vomissement ; il faut piquer, irriter, frotter le corps avec des linges rudes & avec de l’ortie ; ces différens moyens réveillent le ton des fibres engourdies, raniment la circulation qui languit : à ces moyens, on ajoute les lavemens purgatifs, ensuite les purgatifs ; on applique aussi de grands & larges vésicatoires entre les deux épaules & aux cuisses. On peut faire aussi respirer au malade de l’alcali volatil, lui en faire même avaler avec succès quelques gouttes dans un peu d’eau : c’est le cas où on peut tirer quelques secours de ce remède, en le considérant comme donnant du ton aux parties relâchées, & comme un remède auxiliaire ; mais il ne faut jamais le regarder comme un spécifique particulier à cette maladie. L’observation & la raison ont détruit aisément le brillant fantôme que l’enthousiasme avoit enfanté sur ce remède héroïque ; on l’a mis maintenant à la place qu’il peut occuper : ce remède est dans la classe des remèdes actifs, qui exigent dans leur administration la main d’un homme sage & éclairé, & qui deviennent des poisons dans celle d’un enthousiaste ignorant. L’ambition de faire le bien ne suffit pas pour avoir des succès constans ; il faut des lumières & de l’exercice ; & ordinairement les enthousiastes sont peu éclairés, & n’ont pas la tranquillité & la justesse du raisonnement qui forment l’excellent observateur.

Si la médecine, qui guérit les maladies terribles qui affligent l’humanité dans le moment de leur invasion, est une science utile & respectable, nous croyons qu’elle ajoute encore à sa gloire, en enseignant la route qu’il faut suivre pour éloigner ou pour détruire les semences des maladies, & pour empêcher leur retour.

Il est bien plus aisé de donner des conseils salutaires pour empêcher le retour de l’apoplexie, qu’il n’est facile de déterminer les malades à en faire usage ; ils sont sur cet article d’une inconséquence d’autant plus impardonnable, que les exemples funestes se présentent tous les jours sous leurs yeux sans les corriger. Il est malheureusement de la nature de l’homme ordinaire de desirer ardemment le bien, & de suivre les routes qui en éloignent.

Pour empêcher le retour de l’apoplexie, il faut faire quelques saignées si le malade éprouve des maux de tête, des engourdissemens & des pesanteurs, & le purger de tems en tems.

Il faut lui conseiller l’exercice, le faire fumer avec les plantes aromatiques, ou le tabac, si ses nerfs ne sont pas trop irritables ; lui faire raser la tête, & la frotter avec des spiritueux ; lui conseiller l’usage des masticatoires, quelques morceaux de racine de pyrethre, ou autres de cette nature.

Tous ces amulettes que l’on conseille en application sur l’estomac ou sur le front, sont de leur nature des remèdes qui n’ont aucun effet, mais qui deviennent dangereux par la sécurité dans laquelle le malade vit, sécurité funeste, qui, l’empêchant d’employer des remèdes utiles, lui prépare lentement une rechûte fatale.

Les cautères sont de la plus grande utilité ; ils détournent l’humeur, & entretiennent un égoût par lequel le sang fait passer ses immondices. Il faut que le malade vive de régime ; qu’il évite l’air épais & celui qui est trop vif ; qu’il fasse un exercice modéré ; qu’il s’abstienne de liqueurs spiritueuses ; qu’il redoute les indigestions & qu’il tienne son ventre libre.

Tels sont les conseils que nous croyons devoir donner à ceux qui sont menacés d’apoplexie, & à ceux qui ont déjà essuyé des attaques. Si quelques-uns sont assez sages pour les suivre, nous aurons la douce consolation d’avoir encore arraché quelques victimes à la mort, & d’avoir rempli les devoirs sacrés que nous nous sommes imposés.

Il est une autre espèce d’apoplexie produite par les émanations des différens fluides & par la vapeur du charbon. (Voyez Asphyxie) M. B.


Apoplexie des animaux. (Voyez Assoupissement)