Cours d’agriculture (Rozier)/ARACHIDE

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ARACHIDE, Arachis hypogœa. L. L’arachide est une plante herbacée de la famille naturelle des légumineuses, cultivée depuis long-temps en Asie, en Afrique, et en Amérique.

Sa racine est fibreuse et chevelue. Ses tiges sont communément couchées ; ses feuilles alternés et ailées, composées de quatre folioles en deux paires, dont une paire termine le pétiole commun de la feuille, et l’autre est située un peu plus bas. Chaque feuille est accompagnée à sa base d’une stipule qui se divise en deux lanières courtes et pointues. Des aisselles des feuilles sortent les fleurs papilionacées, seules ou par paires. On a cru remarquer qu’il n’y a que celles près de terre qui deviennent fertiles, et viennent à bien. Après la floraison, la gousse, qui est cartilagineuse, cherche à s’ensevelir dans la terre, sans se détacher de la plante. C’est dans cet état qu’elle reçoit son dernier accroissement, et que la graine mûrit. Cette gousse, arrivée à sa perfection, a un à deux pouces de longueur, sur quatre à cinq lignes de diamètre. Elle est presque cylindrique, et contient d’une à trois graines qui en remplissent la cavité.

Culture de l’arachide. Cette plante, étant indigène des pays chauds, n’est pas susceptible d’être naturalisée dans nos départemens septentrionaux ; ou du moins cette naturalisation ne pourra avoir lieu que successivement, et lorsque l’arachide se sera accoutumée aux intempéries des climats rigoureux sous lesquels on cherchera à l’introduire. La culture que nous avons faite de cette plante, aux environs de Paris, ainsi que les essais tentés par plusieurs cultivateurs, nous démontrent qu’elle ne peut être cultivée en plein air, sous un climat où la chaleur de l’été n’a pas un plus grand degré d’intensité qu’aux environs de Paris. Les succès qu’on a obtenus, dans le département des Landes, doivent faire présumer qu’elle réussira dans presque tous les départemens situes en deçà de la Loire, sur-tout dans les localités exposées au midi, et abritées du nord par des coteaux, ou par des montagnes.

Les sols tenaces et argileux ne conviennent pas à l’arachide. Elle demande une terre sablonneuse, légère, et bien divisée. La manière dont elle se reproduit, qui est presque l’unique de ce genre dans le règne végétal, indique qu’elle ne peut fructifier avec facilité, et par conséquent à l’avantage du cultivateur, si on ne la place dans un sol dont les parties aient peu d’adhérence entr’elles. L’arachide, ainsi que toutes les plantes légumineuses, pousse, après la floraison, une gousse qui contient le germe des semences que la nature destine à sa reproduction : mais, au lieu de prendre son accroissement et sa maturité à l’air, ainsi qu’il arrive dans les autres plantes, le pédoncule, qui d’abord soutenoit la fleur depuis la gousse qui succède à celle-ci, se recourbe vers la terre, et bientôt la gousse s’y enfonce, y prend accroissement, et y acquiert son degré de parfaite maturité. Si la terre sur laquelle la plante a été semée est trop argileuse ou trop tenace, la gousse ne s’y enfonce qu’avec difficulté ; elle est arrêtée dans sa marche ; et elle ne peut prendre tout le développement dont elle est susceptible ; et souvent même elle avorte sans donner de fruits.

On conçoit, d’après ces considérations physiques, qu’il est nécessaire de cultiver l’arachide sur un sol sablonneux, ou du moins sur une terre susceptible d’être bien divisée par des labours fréquens, et suffisamment profonds.

L’arachide se plaît sur un sol humide ; c’est pour cela qu’on doit établir sa culture dans des terres suffisamment humectées, à moins que l’agriculteur ne puisse venir au secours de la nature par des arrosemens artificiels.

La terre doit être fumée ; car, dans la culture de cette plante, ainsi que dans celle de toutes les autres, les récoltes sont toujours en raison de la quantité d’engrais répandus par les mains industrieuses du cultivateur. Le fumier doit être bien consommé ; et il y aura de l’avantage à le distribuer dans chaque trou, au lieu de l’enfouir en totalité sur toute la surface des champs.

On doit semer toutes les graines de l’arachide de la même manière qu’on sème les haricots dans plusieurs endroits ; c’est-à-dire, que l’on forme, avec un hoyau, des trous peu profonds, à la distance de trois décimètres, dans lesquels on jette deux ou trois graines, et qu’on recouvre, en poussant avec le plat de l’instrument une petite quantité de terre.

L’époque de la semaille doit être déterminée par celle où l’on présume que l’on n’a plus de gelées à craindre. L’arachide est extrêmement susceptible du froid. Si elle étoit atteinte par les gelées tardives du printemps, lorsqu’elle a jeté ses premières feuilles, elle périroit ; et avec elle s’évanouiroient les espérances du cultivateur imprévoyant.

On doit avoir soin, lorsque la plante commence à fleurir, de lui donner un binage, pour extirper les plantes parasites. Ce travail aura lieu dans le cas où les plantes parasites se multiplieroient trop, ou pousseroient avec trop de force. Lorsqu’on s’appercevra que la majeure partie des gousses a pénétré dans la terre, il est temps alors de buter chaque pied, et de recouvrir les gousses qui se seroient rapprochées du sol, mais qui cependant resteroient encore exposées à l’air.

Les ennemis que l’arachide a à redouter sont les mulots, les taupes, les vers, et en général tous les insectes qui attaquent les racines des plantes. Ils se portent de préférence sur celle-ci, parce que la gousse, qui croît sous terre à la manière des tubercules, est facilement entamée, et qu’elle contient une semence huileuse du goût de ces animaux.

La récolte de l’arachide doit être différée jusqu’au mois de novembre ; son fruit acquiert de la grosseur jusqu’à cette époque, sur-tout dans nos climats, où la végétation n’est pas aussi prompte que dans les pays où cette plante est indigène : d’ailleurs, on n’a pas à craindre qu’elle soit endommagée par les premiers froids de l’automne ; lorsque sa tige prendra une teinte jaune, ou qu’elle se fanera, on pourra commencer la récolte.

Cette récolte est facile ; elle s’effectue en prenant la fane d’une main, et la tirant à soi. Les gousses, fixées à la plante par les pédoncules, sortent de terre sans qu’il soit nécessaire de se servir d’un instrument pour les en retirer. On laisse sécher les pieds sur les champs, si le temps est beau ; ou bien on les porte sous des hangars ou dans des greniers, pour qu’ils puissent acquérir le dernier degré de siccité. On peut les conserver en les suspendant aux murailles, ainsi que nous l’avons vu pratiquer dans le royaume de Valence ; ou bien, on sépare les gousses de la tige, et on les entasse sur des planches jusqu’au moment où on veut employer les fruits pour la semaille, ou pour la fabrication de l’huile.

Propriétés économiques. Le succès qu’à eu en France la culture de l’arachide, depuis son introduction dans nos départemens méridionaux, donne lieu d’espérer que cette plante utile se propagera de plus en plus, et qu’elle remplacera très-avantageusement plusieurs semences oléagineuses qui ne produisent pas une aussi grande quantité d’huile, ni d’une qualité aussi bonne. Cette plante, dont l’huile peut être employée aux usages de la table, ainsi qu’à ceux des arts, mérite bien d’être propagée, surtout dans les départemens méridionaux, où la chaleur du climat n’est pas assez intense pou favoriser la culture des oliviers.

Comme l’introduction en France de l’arachide, ne date que de deux ou trois années, et que les avantages qu’on peut en retirer ne sont pas assez connus, nous allons exposer les usages auxquels elle peut être appliquée.

Les semences, communément au nombre de deux dans chaque gousse, donnent un aliment dont les Indiens du Mexique, et ceux de quelques autres parties de l’Amérique méridionale, font un assez grand usage. Ils les mangent crues, ou ils les font rôtir sur les charbons. Dans le premier état, elles ont un goût assez agréable, mais un peu âpre, et approchant de la saveur des haricots crus. La meilleure manière de les manger c’est de les passer au feu ; la cuisson leur enlève le goût de fruit qui déplaît aux personnes qui n’y sont pas habituées. On les met sous la cendre ; on les fait griller dans une poêle ; ou on les met, sans les séparer de leur gousse, dans un four chauffé modérément ; on peut les faire cuire dans l’eau, et le accommoder à l’huile ou au beurre, à la façon des graines légumineuses, ou même en faire de la purée : mais ces espèces de ragoûts ne plaisent pas à tout le monde.

La semence de l’arachide peut, après avoir été torréfiée et broyée, donner une boisson caféiforme, ainsi qu’on le fait avec plusieurs espèces de baies, de grains, etc. Ceci est une affaire de goût, et ne peut être prescrit comme un moyen supplémentaire, que d’après la position et les circonstances où chacun se trouve. On a même essayé d’en faire de la bouillie et du pain, en torréfiant légèrement le marc qui reste après l’extraction de l’huile et en y ajoutant une certaine quantité de farine de froment. Ces alimens ne conviennent guères que dans les temps de disette.

On peut en tirer parti en la soumettant à la torréfaction, et en l’apprêtant avec du sucre, ainsi qu’on le fait pour les amandes, les pistaches, et les pignons.

L’arachide peut suppléer avec avantage le cacao dans la confection du chocolat. Nous avons rapporté d’Espagne du chocolat fait avec un tiers d’arachide et deux de cacao ; nous en avons fait goûter à plusieurs personnes qui l’ont trouvé d’une bonne qualité, et n’ont remarqué aucune différence sensible, en le comparant au chocolat ordinaire. De toutes les substances qu’on a cherché jusqu’ici à substituer au cacao, dans la fabrication du chocolat, l’amande de l’arachide est indubitablement la plus convenable pour cet objet : on peut la faire entrer à moitié, ou dans des proportions plus ou moins grandes, selon les goûts, les besoins ou les vues économiques des consommateurs. On torréfie l’amande de l’arachide, on la broie, et on lui fait subir les mêmes préparations qu’au cacao. Comme elle a moins d’amertume que le cacao, elle exige par conséquent une moindre quantité de sucre.

Les usages économiques de l’arachide, dont nous venons de faire mention, ne sont en quelque sorte que secondaires, et ne présentent pas, à beaucoup près, des avantages aussi réels que ceux qu’on peut en retirer, en faisant servir son fruit à l’extraction de l’huile qu’il donne en abondance. Afin de le soumettre à cette opération, il est nécessaire de le séparer des gousses qui l’enveloppent. On peut employer à ce travail des enfans ou des femmes, dont la main-d’œuvre est toujours moins dispendieuse. Il sera encore plus économique, pour les personnes qui opéreront en grand, de se servir d’une machine construite à cet effet. M. Tabares, chanoine à Valence, en Espagne, qui le premier a cultivé l’arachide en Europe, a imaginé une machine que nous avons vue dans sa maison : elle est composée de deux cylindres cannelés, soutenus verticalement l’un sur l’autre, et contenus dans une caisse surmontée d’une trémie. Les cylindres, qui ont 4décimètres 6 centimètres (17 pouces) de long, et 15 centimètres (6 pouces) de diamètre, se meuvent ensemble par le moyen de deux roues d’engrenage, placées à leurs extrémités. On a adapté au dessous de chaque cylindre une cloison ou section longitudinale de tambour, formée de planches qui sont taillées en rainures dans la partie placée immédiatement au dessous des cylindres. Ces cloisons sont fixées aux deux parois opposées de la caisse dans leur partie supérieure, tandis que la partie inférieure passe au dessous des cylindres, un peu au delà de leur diamètre. Les gousses de l’arachide tombent sur la cloison supérieure ; elles vont aboutir au dessous du cylindre, où elles sont brisées entre ses cannelures et celles de la cloison ; elles se rendent ensuite sur la cloison inférieure, où elles subissent un second froissement par l’effet du cylindre inférieur.

Cette machine, qui pourroit être construite d’une manière plus simple et plus parfaite, écrase les gousses de l’arachide, de manière à en dégager l’amande. Plusieurs de ces amandes se trouvent brisées au sortir de la machine ; mais cela importe peu, puisqu’elles ne le sont pas assez fortement, pour que l’huile puisse en être extraite. On sépare les fragmens des gousses d’avec les amandes, en les soumettant au vannage, ainsi qu’on a coutume de le faire pour le cacao.

Lorsqu’on a écossé et vanné, les fruits d’arachide, on les fait passer sous une meule, afin d’en extraire l’huile, ainsi que cela se pratique pour les olives, ou pour les graines oléagineuses. On dit qu’on est dans l’usage, au Pérou, de les torréfier légèrement avant de les soumettre à la pression, et d’en extraire l’huile ; celle qui en provient alors doit avoir un goût particulier, et différent de l’huile ordinaire. Nous ne saurions dire laquelle des deux est préférable à l’autre, puisque nous n’avons point goûté celle que l’on obtient, après avoir torréfié les amandes. La manipulation est, dans ce dernier cas, plus dispendieuse, et l’on obtient une moindre quantité d’huile.

Après avoir trituré les semences sous la meule, et les avoir mises dans des sacs, on les soumet à l’action du pressoir. Si elles ont été parfaitement écrasées, une seule pression suffira pour extraire toute l’huile qu’elles contiennent ; mais il faudra, dans le cas contraire, les faire passer une seconde fois sous la meule, et puis sur le pressoir. On doit choisir un temps chaud pour faire l’extraction de l’huile ; car elle coule difficilement lorsqu’il fait froid ; et il n’est pas possible alors d’extraire toute celle que contient le fruit.

L’arachide donne en huile la moitié du poids des graines soumises à la pression ; le produit excède même quelquefois cette proportion, tandis que, dans d’autres circonstances, il lui est inférieur.

Lorsque l’huile d’arachide a été faite avec les soins qu’on doit apporter à ce genre de manipulation, elle a un goût assez délicat, et peut remplacer avec avantage toutes celles qu’on emploie aux usages de la table ; elle est cependant inférieure à l’huile d’olive. Il est difficile de lui enlever totalement une petite saveur de fruit, qui lui est propre, lorsqu’elle est récente, mais qui se dissipe néanmoins avec le temps. Au reste, cette saveur est insensible, lorsque l’huile est employée comme assaisonnement, et que sa fabrication est soignée.

L’huile d’arachide, d’après les expériences comparatives qui en ont été faites, paroit supérieure, dans l’usage des lampes, à toutes celles dont on se sert habituellement. Non-seulement elle donne une lumière plus vive, et elle produit moins de fumée que les huiles d’olives, de colza, de lin, de noix, etc., mais, à quantité égale, elle dure un plus long espace de temps. Elle est susceptible d’être employée dans les arts, sur-tout dans la fabrication du savon. Sa fane, ainsi que ses gousses, peuvent être données aux bestiaux comme un supplément de nourriture. (Lasteyrie.)