Cours d’agriculture (Rozier)/CHARBON DE BOIS

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CHARBON DE BOIS. Il faut distinguer le charbon de la braise. Pour faire de la braise, on se contente de brûler le bois jusqu’à ce que, ne répandant presque plus de fumée, il soit en partie consume ; alors on supprime subitement la communication de l’air qui est nécessaire pour alimenter le feu, soit en couvrant les parties embrasées avec une cloche de métal, soit en le renfermant dans des boîtes de tôle, qu’on nomme étouffoirs ; le feu s’étein, et il reste une substance noire, légère poreuse, très-aisée à embraser, et qui se consume promptement sans presque former de fumée, et sans produire une chaleur vive.

Il y a deux grands défauts dans la manière de faire cette espèce de charbon : premièrement, on dépense beaucoup de bois pour obtenir peu de charbon ; secondement, ce charbon est très pourvu de parties inflammables ; ce qui fait qu’il se réduit promptement en cendres, sans produire beaucoup de chaleur. L’industrie des charbonniers consiste donc à remédier à ces inconvéniens.

Le bon charbon répand, en s’embrasant, une vapeur très-pernicieuse, et capable de suffoquer les animaux qui respirent l’air qui en est chargé. La braise n’est pas aussi dangereuse ; mais elle l’est assez pour qu’on doive en éviter les effets.

Le charbon bien cuit et bien sec ne fume presque pas ; il jette peu de flamme ; mais il peut être pénétré plus vite par le feu que le bois, qui s’y est ouvert des passages de toutes parts en chassant l’humidité. On reconnoît le charbon bien fait, lorsqu’on voit s’élever du brasier une petite flamme bleue ou violette.

L’utilité du charbon de bois n’est pas un problème ; non seulement on le brûle dans les cuisines, mais on ne peut s’en passer dans quantité d’arts, puisqu’il est d’une absolue nécessité pour l’exploitation des mines. La consommation en est très-considérable ; car un fourneau de forge consume chaque jour environ huit mesures de charbon appelées bannes. Il faut quatre cordes de bois pour faire une banne de charbon ; ainsi, un seul fourneau brûle, chaque jour, la valeur de trente-deux cordes de bois ; et, sur ce pied, un fourneau consume par an onze mille six cent quatre-vingt cordes de bois. Or, un arpent de taillis en coupe de vingt ans ne donne, à chaque coupe, qu’environ trente-six cordes de bois. Ainsi une forge consume plus de bois qu’il n’en faut pour chauffer deux petites villes.

On peut faire du charbon avec toutes sortes de bois ; mais sa qualité varie selon les espèces de bois. Le charbon de bois dur donne beaucoup de chaleur ; mais il est sujet à pétiller ; ce qui peut avoir des inconvéniens : on préfère, en général, dans les usines, le charbon de bois tendre ; celui de bois blanc s’emploie dans la fabrication de la poudre.

On se sert, pour faire le charbon, de rondins de six à douze pouces de circonférence : tels sont ceux que produisent les taillis de dix-huit à vingt ans. Si le bois étoit trop gros, il faudroit le fendre ; ce qui augmente la dépense. Il y a plus de profit à exploiter le gros bois en bois de charpente, ou en bois de corde ; les branches servent à faire le charbon.

Le bois que l’on veut convertir en charbon ne doit être ni trop vert, ni trop sec : on est dans l’usage, lorsqu’il est abattu, de le laisser pendant un an dans la vente, ou dans l’ourdon. On le coupe de deux ou deux pieds et demi de longueur, lorsqu’il est destiné à faire le charbon pour les forges, et de deux pieds et demi ou trois pieds, pour l’usage ordinaire.

Les charbonniers appellent place à charbon, fosse à charbon, ou faulde, les lieux ou ils asseoient leurs fourneaux ; ils nomment fourneaux la pile de bois arrangée comme elle doit l’être pour en faire du charbon. Quand la pile n’est que commencée, ce n’est pas un fourneau, c’est une alumelle. Cuire le charbon, c’est brûler le bois au point où il doit l’être pour en faire du charbon.

Nous n’entrerons point ici dans le détail de la construction du fourneau ; la manière d’arranger le bois autour d’une perche placée au centre du fourneau est fort bien entendue pour faciliter l’action du feu dans toute la pile du bois rangé par étages, un peu obliquement vers le centre ou la perche. On met ordinairement quatre étages de bois, qui forment un cône. Un fourneau contient communément trente à quarante cordes de bois de jeunes taillis, et cinquante à soixante cordes de gros bois fendu : il y a plus d’avantage à faire de grands fourneaux, qu’à en faire de petits.

Lorsque le bois du fourneau est arrangé, on le bauge, c’est-à-dire qu’on le couvre de terre, ou de cendres ; on emploie à cet usage la terre qui se trouve aux environs du fourneau, qu’on a soin d’établir dans un endroit qui ne soit ni sablonneux, ni pierreux. Lorsque le fourneau est baugé, on y met le feu, et la fumée sort par une ouverture qu’on a eu soin de ménager au haut du cône. Le charbonnier sait, par l’expérience, le moment où il faut fermer cette ouverture ; sans cette précaution, le bois se convertiroit en cendres : c’est ordinairement au bout de dix, douze, ou quinze heures après que le feu a été mis au fourneau. Il ferme aussi celle par laquelle on a introduit le feu dans le bas du fourneau ; et, comme il faut cependant donner de l’air au fourneau, le charbonnier en perce la bauge avec le manche de sa pelle, dans dix ou douze endroits, vers le bas, qui est la partie du fourneau la moins échauffée.

Les raisons des pratiques que suivent les charbonniers, dans la construction de leur fourneau, et dans leur manière de conduire le feu, se présenteront d’elles-mêmes à ceux qui voudront considérer que, pour convertir le bois en charbon, il faut dissiper l’humidité du bois, et mettre en fusion sa partie grasse et inflammable qui ne s’échappe pas avec l’humidité ; il ne s’agit donc que de faire brûler le bois en partie. Or, pour brûler le bois jusqu’au point convenable, il faut commencer par établir, au centre du fourneau, un brasier considérable, et être ensuite maître de porter successivement l’action du feu aux différentes parties du fourneau, de façon qu’il n’agisse sur le bois qu’autant qu’on le juge à propos. On n’est pas maître d’arrêter ni de graduer l’action du feu, quand elle s’exerce sur un monceau de bois qui brûle en plein air ; mais la terre qui couvre le fourneau, fait que l’ouvrier conduit le feu comme il lui plaît, et qu’il l’arrête quand il veut. Veut-il ralentir son action d’un côté du fourneau, et l’exciter du côté opposé ? il n’a qu’à boucher les trous ouverts, et en ouvrir de nouveaux de l’autre côté. Mais, pour porter ainsi l’action du feu dans les différentes parties, il étoit nécessaire d’avoir un grand brasier au centre du fourneau : c’est ce qu’on s’est procuré en laissant d’abord l’ouverture du sommet du cône libre un assez long espace de temps. Voilà toute la théorie de l’art du charbonnier.

Un grand fourneau de charbon est ordinairement en feu six à sept jours, et un petit trois ou quatre, avant que le bois soit suffisamment cuit : alors, on bouche tous les trous du fourneau, et on charge de nouveau la chemise du fourneau de nouvelle terre, ou de fraisil, afin que le feu s’éteigne par-tout. Lorsque le charbonnier juge que le feu est éteint partout, pour précipiter le refroidissement du charbon, il le découvre avec précaution, de peur que, s’il se trouvoit encore du feu, il ne se rallumât. On tire alors le charbon pour dire transporté aux forges, ou dans les villes.

Le bon charbon de bois doit être léger, sonore, en gros morceaux brillans, qui se rompent aisément. On estime celui qui est en rondins, et qui ne reste pas chargé d’une grosse écorce. Le charbon se conserve très-bien dans les caves, et même mieux que dans les lieux secs, où, il se brise en petits morceaux.

Les qualités que nous venons d’indiquer conviennent au charbon, à quelque usage qu’on le destine ; et ses avantages sur le bois sont de faire un feu assez vif et réglé, sans répandre de fumée ; ce qui le rend nécessaire dans les cuisines pour allumer les fourneaux sur lesquels on fait des ragoûts.

Les deux meilleures qualités du charbon destiné aux forges et aux fourneaux sont de chauffer beaucoup, et d’être doux, c’est-à-dire de rendre le fer doux ; car il y a des charbons qui font le fer aigre ; et c’est une vérité reconnue, que la qualité du charbon influe sur celle du métal. Malheureusement, les deux qualités de chauffer beaucoup, et d’être doux, vont rarement ensemble : ainsi le charbon de bois blanc est assez doux, mais il chauffe peu ; celui de bois dur, tel que le chêne, donne beaucoup de chaleur, mais on pense qu’il est aigre. En général, le charbon fait avec de jeunes taillis de chêne est plus doux que celui qui est fait avec des branchages, ou de vieux chênes refendus.

On a publié, en 1801, une nouvelle manière de carboniser le bois par des fourneaux, à peu près de la même manière dont on carbonise, en Angleterre, le charbon de terre ; elle est due à M. Brune, propriétaire des forges de Sorel, près de Dreux, département d’Eure-et-Loir. Nous ne décrirons pas ici la forme des fourneaux ; nous nous contenterons de rendre compte du procédé intéressant employé par M. Brune. L’avantage que présente sa méthode, c’est de ne laisser ni fumerons, ni cendres dans la fabrication ; une corde de bois rend le double de charbon obtenu par l’ancienne méthode, et trois jours suffisent à sa confection.

Voici les moyens employés par l’auteur, d’après le rapport qui en a été fait au Conseil des Mines par MM. Blavier et Brochan, nommés commissaires par le Gouvernement, qui a accordé un brevet d’invention à M. Brune,

On creuse une fosse de quinze à dix-huit pouces de profondeur ; on lui donne un diamètre égal à celui que doit avoir la base des fourneaux : cette fosse est recouverte de feuilles de tôles rivées les unes sur les autres, et supportées par un châssis composé de quelques barreaux de fer ; on a soin de bien luter les parties qui ne seroient pas suffisamment jointes.

Sur ce plan de tôle, on prépare le fourneau de la même manière que dans le procédé généralement usité, c’est-à-dire qu’un prisme triangulaire, composé de bûches couchées, bout à bout, les unes sur les autres, forme le noyau autour duquel on dresse le bois, dont l’assemblage donne un cône tronqué, comme nous l’avons dit plus haut : mais ce prisme creux qui, dans les fourneaux ordinaires, fait fonction de cheminée, ne remplit pas ici le même but ; car son intérieur est garni de bûches dressées verticalement dans toute la hauteur de l’appareil.

Le fourneau ainsi disposé, ayant ou devant avoir pour base une surface égale à celle que présente la tôle, on le recouvre de feuilles, et d’une légère couche de braisil mêlé de terre.

Outre l’ouverture qui donne accès dans la fosse servant de foyer, on fait deux ou trois soupiraux qui communiquent de l’intérieur de la fosse au dehors du fourneau. L’un de ces soupiraux est directement opposé à l’ouverture principale, et les deux autres sont à égale distance du premier et de cette ouverture principale. On place au centre de la fosse deux petits fagots formés de menus branchages, auxquels on met le feu.

Les expériences qui ont été faites, à Paris, par les commissaires dénommés plus haut, ont donné pour résultat un produit, en charbon, double de celui qu’on obtient de l’ancienne méthode, le charbon ayant aussi plus de poids, et étant de meilleure qualité.

Il suit de ce détail, que les propriétaires de forges peuvent réduire à moitié les frais de leur consommation de bois, de manière que, s’ils employoient annuellement, pour la fabrication, dix mille cordes, ils la réduiront à cinq mille environ, et l’on aura le même résultat, et la même quantité de fer.

Les frais de construction ne doivent pas arrêter ceux qui voudroient adopter cette méthode ; car on observera, 1o . qu’un fourneau qui carbonise actuellement quatre cent cinquante cordes de bois, avec lesquelles on produit deux mille quatre cents sacs de charbon, n’excède pas, en frais de matière et de fabrication, la somme de 130 francs ; 2o . que ce même fourneau n’est sujet à aucun entretien, et se transporte, sans aucun embarras, de ventes en ventes, pour la confection du charbon ; 3o . que sa durée doit être de trente ans, et au delà.

Ce n’est pas sans raison qu’on se plaint de l’énorme consommation de bois qui menace la France d’une disette prochaine : aussi les découvertes qui tendent à économiser les combustibles n’ont elles jamais excité plus d’intérêt qu’aujourd’hui. C’est ce qui nous a engagés à consigner ici le procédé de M. Brune, en faisant des vœux pour le voir adopter généralement. (Cotte.)