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Cours d’agriculture (Rozier)/AUBIER

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Hôtel Serpente (Tome secondp. 73-82).


AUBIER. Dans presque tous les arbres que l’on coupe horizontalement, l’on remarque une zone ou ceinture plus ou moins épaisse, plus ou moins dure, placée immédiatement après l’écorce, & qui va se terminer vers le cœur du bois, en acquérant progressivement plus de dureté ; c’est ce que l’on nomme aubier, & ce qui enveloppe le bois parfait. Il ne diffère, du vrai bois, comme nous le verrons bientôt, que par sa couleur, sa pesanteur, & sa densité.

Suivant Malphigi, le nom d’aubier lui a été donné à cause de sa couleur blanchâtre. Il est vrai que l’aubier de presque tous les arbres est blanc, & cette couleur le fait aisément distinguer du reste du bois qui a une nuance ou plus foncée ou différente. Que l’on jette un coup-d’œil sur des tronçons d’orme, de chêne, de sapin, d’ébène, de grenadille, &c, l’on sera frappé de cette différence. Cette couleur paroît lui être tellement propre, que les bois, dont la couleur est très-foncée, ne laissent pas d’avoir un aubier blanc ; l’ébène verte, dont le bois est d’un verd sombre, a l’aubier aussi blanc que celui du tilleul. C’est cette blancheur uniforme, qui a fait penser à quelques auteurs qu’il y avoit des arbres privés d’aubier ; tels que le peuplier, le tilleul, le tremble, l’aulne, le bouleau, &c. mais s’ils avoient considéré attentivement ces bois, ils auroient apperçu facilement une ceinture beaucoup plus blanche qui entoure le cœur du bois de ces arbres naturellement blancs. La dureté & la pesanteur, moindres que celles du cœur, assurent encore que la nature suit, dans l’endurcissement de ces arbres, la même marche que dans les autres.

Composé de vaisseaux lymphatiques ou fibres ligneuses, du tissu cellulaire qui, partant de la moelle, vient se perdre dans l’écorce en suivant une marche horizontale, de vaisseaux propres remplis d’une liqueur particulière, d’utricules où cette liqueur s’élabore ; enfin, de trachées par lesquelles l’air circule dans l’intérieur comme le reste du bois ; l’aubier n’en diffère donc pas essentiellement. Toutes les parties arrangées par couches, à-peu-près concentriques, autour du cœur de l’arbre, plus ou moins épaisses, paroissent & sont réellement destinées à devenir bois dur, compacte & solide, lorsque la dessiccation de la séve & le tems leur auront donné une plus grande densité.

Le but de la nature en formant l’aubier, est donc de le faire passer insensiblement à l’état de bois. Son but se remplit tous les jours, à chaque instant, à toutes les ascensions ou descentes de la séve. Chaque retour du printems voit naître une nouvelle couche solide, tandis qu’entre l’écorce & le bois il se forme une nouvelle couche d’aubier. L’homme industrieux, dont la vie trop courte ne lui donne pas le tems d’attendre la nature & de suivre sa marche insensible, a tenté d’accélérer son ouvrage & de convertir l’aubier en bois dur. Ses essais ont été couronnés d’heureux succès, & dans l’espace de deux ou trois ans, il fait ce que la nature ne fait pas dans le cours d’un siècle.

Comme nous considérons l’aubier en total, nous n’examinons pas comment il se forme couche par couche ; cette explication nous meneroit trop loin, & appartient plus particulièrement à l’article de la formation des couches ligneuses. (Voyez ce mot)

Si dans le tems de la séve l’on coupe un chêne, ou que dans les mois de Mai, Juin, Juillet, Août, on examine les souches de ces arbres qui ont été abattus dans l’automne ou l’hiver précédent, on voit sortir la séve, comme de sources abondantes, de tous les points de l’aubier ; elle ne paroît pas sortir de la surface du bois dur. Il est donc constant, d’après cette observation, que la séve monte & descend à travers l’aubier plutôt qu’à travers le bois dur. Il ne faut pas cependant croire que les principaux canaux qui servent à conduire la séve, ne se trouvent que dans l’aubier : ils existent dans le bois dur, puisque ce bois dur a lui-même été aubier quelques années auparavant ; mais ils y sont trop resserrés, desséchés & obstrués pour lui laisser un libre passage. Les couches ligneuses, plus écartées les unes des autres dans l’aubier que dans le bois dur, laissent les vaisseaux & les utricules dilatés au point nécessaire pour la circulation ; & l’état de l’aubier, rare, spongieux & élastique, la facilite singulièrement. C’est de cette mollesse & de cette flexibilité que dépend la vie du sujet ; car dès qu’elle cesse, que la rigidité s’empare des fibres ligneuses, que le desséchement devient général dans la couche, que la séve se condense dans les canaux & les utricules, l’endurcissement se forme, cette couche de bois meurt en quelque façon, & cette mort apparente la conduit à sa perfection, puisqu’elle la fait passer de l’état de bois tendre ou aubier, à celui de bois dur.

C’est à toutes ces causes réunies qu’il faut attribuer l’endurcissement progressif des couches de l’aubier. Cet endurcissement doit aller du centre à la circonférence, parce qu’à mesure qu’il se forme une nouvelle couche entre l’écorce & le bois, cette nouvelle couche presse vers l’intérieur, & pousse au centre de proche en proche ; de plus, la séve circulant plus librement & en plus grande abondance du côté de l’écorce, tient tous les vaisseaux dans un état de vie & de santé plus parfait, au-lieu que vers le centre, son mouvement, si toutefois il existe, est très-lent. Sa marche, gênée dans son cours, & par son peu de force, & par la rigidité des canaux qu’elle parcourt, lui permet de former partout des dépôts qui les obstruent de plus en plus, & de s’y condenser tout-à-fait. À ces causes il faut encore ajouter le degré de chaleur, infiniment moindre au centre de l’arbre que vers sa circonférence ; la chaleur extérieure de l’atmosphère, celle communiquée par les rayons du soleil, rendent la circulation de la séve plus active à la circonférence ; cette augmentation de mouvement produit celui de la chaleur ; ce nouveau degré dilate les couches les plus voisines ; celles-ci ne peuvent pas s’étendre sans comprimer celles du centre, & sans y gêner absolument la circulation des fluides nourrissans. Les utricules eux-mêmes, qui forment les séparations des couches, deviennent plus étroits par les dépôts, en tous sens, des sucs dont ils sont les réservoirs. Ces petites geodes se remplissent insensiblement, & confondent les couches les unes avec les autres.

Les arbres croissent en grosseur par l’addition des couches circulaires & concentriques qui se produisent entre l’écorce & le bois. Ainsi, de quelque côté que l’on compte ces couches, abstraction faite de l’aubier, le nombre sera toujours égal, si l’arbre est sain, & si quelques maladies ou des accidens ne l’ont pas altéré dans certaines parties. Il n’en est pas ainsi si l’on ne considère que l’aubier, & le nombre des couches n’est pas le même de tous les côtés ; leur grosseur n’est pas même égale. C’est à MM. de Buffon & Duhamel que nous devons une suite de recherches très-intéressantes sur ces objets, dont nous allons parcourir les résultats.

M. de Buffon ayant fait scier plusieurs chênes de quarante-six ans à deux ou trois pieds de terre, & ayant fait polir la coupe avec la plane, il remarqua que les couches annuelles d’aubier étoient plus nombreuses d’un côté que d’un autre, quoique les moins nombreuses fussent plus épaisses d’un sixième, d’un quart, & quelquefois du double que les plus nombreuses. On pouvoit compter six, sept, huit couches bien prononcées de plus d’un côté que de l’autre. Par exemple, un chêne de quarante-six ans environ, avoit d’un côté quatorze couches annuelles d’aubier, & du côté opposé il en avoit vingt ; cependant les quatorze couches étoient d’un quart plus épaisses que les vingt de l’autre côté.

Un autre chêne du même âge avoit d’un côté quatorze couches d’aubier, & de l’autre vingt-une ; cependant les quatorze étoient d’une épaisseur presque double de celles de vingt-une, &c.

Quoique nous ne parlions ici que du chêne, il est à présumer que tous les autres arbres sont dans le même cas.

Quelle peut être la cause d’un phénomène aussi singulier ? Pourquoi cette différence ? Qu’est-ce qui peut déterminer la transformation en bois des couches d’aubier d’un côté plutôt que d’un autre ? Est-ce l’influence du vent & des froids du nord, ou des chaleurs du midi, comme on l’a cru long-tems, & comme tant d’auteurs l’ont répété les uns après les autres ? Non, & il est même faux que l’excentricité des couches ligneuses s’éloigne plus du centre ou de l’axe du tronc de l’arbre du côté du midi que du côté du nord. On a proposé quelquefois ce phénomène aux voyageurs égarés dans une forêt, comme un moyen infaillible de s’orienter parfaitement & de retrouver sa route ; un voyageur qui n’auroit que cette ressource seroit bien à plaindre, car sur vingt arbres qu’il couperoit, il n’en trouveroit peut-être pas deux dont le rayon d’excentricité le plus long fût dans la même direction. M. de Buffon ayant fait couper dix chênes dans la force de l’âge, à un pied & demi de terre, en a trouvé quatre qui avoient plus grossi du côté du midi que du nord ; encore dans un, cet excès étoit absolument nul à trois pieds plus haut, trois où le côté nord l’emportoit, & trois l’orient. Il est à remarquer que cette supériorité n’étoit pas égale dans toute la tige. Ce que M. de Buffon avoit fait exécuter en Bourgogne, M. Duhamel l’a fait pareillement dans la forêt d’Orléans. En vain a-t-il cherché sur quarante arbres de quoi fixer ses incertitudes sur ce sujet, il a toujours vu que l’aspect du midi & du nord n’est point du tout la cause de l’excentricité des couches, & par conséquent de l’existence plus ou moins longue de celles de l’aubier.

Si l’exposition ne produit rien de sensible sur l’épaisseur des couches, c’est à l’insertion des racines & à l’éruption de quelques branches qu’il faut attribuer les différences que l’on rencontre. Cette découverte est due aux deux savans que nous venons de citer. Si l’on déracine un arbre, on remarquera toujours que le côté où existe la plus grosse racine est aussi celui où l’excentricité se fait remarquer, & où en même-tems l’aubier a moins de couches, mais où elles sont plus larges. Une forte branche qui détermine une affluence de séve plus abondante, produit le même effet. Voici une dernière observation de M. de Buffon, qui confirme absolument ce principe. Il choisit un chêne isolé, auquel il avoit remarqué quatre racines à-peu-près égales pour la force, & disposées assez régulièrement, en sorte que chacune répondoit à très-peu-près à un des quatre points cardinaux ; & l’ayant fait couper à un pied & demi au-dessus de la surface du terrain, il trouva, comme il le soupçonnoit, que le centre des couches ligneuses coïncidoit avec celui de la circonférence de l’arbre, & que par conséquent il étoit grossi de tous côtés également. Dans cet arbre l’aubier devoit avoir ses couches parallèles entr’elles.

La grande abondance de séve est une des principales causes qui fait que l’aubier se transforme en bois, & c’est d’elle que dépend l’épaisseur relative du bois parfait avec l’aubier dans les différens terrains & les différentes espèces. La séve en parcourant le tissu rare & spongieux de l’aubier, y dépose facilement les parties productrices du bois ; plus il arrivera de séve, plus le nombre de ses parties sera grand, & plus aussi l’aubier deviendra bois. Une grosse racine, une racine traçant dans une meilleure veine de terre, ou une grosse branche produisant une plus grande quantité de séve & de sucs, occasionnera des couches ou plus épaisses, ou plus dilatées, quoiqu’elles se durcissent plutôt. Telle est la cause simple du phénomène singulier où l’on voit que le côté de l’aubier qui a moins de couches est aussi celui où elles seront plus larges, & que l’épaisseur de l’aubier en général, est d’autant plus grande, que le nombre des couches qui le forment est plus petit.

La différence des terrains, bons ou maigres, influe nécessairement sur l’épaisseur de l’aubier ; on le sentira facilement d’après tout ce que nous venons de dire. M. de Buffon a encore confirmé ce principe par des expériences qui lui ont montré 1o. qu’à l’âge de quarante-six ans, dans un terrain maigre les chênes communs ou de gland médiocre, avoient 1 d’aubier & 2 + de cœur, & les chênes de petits glands 1 d’aubier & 1 + de cœur. Ainsi dans les terrains maigres les premiers ont plus du double de cœur que les derniers.

2o. Qu’au même âge, dans un bon terrain, les chênes communs avoient 1 d’aubier & 3 de cœur, & les chênes de petits glands 1 d’aubier & 2 de cœur ; ainsi dans les bons terrains les premiers ont un sixième de cœur plus que les derniers.

3o. Qu’au même âge, dans le même terrain maigre, les chênes communs avoient seize ou dix-sept couches ligneuses d’aubier, & les chênes de petits glands en avoient vingt-un ; ainsi l’aubier se convertit plutôt en cœur dans les chênes communs que dans les chênes de petits glands.

La différence relative de grosseur de l’aubier au cœur, n’est pas le seul objet intéressant que l’on doive connoître dans le bois ; la différence relative & proportionnelle de force, mérite aussi toute l’attention de celui qui veut tirer le parti le plus avantageux d’un tronc d’arbre. L’aubier n’étant qu’un bois imparfait, & n’ayant pas la même solidité, ne peut pas être du même usage ; cependant il n’est pas absolument à rejeter dans des ouvrages qui n’exigeroient pas une grande force.

La solidité & la force du bois paraît être en raison de sa pesanteur ; ainsi, toutes choses égales d’ailleurs, plus un bois est pesant, plus il est fort. L’aubier n’étant, pour ainsi dire, qu’un corps spongieux, dont l’intérieur n’est composé que de vaisseaux vides ou remplis d’air & de fluides, est nécessairement plus léger & moins pesant que le cœur du bois, & s’il est moins pesant, il est par conséquent moins fort. M. le comte de Buffon a fait un très-grand nombre d’expériences pour trouver le vrai rapport ; & le résultat est que des barreaux d’aubier d’un pouce d’équarrissage sur un pied de longueur, dont le poids moyen n’étoit que de six onces , ont rompu sous la charge moyenne de 629 livres, tandis que la charge moyenne pour rompre de semblables barreaux de cœur de chêne, s’est trouvée de 731 livres. L’aubier est donc d’environ un septième moins fort que le cœur de l’arbre. Plus on approchera de la circonférence & plus le bois sera tendre & foible.

C’est par une marche longue & insensible que la nature parvient à convertir l’aubier en bois solide. La condensation & le desséchement de la séve produisent cet effet. Il est un moyen de hâter cet instant & de rendre même l’aubier plus dur que le cœur du bois ordinaire ; c’est celui de dépouiller les arbres de leur écorce sur pied, un an au moins avant de les couper. Les anciens l’ont connu, puisque Vitruve dit, dans son Architecture, qu’avant d’abattre les arbres, il faut les cerner par le pied jusque dans le cœur du bois, & les laisser ainsi sécher sur pied, après quoi ils sont bien meilleurs pour le service, auquel on peut même les employer tout de suite. Evelin rapporte, dans son Traité des forêts, que le docteur Plot assure, dans son Histoire naturelle, qu’autour de Haffon, en Angleterre, on écorce les gros arbres sur pied dans le tems de la séve, qu’on les laisse sécher jusqu’à l’hiver suivant, qu’on les coupe alors ; qu’ils ne laissent pas de vivre sans écorce ; que le bois en devient bien plus dur, & qu’on se sert de l’aubier comme du cœur.

M. de Buffon a démontré jusqu’à l’évidence la vérité de ces faits. En 1733, le 3 mai, il fit écorcer sur pied quatre chênes d’environ trente à quarante pieds de hauteur, & de cinq à six pieds de pourtour, très-vigoureux, bien en séve, & âgés d’environ soixante-dix ans. Il fit enlever l’écorce depuis le sommet de la tige jusqu’au pied de l’arbre avec une serpe ; cette opération est très-aisée, l’écorce se séparant très-facilement du corps de l’arbre dans le tems de la séve. Ces chênes étoient de l’espèce commune dans les forêts qui portent le plus gros gland. Quand ils furent entièrement dépouillés de leur écorce, il fit abattre quatre autres chênes de la même espèce, dans le même terrain & aussi semblables aux premiers qu’il put les trouver. Il en fit encore abattre six & écorcer six autres. Les six arbres abattus furent conduits sous un hangar pour pouvoir sécher dans leur écorce & les comparer avec ceux qui en étoient dépouillés. Les arbres écorcés moururent successivement dans l’espace de trois ans. Dès la première année, M. de Buffon fit abattre, le 26 d’août, un de ces arbres morts. La coignée ne pouvoit l’entamer qu’avec peine. L’aubier se trouva sec, & le cœur du bois, humide & plein de séve, ce qui, sans doute, fut cause que le cœur parut moins dur que l’aubier. Tous les autres, au contraire, parfaitement desséchés, offrirent un aubier très-dur, & le cœur encore plus dur. Il fit scier tous ces arbres en pièces de quatorze pieds de longueur qui lui fournirent chacune une solive de même hauteur sur six pouces très-juste d’équarrissage. Il en fit rompre quatre de chaque espèce, afin de reconnoître leur force, & d’être bien assuré de la grande différence qu’il y trouva d’abord.

La solive tirée du corps de l’arbre qui avoit péri le premier après l’écorcement, pesoit 141 livres ; elle se trouva la moins forte de toutes, & rompit sous 7 940 livres.

Celle de l’arbre en écorce qu’il lui compara, pesoit 234 livres ; elle rompit sous 7 320 livres.

La solive du second arbre écorcé, pesoit 149 livres ; elle plia plus que la première, & rompit sous la charge de 8 362 livres.

Celle de l’arbre en écorce qu’il lui compara, pesoit 236 livres ; elle rompit sous la charge de 7 385 livres.

La solive d’un arbre écorcé qu’on avoit laissé exprès à l’injure du tems, pesoit 258 livres, & plia encore plus que la seconde, & ne rompit que sous 8 926 livres.

Celle de l’arbre en écorce qu’il lui compara, pesoit 239 livres, & rompit sous 7 420 livres.

Enfin la solive de l’arbre écorcé qui fut toujours jugé le meilleur, & qui mourut le plus tard, se trouva en effet peser 263 livres & porta avant que de rompre 9 046 livres.

La solive de l’arbre en écorce qu’il lui compara, pesoit 238 liv. & rompit sous 7 500 livres.

Les autres arbres se trouvèrent défectueux & ne servirent pas.

On voit déjà par ces épreuves, que le bois écorcé & séché sur pied, est toujours plus pesant, & considérablement plus fort que le bois gardé dans son écorce.

Deux solives pareilles tirées, l’une du haut de la tige de l’arbre écorcé & laissée aux injures de l’air, & l’autre d’un pied d’un des arbres en écorce, furent comparées ensemble. Tout l’avantage, & du poids & de la force, fut pour la première, malgré des défauts assez considérables qu’elle avoit. Elle pesoit 75 livres, & ne rompit que sous l’effort de 12 745 livres, tandis que l’autre ne pesoit que 72 livres, & rompit sous la charge de 11 889 liv.

Ce qui suit est encore plus favorable.

De l’aubier d’un des arbres écorcés, M. de Buffon fit tirer plusieurs barreaux de trois pieds de longueur, sur un pouce d’équarrissage, entre lesquels il en choisit cinq des plus parfaits pour les rompre : leur poids moyen étoit à peu près de 23 onces , & la charge moyenne qui les fit rompre à peu près de 287 livres. Ayant fait les mêmes épreuves sur plusieurs barreaux d’aubier d’un des chênes en écorce, le poids moyen se trouva de 23 onces  ; & la charge moyenne de 248 livres ; & ayant fait ensuite la même épreuve sur plusieurs barreaux de cœur du même chêne en écorce, le poids moyen s’est trouvé de 25 onces , & la charge moyenne de 256 livres.

Ceci prouve que l’aubier du bois écorcé, est non-seulement plus fort que l’aubier ordinaire, mais même beaucoup plus que le cœur de chêne non écorcé, quoiqu’il soit moins pesant que ce dernier.

Deux autres épreuves confirmèrent encore cette vérité, & même les différences furent bien plus considérables dans la seconde, puisque une solive d’aubier d’un arbre écorcé rompit sous le poids moyen de 1 253 livres, tandis qu’une autre, tirée d’un arbre non écorcé, se brisa sous la charge moyenne de 997 liv.

Il faut donc conclure des expériences de ce savant naturaliste, que l’aubier des arbres écorcés & séchés sur pied, est non-seulement beaucoup plus pesant & plus fort que l’aubier des bois ordinaires, mais même qu’il l’est plus que le cœur du meilleur bois.

Il faut remarquer que dans ces expériences la partie extérieure de l’aubier est celle qui résiste davantage, en sorte qu’il faut constamment une plus grande charge pour rompre un barreau d’aubier pris à la dernière circonférence de l’arbre écorcé, que pour rompre un pareil barreau pris au-dedans ; ce qui est tout-à-fait contraire à ce qui arrive dans les arbres traités à l’ordinaire, dont le bois est plus léger & plus foible à mesure qu’il est plus près de la circonférence.

La cause physique de cette augmentation de solidité & de force dans le bois écorcé sur pied, est facile à saisir. L’aubier, comme nous l’avons vu, se forme & augmente en grosseur par les couches additionnelles qui se forment entre l’écorce & le bois ancien ; l’écorce est absolument nécessaire à cette création, car l’écorce détachée, il ne se forme plus de nouvelles couches ; l’arbre peut vivre, jusqu’à un certain point, après l’écorcement, & croître même en hauteur, mais non pas en grosseur. Toute la substance destinée à produire le nouveau bois, se trouve arrêtée par la solution de l’écorce ; les canaux qui servoient à la conduire du haut en bas & de bas en haut, n’existant plus, elle est contrainte de se fixer dans tous les vides de l’aubier, de replier jusque dans le cœur de l’arbre. Elle s’y condense, ce qui en augmente nécessairement la solidité, & doit par conséquent augmenter la force du bois ; car, comme l’a très-bien démontré M. de Buffon, la force du bois paroît être en raison de sa densité & de sa pesanteur.

C’est donc à l’interception & à la condensation de la séve qu’il faut attribuer l’endurcissement de l’aubier. Dans les arbres entiérement écorcés, il ne devient si dur que parce qu’étant plus poreux que le bois parfait, il tire la séve avec plus de force & en plus grande quantité. L’aubier extérieur la pompe plus puissamment que l’aubier intérieur ; tout le corps de l’arbre tire jusqu’à ce que les tuyaux capillaires se trouvent remplis & obstrués ; il faut une plus grande quantité de portions fixes de la séve pour remplir la capacité des larges pores de l’aubier, que pour achever d’occuper les petits interstices du bois parfait ; mais tout se remplit à peu près également, & c’est ce qui fait que dans ces arbres la diminution de la pesanteur & de la force du bois depuis le centre à la circonférence, est bien moins considérable que dans les arbres revêtus de leur écorce. Ceci prouve en même-tems, que l’aubier de ces arbres écorcés, ne doit plus être regardé comme un bois imparfait, puisqu’il a pris en une année ou deux, par l’écorcement, la solidité & la force qu’autrement il n’auroit aquise qu’en douze ou quinze ans ; car il faut à peu-près ce tems dans les meilleurs terrains, pour transformer l’aubier en bois parfait. On ne sera donc pas contraint de retrancher l’aubier, comme on l’a toujours fait jusqu’ici, & de le rejetter : on emploiera les arbres dans toute leur grosseur, ce qui fait une différence prodigieuse, puisque l’on aura souvent quatre solives dans un pied d’arbre, duquel on n’auroit pu n’en tirer que deux ; un arbre de quarante ans, pourra servir à tous les usages auxquels on emploie un arbre de soixante ans ; en un mot, cette pratique aisée donne le double avantage d’augmenter, non-seulement la force & la solidité, mais encore le volume du bois.

L’écorcement, tel que nous venons de le décrire d’après M. de Buffon, produiroit donc un grand bien s’il étoit adopté, sur-tout pour les arbres destinés à être employés en poutre & en solive. L’expérience le confirme journellement, & montre que des pièces de charpente faites avec du bois écorcé sur pied, se conservent mieux, & ne sont pas sujettes à se déjetter, à se travailler, autant que les autres.

Presque tous les arts dans lesquels le bois entre comme matière principale, en tireroient de très-grands avantages, sur-tout l’art du charpentier & du constructeur. Il est bon de remarquer aussi que l’aubier tendre est singuliérement sujet à être attaqué par un vers connu sous le nom de tarière ; on n’auroit plus à craindre cet inconvénient, ou du moins, ce vers ne feroit pas autant de ravage sur du bois écorcé. Sa dureté, & sa densité seroient des obstacles que cet inseste destructeur surmonteroit difficilement.

On remarque quelquefois dans un arbre que l’on vient de couper deux zones ou ceintures blanches autour du cœur ; elles sont séparées l’une de l’autre par quelques couches ligneuses, de façon qu’il paroît exister deux aubiers. Cet accident est connu sous le nom de faux aubier ; il est produit par les grandes gelées, comme M. de Buffon s’en est assuré. Voyez Faux Aubier, où nous expliquerons les accidens divers qui concourent à produire ce phénomène singulier.