Cours d’agriculture (Rozier)/COIGNASSIER

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Hôtel Serpente (Tome troisièmep. 421-424).


COIGNASSIER. M. Tournefort le place dans la huitième section de la vingt-unième classe, qui comprend les arbres & arbrisseaux à fleur en rose, dont le calice devient un fruit à pépins ; & il l’appelle cydonia vulgaris. M. von Linné le nomme pyrus cydonia, & le classe dans l’icosandrie pentagynie. Cet arbre, de moyenne grandeur, est originaire des bords du Danube, où il croît dans les rochers. Si on en juge par les soins que les romains donnoient à sa culture, d’après le rapport de Palladius, son fruit devoit être fort estimé chez ce peuple-roi.

I. Description du genre. Le calice de la fleur est d’une seule pièce, divisée en cinq découpures : il est permanent, & de la grandeur de la corolle ; les pétales ou feuilles de la fleur, sont au nombre de cinq, grands, arrondis, creusés en cuilleron. Le milieu est occupé par vingt étamines environ, & le centre, par cinq pistils. L’embryon, renfermé par le calice, devient un fruit plus ou moins rond, plus ou moins alongé, suivant l’espèce. Dans l’intérieur du fruit sont cinq loges, disposées en étoile, dans lesquelles les semences sont emboîtées.

II. Des espèces. On ne devroit, à proprement parler, compter que deux espèces jardinières ; (voyez ce mot) celle à fruit rond, qui est le coin pomme, & le coin poire, ou à fruit alongé. L’écorce des coins est, en général, cotonneuse ; le coin non cotonneux forme l’autre espèce. La forme de ces fruits varie un peu, & l’on a assez mal à propos caractérisé ces différences par la dénomination de coin mâle & de coin femelle. Le mâle est le fruit rond, & la femelle, le fruit long.

La meilleure de toutes les espèces est le cydonia lusitanica, ou coin de Portugal. Ses caractères sont si marqués, que je suis surpris que M. von Linné n’en ait pas fait une espèce à part. Le bourgeon sert de péduncule au fruit, qui ne sauroit tomber, lors de sa maturité, si on ne casse le sommet du bourgeon ; & le coin ordinaire, mâle ou femelle, se détache de lui-même. Ses feuilles, aussi entières que celles des autres coins, sont plus grandes, souvent du double & du triple, plus ovales, & d’un vert plus foncé. L’arbre se charge moins de branches chiffonnes. La chair du fruit, assez irrégulier dans sa forme, & imitant un peu celle de la calebasse, est plus parfumée, plus tendre & moins graveleuse : chaque loge contient un beaucoup plus grand nombre de pepins que les coins ordinaires.

III. De sa culture. Plus on s’écarte de la marche de la nature dans le choix & la position du sol où l’on plante un arbre, moins le fruit est parfumé, &, par conséquent, moins la liqueur qu’on en retire est agréable au goût. Il en est du coignassier comme de la vigne : un terrein trop fertile augmente le volume du fruit ; une humidité, au-delà de ses besoins, le rend aqueux & inodore ; enfin, le coin le plus aromatique est celui dont l’arbre a été planté sur des tertres, dans des rocailles, à une exposition du levant au midi. Le coignassier de Portugal exige un meilleur terrein que le coignassier commun : si le sol est humide, ou arrosé souvent, la fleur coule beaucoup, & retient peu.

Si on veut se procurer des pépinières de coignassier, il convient de semer & de choisir, par préférence, la graine du coin de Portugal. Tous les coignassiers, en général, (celui de Portugal moins que les autres) poussent des brins ou rejetons sur leurs racines ; après les avoir enlevés avec soin, en ménageant les racines, on les transporte dans la pépinière. Si les coignassiers ne fournissent pas de brins, on coupera l’arbre par le pied, ainsi qu’il a été dit au mot Acacia, Tome I, page 208 ; & chaque racine coupée produira un rejeton.

Cet arbre est essentiel aux pépiniéristes, & je conseille à tout possesseur de jardins, d’avoir chez soi sa pépinière, afin de ne pas être trompé pour la qualité du fruit par les marchands d’arbres, & être assuré d’avoir de bons & beaux pieds à replanter, dont les racines ne soient ni écourtées, ni mutilées.

Le coignassier est susceptible de recevoir la greffe de toutes les espèces de poiriers : il ne convient cependant bien qu’aux poires fondantes ; les autres espèces y réussissent mal. M. le Baron de Tschoudi, que j’ai déjà souvent cité, & que je cite toujours avec plaisir, à cause de sa manière de voir & d’observer, s’explique ainsi : « C’est dommage que tous les poiriers ne s’accommodent pas également de ce sujet, qui ne convient guère qu’aux poires fondantes, & ne réussit parfaitement que dans les terres fraîches. Plusieurs poires d’hiver, celles qui ont des dispositions à se crevasser, n’y font que peu de progrès. Il est des espèces qui ne peuvent subsister de sa sève : de ce nombre sont, entr’autres, quelques-unes connues sous le nom de bergamotte. Leur forme arrondie donne lieu de penser qu’elles tiennent de très-près aux poiriers sauvages & aux néfliers, & qu’elles n’ont que très-peu d’analogie avec le coignassier. Il est cependant un moyen de tromper leur aversion pour cet arbre : il faut d’abord modifier sa sève, en y greffant du beurré ou de la virgouleuse, qui y reprennent très-aisément. C’est sur le bois provenu de ces greffes, qu’on placera les écussons de ces poiriers insociables. Par cette indication, on les réconciliera avec le coignassier.

» Mais il est d’autres espèces dont la sève impétueuse ne peut sympatiser avec la lenteur de la plupart des coignassiers. D’après cette observation, je ne doute nullement que ceux-là ne puissent réussir sur celui de Portugal. »

La multitude des rejetons fournis par les souches de coignassier, est sans doute la cause déterminante du choix que les pépiniéristes ont fait de cet arbre, pour greffer des poiriers ; mais, d’après les principes d’une bonne culture, je pense qu’il faudroit se contenter de cultiver le coignassier seulement pour son fruit, & non pour greffer des poiriers. On vient de voir que plusieurs espèces de poires ne réussissent pas, ou réussissent mal sur cet arbre : voyons actuellement s’il est avantageux d’y greffer des poires fondantes.

Plantez dans un terrein égal en tous points, & à côté l’un de l’autre, deux poiriers ; l’un greffé sur coignassier, & l’autre sur franc ; le premier n’égalera jamais en grandeur le second ; la couleur des feuilles de celui-là sera presque toujours plus pâle, moins foncée que la couleur de celui-ci. Le premier reçoit une sève lente & chétive, & le second une sève plus abondante. De là vient la disproportion pour la hauteur & la longueur des branches. Cependant ce qui flatte le plus le coup d’œil dans un jardin, est de voir des arbres égaux en grandeur, & qui végètent avec une égale force. Enfin, si un espalier fixe nos regards, il est désagréable de voir des places couvertes de verdure, & le triste mur dans d’autres. Cette défectuosité existera toujours, tant que les arbres ne seront pas greffés sur franc.

Le second défaut des arbres greffés sur coignassier, est de ne pas subsister aussi long-temps que ceux sur franc ; de manière qu’après un certain nombre d’années, il faut replanter. Qu’arrive-t-il ? On ouvre une fosse d’une largeur convenable ; on prend beaucoup de soins pour regarnir la place vide par un autre arbre, & cependant on est tout étonné, trois ou quatre ans après, de voir que cet arbre ne prospère pas ; que chaque année il décline, & qu’il périt enfin. La raison en est simple : les racines des gros arbres, voisins & bien portans, touchoient les bords de la fosse ouverte ; la terre, bien remuée, bien travaillée, & peut-être fumée, les a attirées ; elles y ont travaillé avec vigueur ; le sujet à base de coignassier étoit foible, & sa végétation a été relative à sa foiblesse. Il n’est donc pas surprenant que les racines des arbres bien portans & voisins soient, en vraies parasytes, venues absorber la nourriture de ce jeune arbre, & le rendre languissant en raison de la rapidité de leur accroissement.

L’arbre greffé sur coignassier donne, j’en conviens, plus promptement que l’arbre greffé sur franc, & ce n’est pas un petit avantage pour ceux qui aiment à jouir promptement. Quant à moi, qui aime une jouissance d’une longue durée, une égalité dans la force de mes arbres, & surtout à ne pas planter & arracher sans cesse, je préfère le franc : il ne s’écarte pas des loix de la nature, & l’on doit à la commodité & à l’avidité des marchands d’arbres, l’introduction des arbres sur coignassiers.