Cours d’agriculture (Rozier)/COULEUR DES PLANTES

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Hôtel Serpente (Tome troisièmep. 518-526).


COULEUR DES PLANTES. Botanique. Quel est l’homme qui a pu se promener dans un pré émaillé de fleurs, dans un jardin décoré de tout ce que la nature offre de plus riant, de plus Vif, de plus varié en couleurs, sans être émerveillé ? Quel est l’esprit froid qui n’a pas été saisi d’admiration ? Qui n’a pas dit une fois en sa vie, quelle douceur dans la nuance de la rose ? Quelle force dans la couleur de l’oreille d’ours ? Quelle vivacité, quel lustre dans cette anémone ? Quelle profusion dans la tulipe ? C’est l’éclat de l’or ; c’est le brillant de l’argent ! Mais quel est ce morceau de pourpre qui se perd humblement dans cette touffe d’herbe ? Quelle couleur vermeille & entière ? Comme la teinte en est égale & sûre ! C’est la pensée qui, modeste dans son port, & ne demandant rien, sait cependant nous fixer par sa douce odeur & la beauté de sa nuance ! Quel charme répandu sur tous ces êtres brillans ! Comme la nature a su mêler ses couleurs ! Comme elle les a distribuées & opposées ! Savante dans la fonte de ses nuances, jamais de ces tons faux & désagréables, qui fatiguent & repoussent l’œil ; jamais de ces contrastes mal-adroits, de ces écarts ignorans ; toujours des beautés & de l’intelligence. Sur un fond vert, de différentes teintes, elle a dessiné ses grouppes avec une variété infinie. Si quelquefois le vert est triste & la couleur sombre, défiez-vous de l’individu qui en est coloré, il est dangereux. Les sucs qui circulent dans ses vaisseaux, portent avec eux le désordre & la mort : la nature vous avertit du danger ; mais ne regardez pas toujours cette loi comme générale : hélas ! souvent les appas de la beauté cachent un cœur perfide, & le poison est couvert des plus riches couleurs ; redoutez le rose léger de l’anémone des bois, le violet foncé de l’anémone pulsatille, le pourpre éclatant de la grande digitale, le jaune doré de la vermiculaire brûlante, le tendre incarnat de la lauréolle gentille & du pain de pourceau, l’indigo de la lobélie brillante, le gris blanchâtre de la pomme épineuse, &c. &c. Nimium ne crede colori.

Nous contenterons-nous simplement d’admirer les charmes & les beautés de la nature ; de les détailler, & de les contempler les unes après les autres, d’accorder notre hommage à chaque fleur ? Ne chercherons-nous pas à pénétrer son sanctuaire, à la voir travailler & broyer ses couleurs ? Quels principes, quelles substances emploie-t-elle pour dessiner ses tableaux ! N’a-t-elle qu’un seul moyen, qu’elle modifie à volonté, & qui, dans ses mains ingénieuses, prend toutes les nuances qu’elle désire, ou bien la matière colorante qu’on peut extraire des plantes, les terres qui entrent dans leur composition, le fer que l’analyse y rencontre, forment-ils la base de ses couleurs ? Ou enfin, la lumière & la présence du soleil sont-ils, les pinceaux avec lesquels la nature colore ses brillantes productions ?

Le philosophe qui ne se contente pas d’admirer, mais qui réfléchit sur ce qu’il observe, à peine a-t-il vu une fleur, que déjà il brûle de connoître la cause de sa beauté ; il pense, il combine, il décompose, il travaille ; & fier de son succès, il se dit à lui-même : la nature agit ainsi. Heureux, mille fois heureux, quand il a découvert son secret : mais que trop souvent il couronne ses erreurs, à la place de la vérité !

On a imaginé plusieurs systêmes pour expliquer la cause de la couleur des plantes : nous allons les parcourir. On peut les distinguer en trois classes ; dans le premier, chaque plante, chaque partie de plante portoit un suc propre, dont le parenchyme & tout le tissu étoient intimement pénétrés, & qui donnoit à la plante, en général, & à telle portion en particulier, la couleur qui lui convenoit, & qui servoit à la distinguer d’une autre. Ce systême avoit pris sa naissance dans l’observation assez constante, qu’en broyant une partie verte d’une plante, elle laissoit une trace verte ; une fleur rose, donnoit du rose ; une jaune, du jaune, &c. &c. Content d’avoir rencontré ce principe colorant, on n’avoit pas été plus loin ; son existence suffisoit pour tout expliquer, & l’on s’arrêtoit-là, sans penser à des recherches ultérieures sur la cause qui coloroit ce principe lui-même. La jaspure d’une feuille de tulipe, par exemple, s’expliquoit par autant de principes colorans différens, que l’on comptoit de nuances ; quelques fécules colorantes prouvoient encore en sa faveur.

On sent facilement combien ce systême est insuffisant pour rendre raison de tous les phénomènes que nous offrent les couleurs des plantes, leur marche progressive, leur mélange & leur dégradation ; mais il est à remarquer sur-tout, que, par rapport aux fécules même colorantes, rarement, après leur préparation, ont-elles la couleur propre à la plante : l’indigo & le roucou en sont la preuve.

Les chymistes qui, par le moyen du feu & des menstrues, scrutent la nature de plus près, mais qui, en même temps, dénaturent & donnent souvent de nouvelles modifications aux principes qu’ils obtiennent par l’analyse, ont cru reconnoître, dans ces mêmes principes, l’origine de toutes les couleurs des plantes.

M. Geoffroy a donné à l’Académie des sciences en 1707, un mémoire sur les couleurs des feuilles & des fleurs, où il prétend prouver qu’elles dépendent des soufres, & de leurs différens mélanges avec les sels. On ne sera peut-être pas fâché de trouver ici la manière dont ce savant donnoit l’explication des différentes nuances : le vert, selon lui, qui est la couleur la plus ordinaire des feuilles, peut être l’effet d’une huile essentielle, raréfiée dans les feuilles, & mêlée avec les sels volatils & fixes de la sève, lesquels restent engagés dans les parties terreuses de la plante, pendant que la plus grande partie de la portion aqueuse se dissipe. La preuve de cette idée se tire du céleri & de la chicorée ; car ces plantes étant liées & couvertes, de manière que le phlegme ne puisse pas aisément se dissiper, elles deviennent blanches, parce que l’huile essentielle se trouve si fort étendue dans cette grande quantité de phlegme, qu’elle paroît transparente & sans couleur. Les feuilles deviennent rouges, pour la plupart, sur la fin de l’automne, dans les premiers froids, qui resserrent les pores des plantes, retiennent la sève dans les feuilles & y interrompent la circulation ; cette sève s’aigrit par son séjour, parce que l’acide développé détruit l’alcali & sa couleur verte ; de sorte que ces soufres reparoissent aussitôt dans leur propre couleur, qui est le rouge. Dans les fleurs, toutes les nuances, depuis le citron jusqu’à l’orangé ou jaune de safran, paroissent venir d’un mélange d’acide avec l’huile essentielle, toutes les nuances de rouge, depuis la couleur de chair jusqu’au pourpre & au violet foncé, sont les produits d’un sel volatil urineux, uni avec l’huile. Le noir, qui peut passer, dans les fleurs, pour un violet très-foncé, est l’effet d’un mélange d’acide, surabondant au violet pourpré du sel volatil urineux. Toutes les nuances du bleu proviennent du mélange des sels alcalis fixes, avec les sels volatils urineux, & les huiles concentrées ; enfin, le vert, dans les fleurs, est produit par ces mêmes sels, mêlés avec des huiles beaucoup plus raréfiées.

Pour démontrer la vérité de ce systême, qui n’est fondé que sur les combinaisons que M. Geoffroy a faites, de l’huile de thym avec des acides & des alcalis, il faudroit prouver que les huiles essentielles de toutes les plantes fussent les mêmes, & se comportassent de la même façon ; aussi a-t-il été abandonné, ou plutôt n’a-t-il jamais été suivi.

Des analyses mieux faites, & plus générales, ont conduit MM. Rouelle, Macquer & Dambournay à des observations sur lesquelles on peut compter.

Il n’est presque point de parties dans les végétaux, qui ne contiennent des parties colorantes ; tous leurs organes en abondent. Il arrive souvent que la même plante renfermera dans son sein plusieurs couleurs à la fois : les racines, les tiges, les feuilles & les fleurs, non-seulement varieront pour les nuances, mais encore pour les couleurs opposées. De plus, très-souvent une matière végétale qui n’a point de couleur apparente, en prend une très-marquée par les manipulations particulières, comme la fermentation ou le mélange avec des menstrues. On ne peut nier que ces parties colorantes intérieures n’influent, pour beaucoup, sur la couleur extérieure ; & dans ce sens, ce troisième systême rentre dans le premier dont nous avons parlé plus haut. Si l’on réfléchit un peu sur les expériences des chymistes modernes, on verra qu’ils nous ont donné moins l’histoire de la matière colorante, principe elle-même, que celle de les combinaisons avec telle ou telle base, qui la rend ou extractive & dissoluble dans l’eau, ou résino-terreuse, & composée d’extraits savonneux & de rennes, ou purement résineuse & insoluble dans l’eau. (Voyez au mot Végétal, l’explication de ces différentes matières colorantes.)

Quelques chymistes rencontrant une très-grande quantité de fer dans les cendres des végétaux, ont pensé que leurs couleurs étoient dues à ce métal, parce que, dans les opérations chymiques, soit naturelles, soit artificielles, il est susceptible de prendre toutes sortes de couleurs ; mais, pour qu’on pût admettre cette hypothèse, il faudroit supposer que dans chaque nuance particulière, le fer se trouvât exactement combiné avec le principe qui lui fait prendre cette couleur, & c’est ce qui n’a pas encore été démontré suffisamment.

Les mêmes difficultés se présentent dans l’hypothèse de M. Opoix & de M. le Chevalier de Mustel, qui trouvent, dans le phlogistique, la cause principale des couleurs végétales.

Le dernier systême sur l’origine des couleurs des plantes, est de les rapporter à la lumière qui les éclaire. Les nombreuses expériences de plusieurs savans, & entr’autres de MM. Bonnet, Meese & Sennebier ont paru le confirmer jusqu’à présent, ou du moins, il est certain que la lumière a la plus grande influence sur les couleurs des plantes ; que sa présence les anime, & que son absence les dénature & les fait disparoître, principalement la couleur verte : elle passe insensiblement à l’ombre, & la plante devient malade & languissante, lorsqu’elle est privée de ce principe vivifiant. Cette maladie de langueur se nomme étiolement. (Voyez ce mot & celui de Lumière)

Telle est, en peu de mots, l’analyse des différens systêmes, imaginés pour expliquer l’origine des couleurs qui décorent les fleurs ; ils ne s’éloignent pas absolument les uns des autres, & il pourroit se faire que dans leur réunion, on trouvât l’explication de ce phénomène : quelques observations que nous avons faites, plusieurs expériences que nous avons ou répétées ou tentées, nous portent à se croire, & nous allons exposer ici notre sentiment, en le soumettant au jugement des savans.

Nouveau Systême sur les couleurs des Plantes.

La couleur des plantes dépend d’une matière colorante propre, qui réside dans le parenchyme, & dont la nature est susceptible de différens degrés de fermentation, qui produisent, ou les diverses nuances, ou le passage de l’une à l’autre.

Les différentes expériences chymiques nous ont démontré que dans toutes les parties des plantes il existoit une substance colorante, ou extractive, ou résineuse, ou extracto-résineuse, & cette substance réside dans le parenchyme.

Prenez de la gaude, de la garance, du bois d’Inde, &c. ; laissez-les macérer dans l’eau, & vous aurez une dissolution extractive, jaune ou rouge, suivant la nature des plantes que vous aurez employées. Si vous faites bouillir fortement dans de l’eau, du brou de noix, du sumac, de l’écorce d’aune, &c., la substance résineuse qu’elles contiennent se dissoudra dans l’eau à l’aide de la chaleur & de la partie extractive dissoute ; mais elle se précipitera à mesure que l’eau se refroidira. Ici nous avons dans la même matière colorante, plus ou moins fauve, deux principes, l’un dissoluble dans l’eau, qui est l’extractif, & l’autre indissoluble, qui est le résineux. Mettez du rocou, du pastel, de l’indigo dans de l’esprit de vin, & vous en extrairez bientôt la teinture orangée du rocou, & bleue du pastel & de l’indigo. En général, toutes les parties vertes des végétaux ne sont solubles que dans l’esprit de vin, excepté la partie verte des épinards, qui l’est aussi dans l’eau ; enfin, quelques-unes, comme l’orcanète, ne se dissolvent que dans l’huile, ou la racine rouge d’une espèce de buglose.

Sans avoir recours aux opérations chymiques, veut-on distinguer, à l’œil nu, la matière colorante d’un très-grand nombre de plantes, surtout dans les parties les plus colorées, il suffit d’enlever adroitement l’écorce d’une feuille ou d’une corolle de fleur ; vous appercevrez le tissu réticulaire dans les mailles duquel est retenu le parenchyme coloré.

Dans cette expérience, on remarque quatre choses : 1°. l’écorce composée de l’épiderme qui par lui-même n’est point coloré, & qui est très-transparent ; (voyez Épiderme) il fait, dans ces parties, le même effet que l’épiderme de la peau d’un nègre ; la couleur noire ou cuivreuse d’un nègre ne réside pas dans l’épiderme, mais seulement au-dessous dans une substance muqueuse, gélatineuse, nommée le réseau de Malpighi ; 2°. l’écorce, proprement dite, que M, Desaussure nomme le réseau cortical, qui renferme les glandes corticales ; 3°, le réseau ou le tissu réticulaire, dont le filet des mailles, plus dur & plus ferme que que le reste, est de la même nature que les fibres ligneuses dont il ne paroît être que la prolongation ; 4°. enfin, une espèce de substance spongieuse englobée dans les mailles, & qui est proprement le parenchyme : c’est ce parenchyme qui contient & fournit la matière colorante.

Nous avons déjà observé que l’épiderme d’une feuille ou d’un pétale ressembloit à l’épiderme d’un nègre ; pareillement le parenchyme végétal ressemble au parenchyme animal, ou à cette substance gélatineuse qui forme le réseau de Malpighi, & qui est noire dans les nègres, blanche dans les habitans de la zone tempérée, brunâtre dans les individus basanés, marquetée dans les taches rougeâtres de la peau.

Quoique nous ayons dit que l’épiderme fût transparent, & que par conséquent ce n’est pas sa couleur que l’on apperçoit, mais seulement celle du parenchyme qui en est recouvert, cependant il influe dans la couleur, par rapport à son intensité. Si vous enlevez cet épiderme sur une feuille verte, le parenchyme paroît d’un vert un peu différent de celui qu’avoit la feuille auparavant ; & cette couleur revient dès que vous recouvrez le parenchyme de l’épiderme ; cette différence est sur-tout frappante dans les feuilles du pastel, dans celles du pavot, du souci, du rosier. On l’observe encore dans les pétales, avec cette distinction que l’épiderme reste presque toujours adhérent avec le parenchyme, & qu’alors il paroît lui-même coloré ; mais avec un peu d’attention il est facile de l’en détacher : les pétales de rose, sur-tout, offrent cette observation, ainsi que celles du géranium & du souci.

Suivant M. Desaussure, l’écorce, proprement dite des pétales, contribue pour beaucoup plus à leur coloration que le parenchyme, & c’est à elle que l’on doit les vives & riches couleurs de la pensée, de la balsamine, du laurier-rose ; car il croit que le parenchyme de presque toutes les fleurs est blanc, si l’on en excepte celui de la bourrache & de quelques espèces de curcubitacées ; mais l’écorce n’est colorée que par le suc fourni par le parenchyme, & qui, par le contact de la lumière & du soleil, fermente & prend une nuance qu’il n’avoit pas encore dans le parenchyme. Je m’en suis assuré pour les pétales de la rose, du pied d’alouette, du pavot, du géranium & du souci.

Le parenchyme dépouillé de l’épiderme, & écrasé sur du papier blanc, laisse les traces de la couleur dont il étoit imbu ; mais cette couleur ne conserve pas sa nuance, le contact de l’air & de la lumière lui en donne une nouvelle : ainsi le rose de la rose & du navet devient violet ; le rouge même du géranium passe au violet pourpre, &c.

La matière ou suc colorant est susceptible d’une fermentation insensible, qui la fait passer par différentes teintes : nous avons vu plus haut qu’elle étoit, ou extractive ou résineuse, ou qu’elle tenoit également des deux principes. Dans la plante, cette matière est dissoute dans une suffisante quantité d’eau, elle est divisée autant qu’elle peut l’être ; dans cet état, à l’aide de la chaleur propre à tout végétal vivant, & à celle de l’atmosphère, elle peut entrer en fermentation, &, selon toutes les apparences, elle en éprouve une continuelle, depuis le moment où la plante se développe, jusqu’à celui où elle meurt. Cette fermentation forme de nouvelles combinaisons qui donnent de nouvelles couleurs : les effets de la fermentation en grand, nous prouvent assez cette vérité. Les sucs exprimés des raisins n’ont qu’une couleur pâle & blanchâtre : à peine commencent-ils à entrer en fermentation, que leur couleur devient plus foncée, jusqu’à ce que la fermentation passant à son dernier état de spiritueuse, le rouge violet se développe, & devient leur couleur fixe. Si l’on arrête la fermentation à ce point, cette couleur se conserve ; mais si on abandonne ces sucs vineux à eux-mêmes, la fermentation spiritueuse passe à l’acide ; & la couleur charmante & si agréable du vin se change dans la couleur triste & sale du vinaigre, qui dégénère de plus en plus, si la fermentation putride s’établit.

Pour rendre notre explication plus vraisemblable, suivons les effets de la fermentation sur la matière colorante des plantes : examinons des fruits, des feuilles & des fleurs adhérentes aux tiges qui leur fournissent les sucs nécessaires à la vie.

Le fruit. Une pomme, par exemple, quand elle est dans l’état d’embryon, est d’un vert jaunâtre ; mais à peine a-t-elle vu la lumière, qu’elle devient verte. Dans cet état, les sucs qu’elle contient sont acides : à mesure qu’ils s’adoucissent par la fermentation végétale, & que le fruit approche de sa maturité, ce vert disparoît, pour laisser place au jaune ou au rouge, que le contact des rayons du soleil rend plus ou moins vifs. Le temps de la maturité passé, & la fermentation putride s’établissant, ces jolies couleurs s’évanouissent insensiblement ; une couleur brune & livide lui succède, & annonce, par sa présence, la maladie du fruit, qui le conduit à son entière décomposition.

Les fleurs éprouvent le même sort. Choisissez celle que vous voudrez : prenons la reine des fleurs, celle qui l’emporte sur toutes les autres, & par son odeur, & par son port, & par ses couleurs ; la rose. Lorsque le bouton commence à se former, si vous le dépouillez de son calice, vous appercevez les pétales qui ont alors une couleur verte, très-tendre & presque blanche. À mesure qu’elle avance vers son développement, la couleur rose paroît, & anime les pétales les plus intérieurs : dans les endroits où le calice se fend, le rose est un peu plus vif ; c’est l’effet du contact de l’air & de la lumière. L’entier développement établi, elle offre sa couleur dans toute sa vivacité ; mais bientôt

… Elle a vécu ce que vivent les roses,
L’espace d’un matin.


elle s’effeuille ; & ces mêmes pétales, si brillantes un jour auparavant, se ternissent, blanchissent & prennent une couleur sale de feuilles mortes. Presque toutes les fleurs suivent cette même gradation : blanches dans leur berceau, elles se colorent à leur état de perfection, & plus elles approchent de leur mort, plus elles changent & prennent une couleur sale & désagréable. Le pied d’alouette est verdâtre à sa naissance, bleu à sa fleuraison, & blanc à sa mort. Le souci, ainsi que la giroflée jaune-double, est verdâtre à sa naissance, jaune dans sa beauté, & d’un blanc jaune-sale à sa mort ; l’embryon du géranium est vert, sa fleur ponceau ; & sa fanne tombée & mourante, prend une couleur violette-terne. La pivoine, d’un blanc-verdâtre en bouton, prend un beau violet-rouge, & finit par être d’un blanc-sale, &c. (Voyez au mot Corolle, des détails sur la couleur de cette partie de la plante.)

Les feuilles nous offrent un pareil spectacle. Presque toutes les feuilles séminales de toutes les plantes sont d’un jaune nuancé de vert en sortant de terre, & elles ne prennent la couleur verte que par progression : d’abord un vert tendre & herbacé, qui se fortifie de plus en plus, & gagne du côté de l’intensité ; mais enfin la saison de l’automne amenant les frimats, & les feuilles vieillissant, elles prennent bientôt la livrée de cet âge, qui est une couleur terne ; elles passent au jaune, quelques-unes au rouge ; mais toutes finissent, en mourant & en se desséchant, par prendre une couleur brune qui leur est propre, dont on a emprunté la nuance en peinture, sous le nom de couleur de feuille morte. Qui est-ce qui n’a pas remarqué, vers les mois d’octobre & de novembre, où la végétation se ralentit & cesse tout-à-fait, que la nature prend un air triste & languissant ? Les arbres, qui conservent leur verdure tout l’hiver, acquièrent une nuance sombre. Le cyprès, le buis, le sapin, &c. n’ont rien qui récrée la vue. La partie colorante des feuilles, qui est naturellement verte, s’altère & se décompose insensiblement, & passe par différens degrés, avant que de cesser d’animer la nature. Quelquefois, à la vérité, elles offrent pour un moment de nouvelles nuances qui séduisent par leur apparition, sans plaire par leur agrément. C’est ainsi que les feuilles des peupliers, de l’érable, des tilleuls, passent à un très-beau jaune avant que de tomber, & celles des cornouillers, de la vigne, des sorbiers, des ronces, acquièrent un rouge extrêmement vif. Les feuilles de quelques plantes éprouvent le même sort, comme celles du millepertuis, du géranium ou bec de grue robertin, de la renouée liserone, &c. &c.

Ce que nous avons dit précédemment, démontre assez clairement que tous ces passages sont dus aux différens degrés, comme aux différentes espèces de fermentations que la matière colorante éprouve dans le parenchyme, depuis le moment de la naissance de la feuille ou de la fleur, ou du fruit, jusqu’à son entier desséchement. Une preuve assez convaincante nous est fournie par l’altération que les chenilles mineuses des feuilles nous présentent. Elles s’introduisent dans l’épaisseur d’une feuille, & rongent insensiblement tout le parenchyme, sans attaquer l’épiderme, ni les nervures ou fibres ligneuses. Par cette opération, elles découpent très-joliment une feuille, mais lui enlèvent absolument tout ce qui peut lui donner de la couleur ; aussi n’en change-t-elle plus, & quelle que soit son espèce, le réseau qui reste ne prend ni la couleur jaune, ni la couleur rouge dont certaines feuilles sont susceptibles en vieillissant.

Il ne faut pas croire que, dans ce systême, la lumière ne soit pour rien. Elle joue un très-grand rôle ; c’est sa combinaison avec la matière colorante qui hâte sa fermentation, & qui seule, peut-être, la fait monter au degré nécessaire, pour produire telle ou telle couleur. Mais il ne faut pas penser aussi qu’elle est la cause unique de la coloration des plantes ; puisque l’analyse chymique retrouve les matières colorantes extractives & résineuses dans les plantes étiolées, comme dans celles qui ne le sont pas. La lumière est un principe conservant & développant des plantes, comme l’air est un de leurs principes nourrissans ; aussi son absence produit-elle toujours une maladie assez grave, l’étiolement. (Voy. ce mot)

La lumière & la fermentation naturelle ne sont pas les seules causes qui font changer les couleurs des fleurs & des plantes : la chaleur, le climat, le terrein, la culture ont souvent la plus grande influence ; nous le voyons tous les jours dans nos jardins. La variété infinie des oreilles d’ours, des renoncules, des tulipes, des anémones, &c. n’est due qu’aux soins que les fleuristes & les amateurs ont mis à les cultiver. On a tenté différens moyens de colorer les fleurs artificiellement sur plantes, par des teintures dont on les arrosoit ; mais ces essais ont toujours été assez infructueux, pour qu’on ne pût pas y compter. Laissons faire la nature : merveilleuse dans ses productions, elle se joue dans les nuances variées dont elle colore les plantes. Élevons & cultivons avec soin les heureux hasards qu’elle nous offre, & nous multiplierons nos richesses.

Après avoir parlé des couleurs des plantes, ce seroit ici le lieu de dire quelque chose sur les panachures & les marbrures des feuilles & des fleurs. Ces accidens locaux, mais qui peuvent se perpétuer de face en race, quelques beaux & agréables qu’ils soient, n’en sont pas moins souvent un vice & une maladie de l’individu. Je compare ces panachures, sur-tout celles des feuilles, aux tâches de rousseur qui affectent la peau de quelques personnes. Il faut cependant en distinguer les panachures des tulipes, des tricolors &c., qui sont de vraies couleurs, & qui dépendent d’une matière colorante propre, dont le parenchyme de ces fleurs est pénétré dans certains endroits. Nous entrerons dans des détails plus circonstanciés au mot Panachure.

Le partage du vert au blanc, dans les plantes qui sont à l’ombre, ou que l’on prive du contact de l’air & de la lumière, est un vrai étiolement, (Voyez ce mot)

Il est un art ingénieux de fixer, jusqu’à un certain point, les couleurs des fleurs, & de les empêcher de s’altérer même après leur mort ; nous en donnerons la manipulation au mot Fleur.

Une remarque assez générale sur la distribution des couleurs dans les différentes parties des plantes, que l’on peut faire en finissant ; c’est que le blanc est plus commun dans les fleurs du printemps que dans celles des autres saisons ; au contraire, le rouge & le jaune dans les fleurs d’été & d’automne, le vert tendre est la couleur générale des filets & des stiles ; le jaune, des anthères & de leur poussière : le rouge, le jaune, le bleu & le violet, enluminent les corolles ; tandis que le vert est la couleur ordinaire des feuilles & des calices ; le violet très-foncé, improprement nommé noir en terme fleuriste, se rencontre dans quelques corolles ; mais le vrai noir & même un noir luisant, est la couleur de quantité de graines ; les racines sont presque toujours brunes ou jaunâtres ; les bois blancs ou d’un blanc-sale tirant sur le jaune ou le brun : quelques-uns sont cependant colorés en violet & en rouge, mais leur nombre n’est pas considérable ; toutes les tiges herbacées sont plus ou moins vertes. Les fruits n’ont ordinairement qu’une seule couleur. Ils sont ou verts, ou rouges, ou violets, &c. rarement jaspés. M. M.