Cours d’agriculture (Rozier)/CHASSE

La bibliothèque libre.
Marchant (Tome onzièmep. 342-355).


CHASSE. Les peuples sauvages ou à demi-civilisés ne chassent que par besoin ; les peuples policés chassent par amusement : les premiers mettent en usage les moyens les plus simples et les plus prometteurs pour se procurer la quantité de gibier nécessaire à leur subssistance ; les seconds prolongent un exercice qui leur plaît, font naître des difficultés, pour se donner le plaisir de les vaincre, s’environnent d’un grand appareil, et ont fait de la chasse un art et, presque une science qui a ses élémens, ses règles, son langage et son luxe. Chez les uns, surprendre et mettre à mort les animaux sauvages est le seul but de la chasse ; chez les autres, tuer le gibier paroît souvent ignoble : on l’attaque, on le poursuit, ou démêle et l’on tronpe ses ruses, ou ne le quitte point, quelque rapide que soit sa course, on le presse pendant des heures et des journées entières, jusqu’à ce qu’excédé de fatigue, il cesse de fuir, tombe et expire de lassitude. À considérer philosophiquement ces deux manières de chasser, certes, l’avantage n’est pas du côté de l’homme civilisé, à qui l’on seroit en droit de reprocher un excès d’insensibilité, un raffinement de barbarie que ne montre point l’homme de la nature ; mais de pareils rapprochemens n’entrent pas dans le plan de cet Ouvrage, et je n’ai point à faire ici ni l’éloge, ni la satire de la chasse.

Le goût de la chasse est aussi généralement qu’anciennement répandu ; l’histoire nous représente les peuples de l’antiquité passionnés pour cet exercice. Xénophon composa les Cynégétiques, afin de rappeler les Athéniens, épuisés par la guerre du Péloponèse, à ce goût de la chasse qui avoit signalé leurs aïeux, et de les tirer de la léthargie dans laquelle ils étoient plongés ; mais alors c’étoit moins un simple amusement qu’un apprentissage du métier des armes, qu’une véritable image de la guerre. À Rome, la chasse étoit en grande estime ; on la regardoit comme un exercice noble et glorieux, qui contribue à la santé, même à la réputation.

Romanis solemne viris opus, utile famæ
Vitæque et membris, etc.

Horat. Epist. xviii, Lib. i.

« C’étoit autrefois, dit Pline, avec son éloquence ordinaire, dans le Panégyrique de Trajan, le plus doux plaisir de la jeunesse, de poursuivre à la course les bêtes fugitives, de vaincre par la force les plus courageuses, de surprendre par adresse les plus rusées ; et on ne remportoit pas peu de gloire pendant la paix, quand on savoit éloigner des campagnes les bêtes féroces, et mettre les laboureurs à couvert de leur irruption. Ceux mêmes d’entre les princes qui pouvoient le moins prétendre à cette sorte d’honneur, ont voulu se l’attribuer. Ils faisoient renfermer des bêtes fauves, et après qu’une partie de leur férocité avoit été domptée, on les lâchoit, et on se moquoit de ces empereurs qui tiroient vanité d’une fausse adresse quand ils les avoient tuées. Trajan joint la peine de les chercher à celle de les prendre ; et le plus grand, le plus agréable plaisir pour lui, c’est de les trouver. »

Nos aïeux ne le cédèrent ni aux Grecs, ni aux Romains, dans l’amour de la chasse ; ce fut, après la guerre, celui de tous les exercices dont les anciens Français s’occupèrent le plus, et ils passèrent pour la nation qui possédoit le mieux cet art : Vix ulla in terris natio quæ, in hac arte Francis possit æquiparari, disoit Eginard. Aussi faisoit-on entrer dans l’éducation des princes et des grands, comme un des principaux objets d’enseignement, l’art d’élever, de dresser et de se servir des chiens et des oiseaux de chasse. Nous avons de très-bons traités sur ces matières, composés en notre langue, dès le seizième siècle. Un Milanais, Guillaume Botta, écrivit, en 1250, un ouvrage fort étendu sur la chasse, qu’il dédia à Charles d’Anjou, comte de Provence. Les livres sur le même sujet se sont multipliés depuis ces époques reculées, jusqu’à nos jours, et leur nombre prouveroit, si nous ne le savions d’ailleurs, que le goût de la chasse n’a pas cessé d’être dominant chez les Français. On peut se rappeler que la chasse faisoit l’occupation la plus sérieuse de la plupart des seigneurs de campagne, auxquels on donnoit plaisamment le sobriquet de gentilshommes à lièvre, ou de hobereau, du nom d’un oiseau de proie, grand destructeur de gibier. Avec quelle chaleur ne racontoient-ils pas les peines qu’ils avoient prises, les marches et contre-marches que les ruses d’un animal fugitif les avoient forcés de faire, les événemens imprévus qui les avoient mis en défaut, le plaisir qu’ils avoient éprouvé en faisant tomber la proie sous leurs coups, ou le dépit de n’avoir pu s’en emparer ! Si leurs récits n’étoient pas toujours exempts de l’exagération, qui a fait plus d’une fois douter de la véracité des chasseurs, ils montroient du moins que la chasse passoit pour une affaire de grande importance, et capable d’exciter l’enthousiasme.

Dans les pays d’Europe où il reste des traces du régime féodal, l’exercice de la chasse n’appartient qu’à la noblesse ; c’est un des privilèges dévolus à cet ordre de citoyens, vraisemblablement comme une récompense des services militaires rendus à l’État. Il en étoit de même en France avant la révolution qui, en ébranlant les masses énormes, antiques soutiens de la monarchie, a occasionné un bouleversement général, dont les commotions se sont fait sentir au loin. La tyrannie vraiment barbare que les chasseurs privilégiés exerçoient envers les chasseurs clandestins, et qu’étayoit une législation odieuse, fut renversée dès les premiers instans de cette grande catastrophe politique, qui ne se présenta d’abord que comme la réformation des abus. Par un des premiers actes de la première Assemblée législative, le droit exclusif de la chasse a été aboli, et tout propriétaire investi de la faculté de détruire ou faire détruire, sur ses possessions, toute espèce de gibier ; enfin une loi du 30 avril 1790, a défendu à toutes personnes de chasser, en quelques lieux et de quelque manière que ce soit, sur le terrain d’autrui.

De ces dispositions législatives, il résulte naturellement l’abolition de la chasse. En effet, l’autorisation exclusive de détruire le gibier sur ses possessions anéantit presque toujours celle de chasser, principalement dans les cantons où les propriétés sont très-divisées. Attendre ou surprendre un animal sauvage sur son champ, le tuer à coups de fusil, ou le prendre dans les pièges, n’est pas chasser. La chasse, quelque simple qu’on la suppose, exige toujours un certain appareil ; on quête le gibier, on le suit, on épie ses remises, on fait souvent beaucoup de chemin pour le trouver. Or, je le demande, comment tous ces mouvemens qui constituent l’exercice de la chasse, peuvent-ils s’exécuter sans traverser le champ d’autrui, et encourir par-là les peines prononcées par les lois ? Donner le droit de chasse à tous, c’est empêcher que personne ne l’exerce ; c’est priver toutes les classes de la société d’un exercice salutaire, d’un amusement utile, de la pratique d’un art dans lequel les Français ont toujours excellé. D’un autre côté, la liberté générale de chasser suppose le libre port d’armes, ce qui, dans une société bien organisée, entraîneroit les plus graves inconvéniens ; ce seroit répandre dans les campagnes des êtres souvent plus malfaisans et plus dangereux que les animaux sauvages dont on voudroit écarter les ravages.

La faculté de chasser me paroît donc devoir être considérablement restreinte. À la campagne, l’homme laborieux la dédaigne, et l’on y connoit toute la dépravation de ces fainéans, évitant le travail, et croyant trouver une ressource dans le produit du braconnage, portant sans cesse les livrées de l’intempérance et de la misère, endurcis aux fatigues comme aux crimes, et qui, après avoir fait le tourment et la perte de leur famille, ne tardent pas à devenir le fléau de la société. Cette faculté ne doit pas être pour cela le privilège d’une classe de citoyens ; mais il me semble que l’on peut, sans danger, l’attribuer de préférence aux deux ou trois plus riches propriétaires de chaque territoire. Ce ne seroit pas, pour ainsi dire, à tel ou tel homme que cette sorte de privilège s’accorderoit, ce seroit un droit inhérent aux grandes propriétés qui, éprouvant assez fréquemment des mutations ou des morcèlemens, le transporteroient à d’autres possesseurs, ou les perdroient par des divisions trop répétées. Ce mode offriroit d’ailleurs une garantie nécessaire pour tous les dommages et toutes les pertes qu’il pourroit occasionner sur les possessions étrangères, dont les propriétaires conserveroient la liberté conforme au droit naturel, aussi bien qu’au droit des gens, de détruire ou faire détruire sur leur terrain toute espèce de gibier. Sous une autorité tutélaire, la garantie qui assureroit les produits du travail du pauvre, ne deviendroit point illusoire ; elle ne seroit point éludée par la richesse ou la puissance, ainsi que cela arrivoit presque toujours autrefois ; les dégâts commis par un chasseur, quel qu’il soit, indépendamment des peines que les lois infligeroient à raison du trouble apporté à l’ordre public, se répareroient par une indemnité double du dommage estimé, parce qu’en pareil cas, les estimations se font presque toujours fort au dessous de la valeur des pertes, et qu’il faut bien compter pour quelque chose le chagrin que le propriétaire peu fortuné éprouve en voyant ravager les fruits de son industrie ou de ses sueurs, aussi bien que le temps qu’il est obligé de perdre pour obtenir justice, Au reste, la sévère exécution des règlemens qui défendent de chasser dans les campagnes, avant l’époque où elles sont dépouillées, préviendroit, en grande partie, les abus de la chasse. C’est pour n’avoir pas tenu la main à l’observation de ces lois protectrices, et pour avoir souffert l’impunité des infractions, autant que par la sévère application de peines très-graves et hors de proportion avec le délit, contre quiconque chassoit ou prenoit le gibier sans en avoir le droit, que des réclamations se sont élevées de toutes parts, et que le peuple s’est soulevé contre des gens qu’il regardoit comme ses oppresseurs. La licence, toujours prête à profiter de l’apparence du retour vers une sage liberté, s’agita bientôt, et, interprétant à sa manière le décret de l’Assemblée constituante, se répandit, avec une fureur inconcevable, dans les bois et les plaines, déclara une guerre d’extermination aux animaux sauvages, et les fit, en peu de temps, presqu’entièrement disparoître du territoire français.

Si la trop grande abondance du gibier arrache de justes plaintes à l’agriculture, son anéantissement total seroit un malheur public. En ceci, comme en tout, les extrêmes sont nuisibles, et le bien ne se fait qu’en les évitant. Par-tout où la chasse est poussée au delà de certaines bornes, par-tout où les animaux sauvages sont multipliés à l’excès, l’agriculture est ruinée ; quand, à force de peines et de dépenses, l’on est parvenu à rendre une terre fertile, le découragement s’empare du séjour du souverain anglais en rapporte un du cultivoient, s’il en voit dévorer les productions ; et dès qu’il cesse d’être sûr de moissonner, il ne prend plus la peine de semer : c’est ce qui a lieu dans certaines contrées, aux environs du séjour du souverain. Un écrivain anglais en rapporte un remarquable : Sous le règne de l’ancien électeur de Saxe, roi de Pologne, les daims que ce prince faisoit conserver pour les chasser lui-même, s’étoient tellement multipliés dans son électorat, que les misérables Saxons lui offrirent d’augmenter ses troupes de six mille hommes, pour obtenir la liberté de réduire à moitié le nombre de ces animaux destructeurs ; mais on leur refusa cette demande avec un orgueilleux mépris. « Un pareil fait, ajoute le même auteur, suppose dans le prince une si étrange folie, ou une ignorance si absolue de ses devoirs, qu’on ne pourroit jamais le croire s’il n’étoit de notoriété publique. » (Cultivateur anglais, par Arthur Young, tome XVIIIe. de la traduction française, chapitre II.) Mais de pareils abus sont heureusement fort rares, tandis que l’excès contraire est devenu très-commun, du moins dans notre patrie. Maintenir les diverses espèces de gibier, dans une proportion telle que l’agriculture n’en souffre point sensiblement, éviter avec le même soin leur excessive multiplication, et leur trop forte diminution, c’est favoriser l’économie publique, et lui ménager une ressource importante. Le gibier augmente la masse des subsistances, et, quoique l’on puisse dire qu’il ne paroît que sur les tables somptueuses, il n’en diminue pas moins la consommation des autres denrées plus communes, et il contribue ainsi à les maintenir à un prix modéré. L’on sait, on outre, que plusieurs espèces d’animaux sauvages fournissent des matières précieuses au commerce et aux manufactures.

Un des moyens les plus efficaces d’entretenir dans un canton une certaine quantité de gibier, c’est de consacrer quelque portion de terrain à former des remises dans lesquelles il se retire et se reproduit. Indépendamment de cet avantage, les remises fournissent du bois et des fagots qui dédommagent de la perte des productions de la culture. Mais, si l’on veut rendre ces retraites plus utiles, soit par un meilleur abri contre les grands froids qui font périr beaucoup de gibier dans les remises ordinaires, soit en lui fournissant, pendant l’hiver, une ample nourriture qui l’empêche de dévaster les campagnes, l’on fera bien de suivre la méthode que M. Le Breton, ancien inspecteur-général des capitaineries royales, indique dans un Mémoire sur les moyens de perfectionner les remises propres à la conservation du gibier, et d’obvier en partie aux dégâts qu’il cause dans les campagnes. Cette méthode consiste dans le choix des arbres qui doivent procurer un abri au gibier, dans l’étendue et l’emplacement des remises, enfin dans les haies dont elles doivent être entourées. La plupart des arbres qu’il faut employer nous viennent du nord de l’Amérique ; ils ont le double avantage de conserver leur verdure, et de croître beaucoup plus vite que les arbres indigènes. Les plus grands serviront de porte-graines, et donneront abondamment des semences pour peupler les forêts d’arbres ou d’arbustes encore peu communs, et qui, abandonnés pour ainsi dire à la nature, multiplieront plus facilement sous différentes expositions. Pour les haies qui doivent régner autour des remises, M. Le Breton conseille de préférer les espèces d’azeroliers aux épines et aux ajoncs qu’on emploie ordinairement ; elles forment des haies très-solides, et leurs fruits nombreux servent à la nourriture du gibier. À trois pieds de distance, et en dedans de la haie, on forme une seconde bordure d’arbres toujours verts, et à basse tige : tels que le bulpévre, les germandrées, les cistes, les kermès, les genêts, etc. La perdrix trouve au milieu de ces arbrisseaux un asile, dans le temps de la ponte. L’intérieur de la remise se plante d’arbres et d’arbustes de différentes espèces, mais principalement d’azeroliers, de sorbiers, de camerosiers, de sureaux, de mahalebs, de cornouillers, de viornes, de nerpruns, de genévriers de Virginie et d’Europe, etc., etc. Le procédé de M. Le Breton a été pratiqué avec succès en divers lieux, et il est propre à concilier des intérêts souvent fort opposés, ceux du chasseur et du cultivateur.

Toutes les sortes de guerres que nous faisons aux animaux sauvages, prennent le nom de chasses. Ainsi l’on distingue la chasse avec des chiens courans dans les bois, la chasse au fusil et avec des chiens couchans dans les plaines ou sur les collines découvertes, la chasse avec des lévriers, la chasse aux animaux aquatiques dans les étangs et les marais ; enfin, la chasse avec des filets ou des pièges. L’article Vénerie, de même que les articles particuliers des espèces de gibier que on poursuit dans les forêts, contiennent ce qui a rapport à la grande chasse ou chasse à cors et à cri. Il ne sera point question, dans cet Ouvrage, de la fauconnerie, ou chasse avec les oiseaux de vol, plus dispendieuse que profitable, tenant plus particulièrement au luxe et à l’ostentation, exigeant un appareil trop au dessus des facultés du plus grand nombre des propriétaires, et ne pouvant convenir qu’à la grandeur ou à la puissance. L’on trouvera aux articles des espèces d’oiseaux aquatiques, les détails de la chasse dans les étangs et les marais ; et ceux qui concernent les pièges et les filets, aux articles des animaux, soit quadrupèdes, soit volatiles, qui sont l’objet de ces sortes de chasses, aussi bien qu’aux mots qui forment les dénominations des instrumens que l’on y emploie. Je ne traiterai donc ici que de la chasse en plaine avec le fusil et les chiens couchants, ou avec les lévriers. Le choix d’une bonne arme est ce qui doit d’abord occuper le chasseur. Avant l’invention de la poudre à canon, l’arc et l’arbalète servoient à la chasse comme à la guerre ; vinrent ensuite les arquebuses, qui bientôt furent remplacées par les fusils, dont le service est beaucoup plus facile et plus commode. Les principales manufactures qui fournissent les fusils de chasse, en France, sont celles de Saint-Étienne, de Charleville, de Pontarlier, et de Versailles ; les armes de cette dernière fabrique sont très-renommées par leur perfection. On préfère les fusils dont le canon est à ruban ou tordu.

On nomme ruban, une lame de fer de six à sept pieds de longueur, forgée avec de vieux fers de chevaux, des clous de maréchaux et de vieilles lames de faulx. Après l’avoir bien corroyée et étirée, on roule cette lame sur toute la longueur d’un canon plus mince et plus léger qu’à l’ordinaire. L’art de fabriquer les canons à rubans n’est point du ressort de ce Livre ; il suffit de prévenir les chasseurs que ces sortes d’armes, dont on doit l’invention aux Espagnols, sont d’une solidité supérieure à celle des fusils communs, et qu’ils se paient plus cher que les autres, parce qu’ils coûtent plus de travail. Si l’on veut s’assurer qu’un canon de fusil est réellement forgé à ruban, l’on choisira une petite place dans quelque partie du dessous, on l’adoucira s’il le faut, avec une lime douce, et l’on y passera ensuite de l’eau forte avec la barbe d’une plume ; cette très-simple opération fait découvrir facilement la direction en spirale du ruban.

Le même procédé sert également à reconnoître si un canon de fusil est tordu ; mais il ne faut pas faire cette dernière expérience aux extrémités du canon, parce qu’il est rarement tordu d’un bout à l’autre ; on ne le tord ordinairement que sur une longueur de dix-huit pouces, en partant de l’extrémité du tonnerre ; ce n’est pas que les canons entièrement tordus ne soient préférables, mais c’est une opération lente et délicate dont les ouvriers aiment à se débarrasser. Au reste, ils tordent les canons en les portant bien rouges, à mesure qu’ils les forgent, à l’étau dans lequel une extrémité du canon est serrée, tandis qu’un fer coudé, passé dans l’autre extrémité, donne les torses.

Il est important de soumettre à l’épreuve les fusils que l’on achète, afin d’éviter les accidens auxquels on est exposé lorsque les canons viennent à crever. Cette épreuve a lieu, pour l’ordinaire, en faisant tirer aux canons fixés et assujettis sur un banc construit exprès, et que l’on appelle banc d’épreuve, deux coups de suite : le premier, avec une charge de poudre égale au poids de la balle de dix-huit à la livre ; et le second, avec une charge diminuée d’un cinquième ; à l’un et à l’autre coup, on met une balle de calibre dans le canon. Dans les manufacturés de l’État, lorsque les canons de fusil ont subi cette épreuve, ils passent à la révision, et ne sont reçus définitivement, qu’après un séjour d’un mois, dans un lieu bas et humide, où ils se chargent de rouille dans les parties qui ont quelques défauts, ce qui les indique parfaitement. Les fusils de chasse ne sont communément soumis qu’à une seule épreuve, chargés avec une demi-once de poudre, et une balle. Cependant l’on-exige quelquefois, mais assez inutilement, que l’épreuve soit réitérée une ou deux fois.

Quand un fusil crève, ce n’est pas toujours par un défaut de fabrication ; cet accident provient quelquefois de la faute de celui qui l’a chargé ; par exemple, s’il laisse du jour entre la poudre et la halle, sur-tout lorsque celle-ci a été chassée à force avec une baguette de fer ; si de la terre ou de la neige s’est introduite dans le canon ; si le bout du fusil que l’on tire est enfoncé dans l’eau ; enfin, si l’on charge outre mesure.

Quant à la batterie du fusil, l’on doit exiger que la platine soit bien finie, et que les ressorts soient lians, sans néanmoins être trop gais, ce qui exposeroit à des accidens. La crosse et la couche du fusil sont plus ou moins longues, selon l’attitude que l’on prend pour mettre en joue.

Après l’acquisition d’une bonne arme, ce qui intéresse le plus le chasseur, c’est une provision de la meilleure poudre. Cette substance très-inflammable est, comme l’on sait, un mélange de charbon, de soufre et de nitre ou salpêtre, (nitrate de potasse.) Pour la forte poudre à fusil, les proportions ordinaires de ces trois matières sont : cent livres de salpêtre, dix-huit de soufre, et vingt de charbon ; pour la poudre foible : cent liv. de salpêtre, quinze de soufre et dix-huit de charbon. La poudre employée par le comte de Rumford, dans ses expériences, contient dix-huit parties de soufre, seize de charbon, et soixante-dix de nitre. Afin de connoître si ces proportions ont été bien observées, on délaie la poudre dans une suffisante quantité d’eau chaude ; cette eau dissout le salpêtre ; on filtre et on fait évaporer ; le résidu se met dans un matras, et on le chauffe fortement ; le soufre se sublime, le charbon pur reste au fond, enfin on pèse chaque produit. Quoique l’on rencontre de la bonne et de la mauvaise poudre, sous toutes les formes et sous toutes les teintes, on doit néanmoins préférer, en général, celle dont les grains sont arrondis et de grosseur moyenne, connue étant moins disposée à se convertir en poussière. La couleur doit être un bleu grisâtre teint de rouge. Quand la poudre est exposée au soleil, elle ne doit pas présenter des endroits brillans qui indiquent que le salpêtre n’a pas été assez écrasé, ni assez intimement uni avec le soufre et le charbon ; la texture du grain doit être ferme, mais pas assez solide pour résister à la forte pression du doigt sur une table.

Il y a plusieurs manières d’éprouver la force de la poudre à feu ; la plus ordinaire se pratique avec des instrumens appelés, par cette raison, éprouvettes ; on en trouve de plusieurs sortes. L’éprouvette à ressorts de M. Régnier passe pour être la meilleure, parce qu’elle indique assez constamment les divers degrés de force de la poudre, avec toute la justesse qu’on peut espérer de ce genre d’instrumens, et qu’elle opère sur de petites quantités. À défaut d’éprouvettes, on peut juger facilement, mais avec moins d’exactitude, de la force de la poudre, par un moyen simple : mettez une pincée de poudre sur un papier blanc et sec, approchez doucement un charbon de feu ; la bonne poudre prend subitement et s’élève en colonne, sans laisser sur le papier ni rayons, ni noirceurs, ni flammèches qui le brûlent. Si la poudre est mauvaise, ou le salpêtre et le soufre s’attachent au papier, où elle le noircit, ce qui dénote une trop grande quantité de charbon, où elle laisse sur le papier de petits grains de salpêtre, qui prouvent qu’elle a été mal fabriquée. Pour essayer si la poudre est bien nette sans être grasse, on en prend un peu dans le creux de la main, on la frotte avec le pouce, et elle ne doit ni noircir, ni graisser la peau. La poudre a besoin d’être tenue très-sèche ; l’humidité en altère la qualité, et une nouvelle dessiccation ne la lui rend pas.

Le succès de la chasse dépend aussi beaucoup de l’attention du chasseur à proportionner la grosseur du plomb qu’il emploie à l’espèce de gibier qu’il poursuit. Voici quel est communément l’usage des dragées de plomb, suivant l’ordre de leur grosseur, que dans le commerce on distingue par numéros : le n°. 1, quand on ne se sert pas de balles ni de chevrotines, est bon pour le loup, le chevreuil, l’outarde, l’oie sauvage, etc. ; le n°. 2 s’emploie pour le renard ; le n°. 3 pour le lièvre ; le n°. 4 pour toutes sortes de gibier en plaine ; le n°. 5 pour les perdreaux ; le n". 6 pour la caille et la bécassine ; le n°. 7 ou menuise, pour les grives ; et les nos. 8 et 9 ou cendrées, pour les petits oiseaux. Un chasseur armé d’un fusil à deux coups, a l’avantage de charger un canon d’une dragée plus forte, et de pouvoir ainsi porter ses coups avec plus de certitude, suivant les rencontres. Une observation essentielle, c’est que, pour tirer la même espèce de gibier, il faut que le plomb soit plus gros en hiver qu’en été, parce que les animaux sont plus durs et mieux fourrés pendant les froids que pendant les chaleurs.

On évalue la charge ordinaire d’un fusil avec de la dragée, au poids d’une balle de six lignes de diamètre. Suivant l’auteur de la chasse au fusil, bon juge en cette matière, une once ou une once un quart de plomb suffit pour les fusils de calibre ordinaire, avec un gros ou tout au plus un gros et un quart de bonne poudre. Cependant, ajoute le même auteur, lorsqu’on veut se servir de grosse dragée, il est bon d’augmenter d’un quart la charge de plomb. Quelques uns déterminent la charge du fusil, par le poids de sa balle de calibre, fixant le poids de la poudre au tiers du poids de la balle, soit que l’on tire à balle, soit que l’on charge avec de la dragée ; et celui de la dragée à moitié en sus ou tout au plus au double du poids de la balle, ce qui revient à peu près à la règle établie par l’auteur de la chasse au fusil.

D’autres prescrivent, pour la poudre, une mesure de même diamètre que le canon, et double en profondeur de ce diamètre ; pour le plomb, une mesure de même diamètre, et d’un tiers moins profonde que celle de la poudre. Mais toutes ces mesures ne diffèrent que fort peu entr’elles, et peuvent être employées indistinctement, en ayant égard au calibre du fusil, à l’espèce de gibier et à la saison.

Beaucoup de chasseurs, et particulièrement les braconniers, s’imaginent que la quantité de poudre fait tuer plus de gibier, et ils mettent, pour le même motif, le plomb à poignée. Les fusils remplis de ces charges excessives, repoussent violemment et donnent de vigoureux soufflets à ceux qui les tirent ; ces mouvemens, ou plutôt ces commotions imprimées à l’arme, dérangent la ligne de mire, empêchent souvent de tirer juste, et font quelquefois crever le fusil. Ces accidens ne corrigent point les braconniers, vrais assassins de gibier, qui, ne voulant tirer qu’à coup sûr, ne lâchent leur coup que quand l’animal sauvage n’est pas à une distance plus grande que vingt-cinq ou trente pas, et veulent qu’il soit tué roide. Aussi le gibier, que ces sortes de gens abattent, est-il tout fracassé et ouvert par une large plaie, qui l’empêche de se conserver, et qui est l’effet de la masse de plomb, auquel une trop petite portée ne permet pas de se diviser.

On peut augmenter la charge du plomb avec moins d’inconvénient que celle de la poudre ; cependant il ne faut pas que cette augmentation excède trop les proportions indiquées ; autrement, la poudre n’ayant plus assez de force pour chasser cette quantité de plomb, plusieurs grains tombent avant d’atteindre le but, et ceux qui y arrivent ne font presque plus d’effet. C’est dans ce sens que doit s’entendre ce commun adage de chasse : chiche de poudre et large de plomb ; ou, en d’autres termes : peu de poudre et beaucoup de plomb amène le gibier à la maison.

En chargeant le fusil, la poudre ne doit pas être trop bourrée par la baguette ; le plomb doit l’être moins encore ; une pratique contraire fait trop écarter la dragée. La bourre se forme avec du papier brouillard, de la mousse de pommiers, de l’étoupe et d’autres matières souples et sèches.

Dès que l’on a tiré un coup de fusil, il faut recharger l’arme aussitôt, et n’amorcer qu’après avoir chargé. Mais on ne doit pas négliger auparavant d’essuyer avec soin le bassinet, la platine, le chien et la pierre ; il est bon aussi de passer dans la lumière l’épinglette ou une plume d’aile de perdrix, dont les barbes enlèvent l’humidité ; faute de cette légère précaution, l’espèce de crasse que la poudre laisse dans le fusil en s’enflammant, bouche la lumière en tout ou en partie, et expose à faire long feu ou à rater. L’humidité de la poudre est encore une des causes du long feu ; aussi fera-t-on bien de changer l’amorce du fusil, lorsqu’on se dispose à chasser, n’y fût-elle que de la veille. On doit encore renouveler fréquemment la pierre, et ne pas attendre qu’elle ait raté. Lorsqu’on a tiré plusieurs coups avec un fusil, il ne faut pas manquer d’en laver l’intérieur du canon avec de l’eau tiède. Un fusil sale part moins bien et porte moins loin. J’ai connu des chasseurs passionnés, qui lavoient leurs fusils après chaque chasse, quand même ils n’auroient tiré qu’un seul coup. À la maison, le fusil sera placé dans un lieu sec et chaud ; on l’entretiendra très-propre, et on le frottera légèrement de temps à autre, avec une pièce de drap un peu grasse, ou avec une patte de lièvre, sur laquelle on aura versé quelques gouttes d’huile d’olive, et qui conserve long-temps son onctuosité.

Les plus habiles tireurs au blanc ne peuvent, le plus souvent, tuer une pièce de gibier à la chasse ; à moins qu’elle ne soit arrêtée, le chasseur ne l’a jamais parfaitement sur la ligne de mire de son fusil, il la devance et tire à l’endroit où l’animal sera lorsque le coup y arrivera ; il vise aussi plus au dessus ou au dessous, suivant les occurrences ; mais en général, il doit plutôt tirer trop haut que trop bas. L’expérience apprend au chasseur à diriger son coup le plus avantageusement, et lui indique la distance à laquelle il peut tirer le gibier sans risquer inutilement un coup de fusil. La bonne portée est, généralement parlant, depuis vingt cinq jusqu’à cinquante pas.

Ce n’est pas assez, pour un chasseur, d’être muni d’un bon fusil, de la meilleure poudre et des autres accessoires ; il parcourroit les plaines au hasard, et sa chasse seroit fort incertaine, s’il n’étoit accompagné d’un chien couchant. D’anciennes chroniques rapportent qu’en France on employoit encore, pour la chasse, les ours, les lions et même les léopards, compagnons trop redoutables pour qu’une pareille coutume, si elle a réellement existé, n’ait pas bientôt passé de mode. Quoique de nature féroce et carnassière, le chien est devenu près de l’homme, le plus doux, le plus docile, comme le plus intelligent des animaux ; il a renonce a ses appétits destructeurs, et il s’est soumis à n’avoir plus d’autre volonté que celle de son maître, dont il comprend les paroles et les gestes, dont un regard suffit souvent pour qu’il en devine l’intention. C’est en quelque sorte un nouveau sens que l’homme a acquis hors de lui ; c’est un gardien sûr et incorruptible, un ami constant et désintéressé, que la plus affreuse adversité ne rebute point ; et si les excellentes qualités de ce précieux animal l’ont rendu digne de la compagnie des hommes, elles ont mérité aussi d’être offertes en exemple, comme le plus parfait modèle des principales vertus sociales.

Parmi les races nombreuses de chiens, celles qui fournissent le plus communément des chiens couchans, de plaine ou à arrêt, sont les braques, les épagneuls et les griffons : ces derniers, qui sont originaires de Piémont et d’Italie, tiennent de l’épagneul et du barbet, leur poil est long et un peu frisé. (Voyez, pour les deux autres races, l’article Chien, dans le Cours.)

On exige qu’un chien de plaine soit bien fait et léger, qu’il soit plus haut du devant que des hanches, qu’il ait l’épaule serrée, le poitrail étroit, le col court et un peu gros, peu d’oreille et haute, le nez gros et ouvert, le pied de lièvre, c’est-à-dire long, étroit et maigre, ou bien fort court, rond, petit et maigre, la côte plate, le rein large, enfin que le fouet de la queue, quand il quête, rase les jarrets en croisant. Les chiens qui ont le devant haut et le col court, portent le nez haut et ne fouillent point, c’est-à-dire qu’ils ne mettent point le nez à terre, et ils vont fort vite. Ces chiens conviennent dans les cantons où le gibier est rare, parce qu’ils quêtent légèrement et battent beaucoup de pays. Par cette raison, ils trouvent plus de gibier que les chiens pesans, qui ne conviennent proprement que dans les terres où le gibier abonde.

La patience et la douceur doivent présider à l’éducation des chiens de chasse ; ce sont précisément les qualités qui manquent presque toujours aux gardes chasses et à ceux qui font métier de dresser les chiens ; les châtimens violens et redoublés font toute leur science, et dans l’excès de leur brutalité, ils y ajoutent le coup de fusil, qui fait quelquefois mourir le chien au lieu de le corriger. Hommes barbares ! dont la fureur trouve de nouveaux alimens dans la foiblesse et l’extrême timidité, qui voyez sans pitié ce malheureux chien, ne demandant qu’à vous comprendre, et disposé à vous obéir dès que vos volontés lui seront connues, prêt à expirer sous vos coups, se traîner tremblant à vos pieds, arroser la terre de son sang que vous faites couler, et de son urine que la frayeur lui fait répandre, implorant son pardon par ses regards affoiblis, qu’il ne cesse de tourner vers vous, et par ses caresses, qu’il brûle encore de vous prodiguer au moment même où vous les repoussez avec une insigne cruauté, n’est-ce pas là l’indice d’une ame dure et insensible ? et que doit attendre la société de l’exercice habituel d’une pareille inhumanité ?

Dès que le chien a cinq ou six mois, on lui apprend à rapporter. C’est à cet âge, sur-tout, qu’il importe de ne pas le rebuter, et qu’on l’instruit aisément, en employant les caresses plutôt que les châtimens. Un morceau de bois carré, de huit à neuf pouces de long, et de huit à neuf lignes d’épaisseur, qui a des crans comme une scie, et à chaque bout deux trous percés en travers, pour y passer quatre petites chevilles en croix, à peu près de la grosseur d’une plume à écrire, est l’instrument dont on se sert ordinairement ; les chevilles des extrémités soutiennent cette espèce de moulinet à un pouce et plus de terre, en sorte que le chien peut le saisir facilement. On le jette à quelque distance, en disant au chien : apporte. S’il ne va pas de lui-même, on l’y conduit, et s’il ne ramasse pas le moulinet, on lui fait baisser la tête et on lui frotte légèrement les dents avec le bâton crénelé, ce qui le force à ouvrir la gueule, dans laquelle on pousse le bâton ; on lui tient une main sous la mâchoire inférieure, et de l’autre on le caresse, en lui disant : tout beau. S’il lâche le bâton, on le lui fait reprendre après l’avoir corrigé, et il ne tarde pas à s’apercevoir que l’on exige qu’il le tienne. On lui apprend de même à l’apporter, en lui disant : apporte ; et donne, lorsqu’on veut qu’il le lâche. Il n’est guères de chiens qui ne sachent rapporter en peu de leçons, s’ils ont un maître doux et patient. Il en est cependant de moins bien disposés, pour lesquels on est obligé d’employer le collier de force, dont il sera bientôt question.

Quand le chien rapporte on lui dit, pour l’ordinaire : haut ici, apporte ; et il se dresse, les pattes de devant appuyées sur la poitrine de son maître. L’on veut à présent, qu’au lieu d’arriver franchement et avec l’air de contentement qu’il montre toujours quand il croit avoir bien fait, le chien s’arrête dès qu’il est aux pieds du chasseur, se retourne et se dresse en lui présentant le dos et sans le toucher de ses pattes ; mais cette sorte de raffinement ne sert qu’à tourmenter le chien, devient inutile au vrai chasseur, qui n’attache pas une grande importance à sa toilette, et le prive du plaisir de récompenser son chien par ses caresses, comme le chien du plaisir de les recevoir.

Après le moulinet, on fait rapporter au chien une aile de perdrix, une peau de lapin ou de lièvre, que l’on remplit par degrés de terre ou de pierres, afin d’habituer le jeune animal à porter les lièvres ; et l’on a soin de lui faire saisir celle peau par le milieu.

On lui donne en même temps des leçons d’obéissance ; il suffit, pour cela, de le mener promener, de le rappeler, quand il s’écarte, par ces mois : retourne ou ici, à moi ; de le caresser s’il revient, de le corriger s’il n’obéit pas, et de lui dire : derrière, lorsqu’on veut qu’il suive. Vers un an d’âge, il est temps de le mener en plaine, et de lui faire connoître le gibier. Il court d’abord après tout ce qu’il rencontre ; les pigeons, les alouettes, tous les oiseaux deviennent l’objet de son ardeur. Il faut le laisser faire, jusqu’à ce qu’il se soit attaché aux perdrix qu’il court aussi bien que les autres oiseaux. Il est temps alors de commencer à le contenir, et de faire usage du collier de force. C’est un collier de cuir, garni de trois rangées de petits clous, dont les pointes sortent de trois à quatre lignes ; un double cuir est cousu sur la tête des clous, afin qu’ils ne reculent pas lorsqu’on appuie sur la pointe. À chaque extrémité du collier est un anneau et non une boucle, dont l’effet seroit de piquer continuellement le col du chien. On attache à l’anneau du collier de force, un cordeau de vingt à vingt-cinq brasses, qu’on laisse traînant. On ne souffre pas que le chien s’écarte trop, et si cela arrive, on le rappelle en saisissant le cordeau, et lui donnant une petite saccade ; il revient aussitôt, et l’on ne doit pas manquer de le caresser et de lui offrir quelques friandises dont il faut avoir provision. S’il fait partir une alouette ou un petit oiseau, et qu’il coure après, on lui fait sentir les pointes du collier, et on lui crie :fi, haut le nez. Quelques saccades le retiennent, s’il pousse ou bourre les perdrix qui partent, et on lui crie : tout beau ; mais s’il les arrête, des caresses et des friandises doivent être sa récompense.

Il y a des chiens de bonne race qui arrêtent naturellement ; c’est du temps et de la peine de gagnés. On habitue ceux qui ne présentent pas le même avantage à arrêter, en leur jetant devant le nez un morceau de pain, en les tenant par la peau du col, et leur disant : tout beau ; et lorsqu’ils ont gardé pendant quelque temps le morceau de pain, on les lâche, on leur dit : pille, et on leur laisse prendre le pain. S’ils montrent trop d’ardeur pour se jeter sur la proie avant d’avoir entendu le mot d’ordre, pille, on les corrige, et on répète la leçon jusqu’à ce qu’ils gardent bien, sans qu’il soit besoin de les tenir, et qu’ils laissent faire autour d’eux plusieurs tours à celui qui les dresse, lequel fait semblant de tenir en joue le morceau de pain. On ne les fait jamais manger, soit à la maison, soit à la campagne, sans les avoir soumis à l’épreuve du tout beau et du pille.

Pour faire l’application de ces leçons au gibier, on répand sur les champs quelques petits morceaux de pain, frits dans du saindoux, avec des vidanges de perdrix, et pour en reconnoître la place, on fiche à côté des petits piquets fendus au haut, qui portent une carte ou du papier. On met le chien en quête, et lorsqu’on s’aperçoit que son odorat est frappé par le pain frit, et qu’il est prêt à se jeter dessus, on crie : tout beau ; s’il ne s’arrête pas, on le châtie. Il ne tarde pas à s’arrêter de lui-même ; alors on porte un fusil chargé d’un demi-coup de poudre, que l’on tire au lieu de prononcer le mot pille. À mesure que l’on continue cet exercice, on tourne toujours plus longtemps autour du chien, afin de l’habituer à garder son arrêt, et quand il est accoutumé au coup de fusil, et à arrêter par-tout, on le mène à la perdrix. Il faut tirer à terre devant le nez du chien que l’on dresse à l’arrêt, cela contribue beaucoup à l’affermir ; on ne doit tirer au vol que lorsqu’il est parfaitement dressé.

Dès qu’un chien est instruit à l’arrêt de la perdrix, il arrêtera de même le lièvre et les autres espèces de gibier. Il n’est guères de chiens qui ne courent le lièvre, sur-tout lorsqu’ils sont éloignés du chasseur ; il n’y en a point, non plus, qui ne poussent quelquefois le gibier, principalement quand ils vont avec le vent. Dans ces cas, il faut être très sobre de châtimens ; il suffira de gronder, et même pour corriger le premier de ces défauts, il n’est pas d’autre moyen que de conduire les chiens dans des cantons remplis de lièvres, parce qu’à force d’en voir, ils se dégoûtent de les poursuivre.

Avec le cordeau traînant et le collier de force, on peut, comme on l’a vu, accoutumer le chien à croiser et barrer en quêtant devant le chasseur. On s’y prend encore d’une autre manière : Quand le chasseur voit son chien percer en avant, il lui tourne le dos, et marche en sens contraire ; le chien ne tarde pas à chercher son maître ; et lorsqu’il s’en approche, il doit recevoir les encouragemens ordinaires. Si l’on continue cette manœuvre, le chien devient inquiet, craint de perdre le chasseur, et ne quête jamais long-temps, sans tourner la tête pour observer sa démarche, ce qui l’oblige à croiser devant lui.

Un jeune chien qui fouille et porte le nez à terre, ne sera jamais qu’un mauvais chien d’arrêt, si on ne parvient à lui faire perdre cette habitude, en lui criant : haut le nez, et le grondant ; ce qui le rend inquiet, l’agite, et le fait aller de côté et d’autre, jusqu’à ce que le vent lui ait apporté le sentiment du gibier. Il n’en faut pas quelquefois davantage pour le faire chasser le nez haut par la suite.

Telle est l’une des manières les plus sûres et les moins pénibles de dresser les chiens d’arrêt ; c’est aussi l’une de celles où il faut le moins battre ces pauvres animaux. Les gardes-chasses ont d’autres pratiques dans lesquelles, ainsi que je l’ai déjà remarqué, les coups et les jeûnes jouent le plus grand rôle ; mais ces gens-là sont plutôt les bourreaux que les maîtres des chiens de chasse.

M. Desgraviers, dont j’ai déjà cite l’Ouvrage[1], a décrit un procédé aussi simple que doux pour dresser les chiens couchans, et les rendre supérieurs en tout point : les chasseurs ne peuvent mieux faire que de lire ce procédé dans l’Ouvrage même, et de le mettre en pratique. Je terminerai ce qui a rapport à l’éducation des chiens, en rapportant des réflexions très-judicieuses du même M. Desgraviers.

« Que votre chien vous aime, dit cet habile veneur, et ait appris, par des moyens adaptés aux rapports de son intelligence avec la vôtre, à comprendre votre langage, vous le formerez peu à peu à tout ce que vous voudrez.

» D’où vient que rarement, on voit des équipages de chiens anglais souples et sages ? La vraie cause est moins dans leur caractère léger et entier, (défauts dont les chiens français, dans certains ordres, ne sont pas exempts) que dans la difficulté, et même l’impossibilité d’entendre l’idiome français.

» À leur arrivée en France, on les laisse reposer quelque temps, et peu après, quand ils ont pris hauteur du pays où l’on veut qu’ils chassent, on les découplé, et on va, s’imaginant qu’ils feront merveille. Erreur trop fréquente ! ces chiens, plus étourdis que conduits par des sons étrangers, ne courent qu’en désordre ; plus on leur parle, plus ils semblent indociles.

» Après cette expérience désagréable, comment ne s’avise-t-on pas de leur apprendre les sons de la langue qui désormais frappera leurs oreilles ? Aussi, quel agrément retire-t-on, pour l’ordinaire, de ces chiens si vantés ? Qu’on en convienne, presqu’aucune ; il en est à peu près de même du chien de plaine.

» Il n’est point du tout étonnant que, passant des mains d’un maître en celles d’un autre, d’habile qu’il étoit, il paroisse ignorant. Pour qu’il mette au jour ses talens, il faudroit que le second conducteur eût la méthode de celui qui l’a dressé, ou s’en instruisît du moins, et qu’il imitât les différentes intonations de voix du dresseur ; car, c’est moins la prononciation du mot que l’intonation qui résonne dans l’oreille du chien. C’est à l’intonation qu’il conçoit de la crainte ou de la gaîté, de l’ardeur ou de la modération, ; et, quand on l’a accoutumé à répondre de telle ou telle façon, à tels ou tels sons, et à telles ou telles manières, n’imaginez pas, quand vous changerez de sons et de méthode, qu’il vous entende et vous obéisse : ayez donc la patience de vous façonner à lui, ou de le façonner à vous. »

La couleur du vêtement du chasseur n’est point indifférente ; si elle tranche trop avec la teinte que la végétation répand généralement sur les campagnes, le gibier en sera offusqué, et fuira de loin. Le vert et le gris sont les couleurs qui conviennent le mieux. Dans le temps où la terre est couverte de neige, le chasseur se vêtira de blanc, afin de n’être point apperçu par les animaux qu’il cherche : c’est la méthode qu’emploient les chasseurs du Nord. Si un hiver long et rigoureux entretient longtemps une couche de neige épaisse et endurcie, l’on fera bien, pour empêcher que le défaut de nourriture ne fasse périr tout le gibier d’une terre, de répandre de la paille et du grain en quelques endroits débarrassés de neige, afin que le gibier, et particulièrement les perdrix, puissent trouver des alimens que l’âpreté de la saison leur refuse.

Chasser à bon vent, c’est-à-dire en allant contre le vent, est une attention que l’on doit avoir toutes les fois qu’on le peut. Le chien évente mieux le gibier, et celui-ci n’a pas le sentiment du chasseur et du chien. Le matin est la partie du jour la plus favorable pour la chasse, dès que la rosée, qui gâte le nez du chien, ne mouille plus ni les herbes, ni les chaumes. Pendant les chaleurs, le gibier de plaine se tient dans les lieux frais et ombragés par de grandes herbes, aussi bien que sur les coteaux exposés au nord ; en hiver, il recherche l’exposition du midi, et les lieux bas et fourrés ; enfin, la bonne saison pour la chasse au fusil, est depuis la fin d’août jusqu’à la fin de décembre. Il est encore, sans doute, d’autres choses qu’un chasseur ne doit pas ignorer ; l’usage et l’exemple les lui apprendront. L’on sent bien que je n’ai pu donner ici un traité complet sur la chasse, et que j’ai dû me borner à tracer rapidement les principales instructions qui peuvent contribuer à rendre la chasse au fusil, avec les chiens couchans, aussi fructueuse qu’agréable. Il me reste à dire un mot de la chasse en plaine avec les lévriers.

Cette espèce de chasse est fort amusante dans une plaine découverte, et d’une grande étendue ; le fusil y est inutile. Les lévriers. (Voyez l’article du Chien, dans le Cours) n’ont point de nez, et ne chassent qu’à vue. Dès qu’ils aperçoivent un lièvre, ils se mettent à sa poursuite ; on les encourage eu leur disant : oh lévriers. Il est amusant de voir ces chiens, qui sont, comme l’on sait, d’une grande vitesse, joindre bientôt le lièvre qui est parti avant eux, le dépasser lorsqu’il fait un crochet, le suivre dans ses détours, le manquer encore ; enfin redoublant, non de rapidité dans leur course, mais de précaution, le saisir et l’apporter à leur maître. J’ai vu de grands lévriers qui, lorsqu’ils atteignoient le lièvre, le faisoient sauter en l’air d’un coup de museau, et le recevoient dans leur gueule quand il retomboit. Pour jouir de tout le plaisir que peut procurer la chasse avec les lévriers, les chasseurs doivent avoir des chevaux ; alors ils ne perdent pas de vue les chiens, et ils sont à portée de les appuyer. (S.)


  1. J’ai donné le titre de ce bon Livre de Chasse, à la page 325. en note.