Cours d’agriculture (Rozier)/CANCER, CARCINOME

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Hôtel Serpente (Tome secondp. 548-550).


CANCER, CARCINOME, Médecine rurale. On appelle cancer, une tumeur dure, inégale, livide, environnée de vaisseaux gonflés, qui représentent à peu près les pattes d’une écrevisse, d’où le cancer a pris son nom. Les anciens ne connoissoient le cancer que sous le nom de carcinome.

Le cancer se divise en cancer occulte, & en cancer ulcéré.

Le premier commence à se former par un engorgement de la grosseur d’un pois, ou d’une noisette ; puis il croît même assez promptement, il devient très-douloureux.

Le second est un ulcère sordide, fœtide, inégal, noirâtre, dont les bords sont durs, gonflés, renversés, & versent une liqueur sanieuse de l’odeur la plus infecte.

Le cancer attaque toutes les parties du corps, mais sur-tout les mamelles, les aisselles, les parotides, les nez, les lèvres, les jambes, (alors on le nomme loup) les parties naturelles, la matrice & l’anus ; les femmes en sont plus communément attaquées que les hommes.

Cette maladie horrible, & qui, jusqu’à nos jours, a éludé toutes les ressources de la médecine, n’est que le dernier degré de l’obstruction, & du squirre, comme la gangrène est le dernier degré de l’inflammation. Voyez les mots Obstruction & Squirre, afin d’avoir un tableau fidèle de la marche de cette désastreuse maladie.

Toutes les causes qui font naître l’obstruction & le squirre, donnent naissance au cancer. Un coup reçu sur une partie glanduleuse, comme le sein sur-tout, fait naître un engorgement dans les glandes de cette partie, obstruction, squirre, & enfin le cancer. « Les femmes qui ont abusé des plaisirs de l’amour, & celles qui en ont été entiérement privées, sont plus exposées que toutes les autres aux cancers de la matrice ». Dans l’âge où les règles cessent de couler, les passions vives, portées au plus haut degré, & les chagrins, disposent à cette maladie, plutôt qu’à toute autre. « Il n’est pas rare de voir périr d’obstruction & de squirre, ces animaux ailés, que pour satisfaire à nos légers plaisirs, nous privons du plus précieux de tous les dons du ciel, de la liberté ».

Le cancer est une maladie d’autant plus grave, « que le malade traîne une vie malheureuse dans les plus horribles souffrances, & expire dans les angoisses de la douleur, sans trouver d’autre allégeance à ses maux que l’opium ».

Des ignorans, ou des gens de mauvaise foi, ont voulu plus d’une fois en imposer au peuple, en prétendant avoir trouvé le spécifique de cette maladie cruelle : abusés par les promesses consolantes de ces vils charlatans, les malades ont ajouté à leurs maux, le dégoût des remèdes empoisonnés de ces gens avides, sans éprouver le plus léger adoucissement à leurs souffrances. Ces ignorans prétendent cependant avoir guéri des cancers, & ils citent même les personnes qui, traitées par leurs secrets, confessent avoir été délivrées d’un cancer. Le peuple, qui croit sans réfléchir, vante ces prétendues guérisons de cancer, & le remède devient célèbre.

Le plus léger examen suffit pour détromper ceux qui ont quelques notions dans cette partie : on guérit des engorgemens aux glandes en faisant usage de fondans appropriés. Ces cancers, dont parlent les charlatans, n’étoient que des engorgemens qui auroient pu dégénérer en cancer ; & ils prétendent posséder même exclusivement le secret admirable de combattre ce fléau. Mais l’enthousiasme ne règne qu’une espace de tems limité, & on replonge bientôt dans les ténèbres de l’oubli le remède héroïque & son auteur.

Les gens instruits & raisonnables ne suivent pas cette marche ; ils observent les progrès du mal, les effets des différens remèdes qu’ils emploient, & donnent modestement le résultat de leurs observations. L’illustre M. Stork a trouvé dans la ciguë, prise en poudre ou en extrait, le seul remède qui jusqu’à présent ait obtenu, sinon des succès constans, du moins des adoucissemens.

Il est prouvé que dans le premier degré du cancer, la ciguë prise intérieurement, & mêlée au mercure, qu’on applique aussi à l’extérieur, a quelquefois guéri, & très-souvent soulagé. Nous parlons du cancer occulte & peu douloureux.

Dans les engorgemens des glandes qui peuvent dégénérer, & qui souvent dégénèrent en cancer, l’usage de la ciguë mêlée au mercure, prise intérieurement, & des frictions mercurielles sur la glande, a été suivi de succès, comme nous l’avons observé plus d’une fois ; mais le traitement est long. Il faut donner l’extrait de ciguë par grains les premières fois, & augmenter graduellement les doses.

Si ce remède ne réussit pas, il faut, sans tarder & pour éviter le cancer, extirper la glande par le moyen du fer ; quelquefois le mal renaît de ses cendres, & il faut, pour s’opposer à sa renaissance, ouvrir plusieurs cautères, pour donner issue à la matière, principe de ce mal, & pour la détourner de lieux où elle a déjà porté ses ravages.

Il est d’observation que les bains tièdes, & que tous les remèdes adoucissans font dégénérer une tumeur glanduleuse en cancer.

Si l’on tarde à faire l’opération, la tumeur s’ouvre, les bords de la plaie se renversent, se déchirent, les hémorragies suivent, la sanie la plus infecte coule de ces bords déchirés & renversés, la fièvre hectique s’empare du malade, il est accablé par les douleurs les plus atroces, & il expire au milieu des plus affreux tourmens.

Dans cette horrible position, tous les secours humains se taisent, il ne reste qu’à engourdir les douleurs du patient. Pour cet effet, on applique sur la plaie des cataplasmes de carottes râpées, qu’on a besoin de renouveler souvent ; ils absorbent la sanie âcre qui coule de tous les points de la plaie, & on donne de l’opium à grande dose au malade, on l’en nourrit même, si nous osons le dire.

Nous devons prévenir nos lecteurs en finissant cet article, que les vapeurs infectes qui s’élèvent d’un cancer ouvert sont très-pernicieuses pour les personnes qui, par un zèle respectable, s’occupent à soulager ces malheureux en prêtant leurs mains à leur pansement ; la phthisie a souvent été la suite de ce zèle charitable.

Comme de toutes les maladies qui affligent l’humanité, le cancer est, sans contredit, la plus affreuse, par les tourmens inouis dans lesquels ces tristes victimes languissent, nous croyons qu’il seroit de la sagesse du gouvernement de confier à des gens sages & éclairés l’examen des remèdes connus, & des remèdes nouveaux pour combattre ce fléau ; peut-être seroit-on assez heureux pour le détruire, ou du moins pour en arrêter les progrès. Nous partageons ces vœux avec tous les citoyens respectables, & avec tous les amis de l’humanité souffrante. M. B.